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Mogol

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gagner le Paradis, s’étant retiré du monde pour prier, alors que le vizir, sans doute moralement corrompu par la vie à la cour et l’exercice du pouvoir, semblait a priori voué aux flammes infernales… Or c’est l’inverse qui apparaît au dormeur d’où son étonnement (v. 9) : le juge des Enfers (« Minos », v.8) aurait-il commis une erreur ? Le réveil du Mogol surpris marque un retour au premier niveau de narration (v. 9-15).

La clé du songe.

Pour découvrir le « sens » caché (v. 13) de cette vision mystérieuse, il faut recourir à l’interprète. Celui-ci complète le songe sur deux points importants (retour au second niveau de narration, v. 15-17) : le Vizir a su parfois s’abstraire de la cour pour chercher la solitude (v. 16) ; il a gardé ses distances avec les charmes trompeurs du monde et fait preuve d’une sagesse salutaire. L’Ermite, au contraire, se faisait volontiers courtisan (v. 17) : malgré les apparences, il n’a pas su se détacher de ses désirs (l’ambition, la vanité ?) pour se consacrer tout entier à la prière ; pire, il a dissimulé ces désirs sous le masque de la dévotion – conduite hypocrite qui lui vaut un châtiment éternel. Au terme du récit, le paradoxe est résolu : le sage n’était pas celui que l’on croyait. Comme La Fontaine l’écrit un peu plus loin dans ce même livre XI, « Il ne faut point juger les gens sur l’apparence » (Le Paysan du Danube).

Un récit seulement esquissé ?

Ce petit récit, malgré la séduction de sa couleur orientale et le charme qu’il tire du va-et-vient entre songe et « réalité », diffère sur bien des points de la manière habituelle de La Fontaine. On remarque d’abord qu’aucun des personnages n’est réellement caractérisé, évoqué à l’aide de petits détails pittoresques : le dormeur n’existe guère que par le songe étrange qui nous est rapporté ; l’interprète, bien que ses paroles soient transcrites au discours direct, n’a d’autre fonction que de révéler le sens de la vision du Mogol. Le plus étrange est que le fabuliste n’ait pas précisé d’avantage le caractère des deux personnages du récit intérieur : de l’Ermite hypocrite abandonnant la solitude et la prière pour faire sa cour, il aurait pu tirer une satire comparable au cruel portrait du Rat qui s’est retiré du monde (VIII,3) ; le vizir aurait pu prendre les traits d’un personnage attendrissant, désabusé de la vanité des intrigues de cour, comme le berger dans Le Berger et la roi. Ce n’est pas le cas : La Fontaine semble ne s’intéresser qu’à la valeur symbolique du récit : pour lui, le songe est « un avis des Dieux » v. 15) surtout parce-qu’il invite à rechercher la solitude ; c’est la seule leçon qu’il retient dans sa moralité, en l’étendant à des proportions considérables.

On voit comment La Fontaine a orienté sa fable dans une direction précise, alors que le récit qu’il emprunte aux conteurs de l’Orient (en l’occurrence le poète persan Saadi) offrait d’autres voies possibles. Il faut maintenant étudier les caractéristiques propres de l’éloge de la solitude, sans perdre de vue pour autant ses liens avec le récit.

Lyrisme, harmonie et douceur

L’art de la transition.

Le long commentaire se différencie d’abord du récit du point de vue de la métrique. Les vers 1-17 mêlent quelques octosyllabes à des alexandrins, ce qui leur donne un rythme varié ; variété renforcée par le jeu des rimes : rimes plates (v. 1-6), rimes embrassées (v. 7-10), rimes croisées (v. 14-17). L’éloge de la solitude se présente au contraire comme un discours sérieux entièrement composé en alexandrins à rimes plates (à une exception près : le vers 22 qui rime avec les vers 18-19, ce que l’on nomme une rime redoublée ; il y en a une également dans le récit, au v. 11 qui rime avec les v. 7-9). Ce passage à une forme beaucoup plus régulière indique immédiatement au lecteur que ce qui fait suite au récit est d’une nature plus grave et plus profonde. Autre élément de rupture : le passage d’une narration impersonnelle à un discours sur le ton de la confidence, qui recourt avec une fréquence inhabituelle dans les Fables au pronom « Je » (impossible ici dans faire le relevé : en 22 vers, 16 tournures renvoient à la première personne). La Fontaine semble presque s’excuser de cet épanchement, et souligne en tout cas le changement de nature de son poème : il ouvre son discours presque timidement, en énonçant son projet sous une forme hypothétique que renforce le verbe « oser ». « Si j’osais ajouter au mot de l’interprète, / J’inspirerais ici l’amour de la retraite » : il s’agit seulement d’ajouter quelques réflexions personnelles à la morale apparente énoncée par le personnage du récit, sous forme d’un « avis des Dieux ».

