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Lettre Ouverte à M. Paul Faber

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40 ? Mal armés, mal guidés, mal informes, n’ayant souvent pour toute défense qu’un fusil dans lequel n’entraient même pas les cartouches qu’on leur donnait (Entre autres, c’est arrivé à mon frère aîné en mai 1940.), les soldats de 1940 ont donne au monde une leçon d’intelligence en refusant le combat: ceux qui étaient en mesure de le faire se sont battus — et fort bien battus : mais le beau geste qui consiste à se faire tuer pour rien n’est plus de mise aujourd’hui que l’on tue mécaniquement ; il na même plus valeur de symbole, si l’on peut considérer qu’il l’ait eu en imposant au moins au vainqueur le respect du vaincu.

D’ailleurs mourir pour la patrie, c’est fort bien : encore faut-il ne pas mourir tous — car où sera la patrie ? Ce n’est pas la terre — ce sont les gens. la patrie (Le général de Gaulle ne me contredira pas sur ce point, je pense.). Ce ne sont pas les soldats : ce sont les civils que l’on est censé défendre — et les soldats n’ont rien de plus pressé que de redevenir civils, car cela signifie que la guerre est terminée.

Au reste si cette chanson peut paraître indirectement viser une certaine catégorie de gens. ce ne sont à coup sûr pas les civils : les anciens combattants seraient-ils des militaires ? Et voudriez-vous m’expliquer ce que vous entendez, vous, par ancien combattant ? « Homme qui regrette d’avoir été obligé d’en venir aux armes pour se défendre » ou « homme qui regrette le temps ou l’on combattait » — Si c’est « homme qui a fait ses preuves de combattant », cela prend une nuance agressive. Si c’est « homme qui a gagné une guerre », c’est un peu vaniteux.

Croyez-moi... « ancien combattant », c’est un mot dangereux ; on ne devrait pas se vanter d’avoir fait la guerre, on devrait le regretter — un ancien combattant est mieux placé que quiconque pour haïr la guerre. Presque tous les vrais déserteurs sont des « anciens combattants » qui n’ont pas eu la force d’aller jusqu’à la fin du combat. Et qui leur jettera la pierre ? Non... si ma chanson peut déplaire, ce n’est pas à un ancien combattant, cher monsieur Faber. Cela ne peut être qu’à une certaine catégorie de militaires de carrière ; jusqu’à nouvel ordre, je considère l’ancien combattant comme un civil heureux de l’être. Il est des militaires de carrière qui considèrent la guerre comme un fléau inévitable et s’efforcent de l’abréger. Ils ont tort d’être militaires, car c’est se déclarer découragé d’avance et admettre que l’on ne peut prévenir ce fléau — mais ces militaires-là sont des hommes honnêtes. Bêtes mais honnêtes. Et ceux-là non plus n’ont pas pu se sentir visés. Sachez-le, certains m’ont félicité de cette chanson. Malheureusement, il en est d’autres. Et ceux-là, si je les ai choqués, j’en suis ravi. C’est bien leur tour. Oui, cher monsieur Faber, figurez-vous, certains militaires de carrière considèrent que la guerre n’a d’autre but que de tuer les gens. Le général Bradiey par exemple, dont j’ai traduit les mémoires de guerre, le dit en toutes lettres. Entre nous, les neuf dixièmes des gens ont des idées fausses sur ce type de militaire de carrière. L’histoire telle qu’on l’enseigne est remplie du récit de leurs inutiles exploits et de leurs démolitions barbares ; j’aimerais mieux — et nous sommes quelques-uns dans ce cas — que l’on enseignât dans les écoles la vie d’Eupalinos ou le récit de la construction de Notre-Dame plutôt que la vie de César ou que le récit des exploits astucieux de Gengis Khan. Le bravache a toujours su forcer le civilisé à s’intéresser à son inintéressante personne ; où l’attention ne naît pas d’elle-même, il faut bien qu’on l’exige, et quoi de plus facile lorsque l’on dispose des armes. On ne règle pas ces problèmes en dix lignes : mais l’un des pays les plus civilisés du monde, la Suisse, les a résolus, je vous le ferai remarquer, en créant une armée de civils ; pour chacun d’eux, la guerre n’a qu’une signification : celle de se défendre. Cette guerre-là, c’est la bonne guerre. Tout au moins la seule inévitable. Celle qui nous est imposée par les faits.

