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L'Heptameron

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vos oraisons jusques ad ce que j’aye mené vostre compaignon icy devant en une autre isle; et si, à son retour, il s’estonne de moy, nous le lerrons icy et nous en irons ensemble." Le jeune saulta dedans l’isle, actendant le retour de son compaignon, lequel la bastelliere mena en une aultre. Et quant ilz furent au bort, faignant d’atacher son basteau à ung arbre, luy dist: "Mon amy, regardez en quel lieu nous nous mectrons." Le beau pere entra en l’isle pour sercher l’endroict qui luy seroit plus à propos: mais, si tost qu’elle le veid à terre, donna ung coup de pied contre l’arbre et se retira avecq son basteau dedans la riviere, laissant ses deux bons peres aux desertz, ausquelz elle crya tant qu’elle peut: "Actendez, messieurs, que l’ange de Dieu vous vienne consoler, car de moy n’aurez aujourd’huy chose qui vous puisse plaire."

Ces deux pauvres religieux, congnoissans la tromperie, se misrent à genoulx sur le bord de l’eaue, la priant ne leur fere ceste honte, et que, si elle les vouloit doulcement mener au port, ilz luy promectoient de ne luy demander rien. Mais, en s’en allant tousjours, leur disoit: "Je serois doublement folle, après avoir eschappé de voz mains, si je m’y remectois." Et, en entrant au villaige, va appeller son mary et ceulx de la justice, pour venir prandre ces deux loups enraigez, dont, par la grace de Dieu, elle avoit eschappé de leurs dentz: qui y allerent si bien accompaignez, qu’il ne demora grand ne petit, qui ne voulsissent avoir part au plaisir de ceste chasse. Ces pauvres freres, voyans venir si grande compaignye, se cachoient chacun en son isle, comme Adan quand il se veid nud devant la face de Dieu. La honte meit leur peché devant leurs oeilz, et la craincte d’estre pugniz les faisoit trembler si fort, qu’ilz estoient demy mortz. Mais cela ne les garda d’estre prins et mis prisonniers, qui ne fut sans estre mocquez et huez d’hommes et femmes. Les ungs disoient: "Ces beaulx peres qui nous preschent chasteté, et puis la veullent oster à noz femmes!" Et les autres disoient: "Sont sepulchres par dehors blanchiz, et par dedans plains de morts et pourriture." Et puis une autre voix cryoit: "Par leurs fruictz, congnoissez vous quelz arbres sont." Croyez que tous les passaiges que l’Evangile dict contre les ypocrittes furent alleguez contre ces pauvres prisonniers, lesquels, par le moyen du gardien, furent recoux et delivrez, qui en grand diligence les vint demander, asseurant ceulx de la justice qu’il en feroit plus grande pugnition que les seculiers n’oseroient faire; et, pour satisfere à partye, ilz diroient tant de messes et de prieres qu’on les en vouldroit charger. Le juge accorda sa requeste, et luy donna les prisonniers qui furent si bien chappitrez du gardien, qui estoit homme de bien, que oncques puis ne passerent rivieres sans faire le signe de la croix et se recommander à Dieu.

"Je vous prie, mes dames, pensez, si ceste pauvre bastelliere a eu l’esperit de tromper l’esperit de deux si malitieux hommes, que doyvent faire celles qui ont tant leu et veu de beaulx exemples; quant il n’y auroit que la bonté des vertueuses dames qui ont passé devant leurs oeilz, en la sorte que la vertu des femmes bien nourryes seroit autant appelée coustume que vertu? Mais de celles qui ne sçavent rien, qui n’oyent quasi en tout l’an deux bons sermons, qui n’ont le loisir que de penser à gaingner leurs pauvres vyes, et qui, si fort pressées, gardent soingneusement leur chasteté, c’est là où on congnoist la vertu qui est naïfvement dedans le cueur, car où le sens et la force de l’homme est estimée moindre, c’est où l’esperit de Dieu faict de plus grandes œuvres. Et bien malheureuse est la dame qui ne garde bien soingneusement le tresor qui luy apporte tant d’honneur, estant bien gardé, et tant de deshonneur au contraire." Longarine luy dist: "Il me semble, Geburon, que ce n’est pas grand vertu de refuser ung Cordelier, mais que plus tost seroit chose impossible de les aymer. - Longarine, luy respondit Geburon, celles qui n’ont poinct accoustumé d’avoir de tels serviteurs que vous, ne tiennent poinct fascheux les Cordeliers; car ilz sont hommes aussy beaulx, aussi fortz et plus reposez que nous autres, qui sommes tous cassez du harnoys; et si parlent comme anges, et sont importuns comme diables; parquoy celles qui n’ont veu robbes que de bureau sont bien vertueuses, quant elles eschappent de leurs mains." Nomerfide dist tout hault: "Ha, par ma foy, vous en direz ce que vous vouldrez, mais j’eusse myeulx aymé estre gectée en la riviere que de coucher

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