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Blok En France

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e d'accent tonique, l'épuisement des rimes et surtout le développement de la poésie française selon des voies toutes différentes — de Claudel à Char — expliquent cette inhibition. Les grands poètes français d'aujourd'hui ne « versifient » plus et 1 . Alexandre Blok, les Douze, traduction définitive de E. Sidersky. Dessins de Yu. Annenkov, Paris, « Au Sans Pareil », 1923. 2. Emmanuel Raïs et Jacques Robert, Anthologie de la poésie russe, Paris, 1947. Rev. Êtud. slaves, Paris, LIV/4, 1982, p. 567-582.

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s'emploient encore moins à versifier des traductions. Ajoutons à ces difficultés générales celle que présente Blok en particulier : nul n'a trouvé l'équivalent français du dol'nïk que Blok a « canonisé » en poésie russe. Comme conclut Fumet, « la poésie française chante autrement. Elle doit, comme Paul Claudel ľa exposé — et il le sait si bien qu'il a créé un vers prodigieux pour illustrer cette science —, amener tout le train du verbe, plus ou moins légèrement, jusqu'à la dernière syllabe de l'idée, sur laquelle enfin la voix appuie ». Autrement dit, la poésie française, sourde à la romance depuis Verlaine et Apollinaire, se veut volontiers méta physique... Néanmoins, juste à la veille de la guerre mondiale, était parue une remarquable Anthologie des poètes russes1 due au poète et traducteur Jean Chuzeville. Préfacée par Valère Brioussov, elle était le fruit d'une certaine intimité intellectuelle établie entre la Russie « symboliste » et la France de Remy de Gourmont, de René Ghil, du Mercure de France. Le panorama que donne Chuzeville est riche et bien représentatif de l'âge symboliste en Russie. Dans sa courte présentation de Blok, Chuzeville insiste sur la simplicité du poète qui, selon lui, a eu le mérite de ne pas se laisser entraîner « vers les idées purement spéculatives » . Il note que Blok n'a presque pas subi d'influence française, hormis celle de Verlaine. Son genre favori, nous dit-il, est la ballade et le lied. « Moins sensualiste que chez Kouzmine, avec une nuance de douleur, dans la passion, moins crispée que chez Brioussov, avec quelque chose du libre enthousiasme de Balmont, il me semble que c'est dans cette poésie que la sensibilité moderne a trouvé sa plus parfaite interprétation. » Les traductions de Chuzeville sont en vers réguliers, la plupart en décasyllabes. Elles ont du charme, malgré leurs inexactitudes, mais certaines ressemblent un peu trop à des pastiches de Musset ou de Gautier... Je citerai parmi les plus réussies ľ« Inconnue » (Незнакомка) et « Venise » (Венеция). Le livre de Chuzeville témoigne d'un degré d'intimité avec la poésie russe qu'on ne retrouvera pas avant trois décennies au moins... Il est vrai que les échanges culturels entre la France et la Russie ne seront restaurés que beaucoup plus tard. La guerre de 1914 ne permit pas à l'ouvrage de Chuzeville de jouer son rôle pleinement. C'est par les Douze que Blok revint à l'attention du public français. La toute première traduction française des Douze fut celle de Serge Romoff, parue à Paris en 1920 aux éditions de « la Cible ». Romoff vivait à Paris depuis 1905. Il était typographe, puis avait fondé une petite maison d'édition. En 1918, il crée une revue d'inspiration socialiste (La Forgé) que patronnent Romain Rolland et Barbusse ; en 1920, il fonde à Paris une « Union des artistes russes » qui est favorable au nouveau régime soviétique et, en 1922, une petite revue en langue russe : Udar (« Le Coup »). Jusqu'en 1928, date de son retour en U.R.S.S., Romoff a joué à Paris un rôle d'animateur et d'organisateur des rapports culturels franco-sovié tiques, organisant à l'automne 1922 le banquet en l'honneur de Maïakovski ou encore créant avec Zdanievitch une troupe théâtrale. La traduction des Douze qu'il fit paraître en 1920 inaugure en quelque sorte cette activité. Elle comporte quelques ornements graphiques de Mikhaïl Larionov. Malheureusement, elle est très faible, quasiment illisible aujourd'hui, et elle ne joua aucun rôle notable dans la « réception » de Blok en France. La traduction de Sidersky, qui date de 1923 et qui se veut «définitive», comporte, elle, quelques mauvaises reproductions des dessins d'Annenkoff pour 1. Jean Chuzeville, Anthologie des poètes russes, Paris, 1914.