Un appel aux sentiments du lecteur.

La façon dont La Fontaine présente son projet n’est pas indifférente : « J’inspirerais ici l’amour de la retraite ». Le discours vise moins à convaincre le lecteur en faisant appel à sa raison qu’à l’émouvoir, à lui faire percevoir de façon sensible (« inspirer ») les charmes de la solitude. En témoigne la métaphore amoureuse (« l’amour de la retraite »), filée au vers suivant (« Elle offre à ses amants ») et discrètement reprise un peu plus loin (« Lieux que j’aimais toujours »). Par ce recours au vocabulaire galant, le poète présente la retraite comme une maîtresse capable de combler ceux qui l’aiment : « Elle offre à ses amants des biens sans embarras, / Biens purs, présents du Ciel, qui naissent sous les pas » (v. 20-21) ; elle prodigue une « douceur secrète » (v. 22). Le pluriel du mot « biens » et sa reprise évoquent l’abondance des plaisirs ; l’allitération en s du v. 22 suggère aussi une certaine sensualité dans ce retrait du monde.

Séduire par l’harmonie.

La solitude apparaît même comme un plaisir presque divin, céleste : au vers 21, l’expression « biens purs, présents du Ciel » renvoie implicitement à la félicité goûtée par le Vizir rencontré dans le songe, « Aux champs Elysiens possesseur d’un plaisir / Aussi pur qu’infini » (v. 2-3), et la construction même de certains alexandrins souligne cet effet d’écho : le double balancement du vers 24 (« Loin du monde et du bruit, goûter l’ombre et le frais ») évoque discrètement celui du vers 3 (« Aussi pur qu’infini, tant en prix qu’en durée ») : tout rapproche les deux vers, leur construction (deux groupes binaires) et leur rythme (alexandrins coupés à 3/3/3/3, ou tétramètres, rythme particulièrement harmonieux). Le début du discours joue d’ailleurs beaucoup sur ces effets de symétrie : au vers 26, l’hémistiche final « loin des cous et des villes » rappelle l’hémistiche initial du v. 24, « Loin u monde et du bruit » ; le vers 23 est construit très subtilement sur une antithèse (« lieux que j’aimais toujours, ne pourrais-je jamais »), combinée avec une sorte de rime intérieure (« j’aimais/ jamais »). Les sonorités choisies de ces vers concourent aussi à créer un sentiment d’harmonie, de douceur et de plénitude : voir la délicatesse de l’assonance en ou qui scande les vers 22-23 (« Solitude où je trouve une douceur secrète / Lieux que j’aimais toujours ne pourrais-je jamais »…), souvent associée à la consonne r, comme pour prolonger la résonance du mot « amour » (v. 19). La Fontaine remplit donc parfaitement le projet qu’il s’était fixé : il inspire l’ « amour de la retraite » en rendant sensible son calme, sa douceur dans la beauté et l’harmonie de ses vers.

Il ne suffit pourtant pas de faire pressentir au lecteur les charmes de la solitude par le lyrisme et la poésie : encore faut-il décrire les biens qu’elle prodigue et l’idéal de vie qu’elle peut représenter. C’est sur ces points que la confidence du poète se développe.

II- La retraite conçue comme un idéal de vie

La solitude, objet de nostalgie ou de désir

C’est d’abord une définition négative des charmes de la solitude que propose La Fontaine : devenir « amant » de la retraite, c’est choisir de vivre « loin du monde et du bruit » (v. 24), « loin des cous et des villes » (v.26) ; c’est s’abstraire du tumulte incessant de la société pour trouver le calme à l’écart des hommes – opposition clairement marquée dans la rime « asiles » / « villes », où la retraite apparaît par contraste comme un refuge, un lieu protégé et propice à la paix de l’âme . Cette quiétude transparaît aussi dans les notations sensibles « sombres asiles », « l’ombre et le frais » (v. 24-25) : elle exprime le rêve d’un lieu à l’abris de la lumière et de la chaleur, comme du « bruit » et des tracas de la vie sociale (suggérés dans l’expression « des biens sans embarras » (v. 20). Pourquoi cette définition négative ? La solitude est éprouvée sur le mode de la nostalgie ou du désir ; elle est conçue comme un idéal auquel on aspire ardemment, et s’oppose à l’existence réelle marquée par le poids des obligations sociales. Ainsi s’explique l’importance dans la fable des tournures exclamatives, des futurs et des subjonctifs : « Oh ! qui m’arrêtera » (v. 25), « quand pourront les neuf sœurs » (v.26), « Que

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