Non, monsieur Faber, ne cherchez pas l’insulte où elle n’est pas et si vous la trouvez, sachez que c’est vous qui l’y aurez mise. Je dis clairement ce que je veux dire : et jamais je n’ai eu le désir d’insulter les anciens combattants des deux guerres, les résistants, parmi lesquels je compte bien des amis, et les morts de la guerre — parmi lesquels j’en comptais bien d’autres. Lorsque j’insulte (et cela ne m’arrive guère) je le fais franchement, croyez-moi. Jamais je n’insulterai des hommes comme moi, des civils, que l’on a revêtus d’un uniforme pour pouvoir les tuer comme de simples objets, en leur bourrant le crâne de mots d’ordre vides et de prétextes fallacieux. Se battre sans savoir pourquoi l’on se bat est le fait d’un imbécile et non celui d’un héros ; le héros, c’est celui qui accepte ta mort lorsqu’il sait qu’elle sera utile aux valeurs qu’il défend. Le déserteur de ma chanson n’est qu’un homme qui ne sait pas ; et qui le lui explique ? Je ne sais de quelle guerre vous êtes ancien combattant — mais si vous avez fait la première, reconnaissez que vous étiez plus doué pour la guerre que pour la paix ; ceux qui, comme moi, ont eu 20 ans en 1940 ont reçu un drôle de cadeau d’anniversaire. Je ne pose pas pour les braves : ajourné à la suite d’une maladie de cœur, je ne me suis pas battu, je n’ai pas été déporté, je n’ai pas collaboré — je suis resté, quatre ans durant, un imbécile sous-alimenté parmi tant d’autres — un qui ne comprenait pas parce que pour comprendre, il faut qu’on vous explique. J’ai trente-quatre ans aujourd’hui, et je vous le dis : S’il s’agit de tomber au hasard d’un combat ignoble sous la gelée de napalm, pion obscur dans une mêlée guidée par des intérêts politiques, je refuse et je prends le maquis. Je ferai ma guerre à moi. Le pays entier s’est élevé contre la guerre d’Indochine lorsqu’il a fini par savoir ce qu’il en était, et les jeunes qui se sont fait tuer là-bas parce qu’ils croyaient servir à quelque chose — on le leur avait dit — je ne les insulte pas, je les pleure ; parmi eux se trouvaient, qui sait, de grands peintres, de grands musiciens, et à coup sûr, d’honnêtes gens.

Lorsque l’on voit une guerre prendre fin en un mois par la volonté d’un homme qui ne se paie pas, sur ce chapitre, de mots fumeux et glorieux, on est forcé de croire, si l’on ne l’avait pas compris, que celle-là au moins n’était pas inévitable. Demandez aux anciens combattants d’Indochine — à Philippe de Pirey, par exemple (Opération Sachis, chez Julliard.) — ce qu’ils en pensent. Ce n’est pas moi qui vous le dis — c’est quelqu’un qui en revient — mais peut-être ne lisez-vous pas. Si vous vous contentez de la radio, évidemment, vous n’êtes pas gâté sur le chapitre des informations. Comme moyen de progression culturelle, c’est excellent en théorie la radio ; mais ce n’est pas très judicieusement employé.

D’ailleurs, Je pourrais vous chicaner. Qui êtes-vous, pour me prendre à partie comme cela, monsieur Faber ? Vous considérez-vous comme un modèle ? Un étalon de référence ? Je ne demande pas mieux que de le croire — encore faudrait-il que Je vous connusse. Je ne demande pas mieux que de faire votre connaissance mais vous m’attaquez comme cela, sournoisement, sans même m’entendre (car j’aurais pu vous expliquer cette chanson, puisqu’il vous faut un dessin). Je serai ravi de prendre exemple sur vous si je reconnais en vous les qualités admirables que vous avez, je n’en doute pas, mais qui ne sont guère manifestes jusqu’ici puisque je ne connais de vous qu’un acte d’hostilité à l’égard d’un homme qui essaie de gagner sa vie en faisant des chansons pour d’autres hommes. Je veux bien suivre Faber, moi. Mais les hommes de ma génération en ont assez des leçons ; ils préfèrent Ses exemples. Jusqu’ici je me suis contenté de gens comme Einstein, pour ne citer que lui — tenez, voici ce qu’il écrit des militaires, Einstein...

« ... Ce sujet m’amène à parler de la pire des créations : celle des masses armées, du régime militaire, que Je hais ; je méprise profondément celui qui peut, avec plaisir, marcher en rangs et formations, derrière une musique : ce ne peut être que par erreur qu’il a reçu un cerveau ; une moelle épinière lui suffirait amplement. On devrait, aussi rapidement que possible, faire disparaître cette honte de la civilisation. L’héroïsme sur commande, les voies de faits stupides, le fâcheux esprit de nationalisme, combien Je hais tout cela : combien la guerre me paraît ignoble et méprisable ; J’aimerais mieux me laisser couper en morceaux que de participer à un acte aussi misérable. En dépit de fout. Je pense tant de bien de l’humanité que Je suis persuadé que ce revenant

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