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l'édition russe de 1920. La traduction se distingue de celle de Romoff par un effort pour agrémenter le texte de rimes à l'emporte-pièce. Il y a des réussites, mais noyées dans des maladresses de style, des fautes de traduction, un usage abusif et raté de l'argot. Notons qu'à cette époque paraît, sans date, une édition en russe des Douze et des Scythes publiée à Paris par une éphémère maison d'édition « Michel » . Elle comporte quelques dessins de M. Larionov et N. Gontcharova. Le texte n'en est pas sûr : c'est ainsi que l'éditeur a abusivement « corrigé » les incorrections de style voulues par Blok {Елекстрический фонарик)... La mort de Blok fut signalée dans Clarté par un article très lyrique de Pierre Pascal, qui résidait alors à Moscou. Ici et là le nom de Blok apparaît soit en liaison avec l'annonce de la mort du poète, soit en rapport avec une traduction des Douze. La N.R.F. cite le nom de Blok en novembre 1921, en mai 1923, en février 1924. En mai 1928, dans le volume XXX de cette même revue, paraît un extrait des Derniers fours du régime impérial, extrait intitulé « l'abdication du tsar »* . La traductrice est Hélène Izvolsky, fille du dernier ambassadeur tsariste à Paris. La traduction intégrale parut à Abbeville en 193 12. Hélène Izvolsky rajouta pour cette édition une courte préface à caractère historique. On peut relever que le nom de Blok y est orthographié à l'allemande : BŁOCK . Détail surprenant, le catalogue de la Bibliothèque nationale à Paris attribue le livre au père du poète. On peut, dès 1923, noter ce qui sera une des constantes de la « réception » de Blok en France : ce sont les milieux chrétiens, et surtout chrétiens de gauche, qui s'intéressent à Blok. La figure du Christ à la fin des Douze est la grande cause de cet intérêt. Ainsi la revue catholique Foi et Vie publie le 16 décembre 1922 un article d'un auteur orthodoxe, C. Motchoulski, intitulé « Un maître de la poésie russe contemporaine, Alexandre Blok». L'article résume bien l'itinéraire de Blok et il met l'accent sur la vision qu'a Blok de la Russie, patrie pécheresse mais préservant «l'étincelle de foi». Au sujet des Douze, Motchoulski écrit : «On ne saurait comprendre la composition très compliquée des Douze qu'à la lumière de ses poésies précédentes. C'est un poème de destruction, le chant d'une bourrasque affolée qui envahit et ravage toutes les valeurs sociales et politiques. Un mouvement vertigineux vous emporte, une libertée effrénée et indomptable vous enivre. On se souvient de la volupté au bord du précipice dont a parlé Pouchkine3 » . Notons également que le théologien protestant Wilfred Monod, ami de Berdiaeff, consacra le 14 octobre 1923 une prédication donnée au célèbre Oratoire du Louvre précisément à la signification religieuse du poème des Douze* . Motchoulski publiera plus tard, à Paris également, une importante et remar quable monographie sur Alexandre Blok en langue russe5 . D'autres éditions rel igieuses s'intéresseront, pendant la Deuxième Guerre mondiale, à la poésie et au message de Blok, mais nous y reviendrons plus bas. L'émigration russe en France a également joué un rôle dans la « réception » de Blok en France. C'est ainsi que parut en janvier 1923, dans le Mercure de France6 , la traduction d'un article de Zénaïde Hippius : « Mon ami lunaire, Alexandre Blok » . 1 . Nouvelle Revue française, XXX, mai 1928, p. 631-650. 2. Alexandre Block [sic] , les Derniers Jours du régime impérial, Paris -Abbeville, NRF, 1931 (traduit par Hélène Izvolsky). 3. Foi et Vie, cahier A, 16 déc. 1922, Paris. 4. Pastem Wilfred Monod, les Douze, Paris, Fischbacher , 1923. 5 . Konstantin Močuľskij, Александр Блок, Paris, YMCA-Press, 1948. 6. U Mercure de France, t. CLXI, n • 590, 15 janv. 1923, p. 289-326.

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L'article avait d'abord été publié en russe dans une revue russe trimestrielle parais santà Paris, Okno. И sera repris en russe dans le recueil Živy e lica (« Visages vivants ») à Prague, en 1925. Hippius raconte ses rapports avec Blok en insistant sur le rôle joué par Biely et sur l'ambition qu'avait Blok de devenir « viril » et « responsable », surtout après la mort du nouveau-né Mitia, son fils. L'article rapporte l'ultime rencontre avec Blok, dans un tramway en 1921, alors que tout séparait, idéologiquement, ces deux êtres. En 1929 parut dans la collection « Panoramas des littératures contemporaines », à Paris, le premier et (pour longtemps) le meilleur ouvrage d'ensemble consacré à la nouvelle littérature russe contemporaine : Littérature russe de Vladimir Pozner1, un autre émigré, ancien «frère de Sérapion», mais, contrairement à Hippius, appartenant au camp prosoviétique de l'émigration.

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