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UT (OU VEUT) L\ THÉORIE DU THÉÂTRE ?

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N o t o n s , pour commencer, la crainte, la méfiance, pour ne pas dire la peur que provoque plus que jamais toute approche théorique. Repérable dans le domaine des études littéraires, cette méfiance est encore plus marquée dans le domaine du théâtre chez les praticiens. Ceux-ci ne voient souvent aucune utilité immédiate dans leur pratique à ces elaborations théoriques sophistiquées qui décortiquent leur travail en tranches parfaitement homogènes et en systèmes somme toute assez éloignés des démarches et des concepts à l'origine de leur travail de création. Pourquoi, dès lors, feraient-ils l'effort d'entrer dans ces systèmes aux constructions complexes ? Car même s'ils expliquent - partiellement tout du moins - l'œuvre achevée, ils se révèlent souvent impuissants à traiter de l'œuvre en gestation. Ce problème demeure entier, encore aujourd'hui. La théorie est intimidante par sa nature même, d'une part, parce qu'elle bénéficie du préjugé que notre société cultive à l'égard des constructions intellectuelles et, d'autre part, parce que les différentes théories ressemblent parfois à des citadelles imprenables. Elles mettent souvent en place tout un réseau de mots, de concepts, de structures, de modes de pensée parfois obscurs où le profane a quelque peine à s'aventurer sans guide. L'entrée dans la forteresse exige de vastes efforts dont le prix ne se mesure pas toujours au résultat obtenu. En outre, de nombreuses forteresses coexistent sans qu'il soit possible de ménager des passages de l'une à l'autre. Le chemin qui mène à chacune d'entre elles est unique, long et souvent ardu. L'effort est donc sans cesse à recommencer pour chacune des citadelles et des approches choisies. Ajoutons à ces observations de surface la remarque suivante faite par Jonathan Culler, dans son introduction à The Point of Theory, et l'on aura un aperçu des raisons qui motivent la résistance des individus à l'égard de la théorie : The most intimidating feature of theory in the eigthies is that it is endless [...]. Theory can seem obscurantist, even terrorist in its ressources for endless upstagings [...]. The unmasterability of theory is a major cause of resistance to it [...]. A good deal of the hostility to theory no doubt comes from the fact that to admit the importance of theory is to make an open-ended commitment, to leave oneself in a position where there are always important things one doesn't know2 (Culler, 1994 : 14).

2. « L'une des caractéristiques les plus intimidantes des constructions théoriques des années 1980 est le fait qu'elles sont sans fin [...] La pratique de la théorie peut paraître obscurantiste, même terroriste par la surenchère permanente qu'elle implique [...]. L'absence de capacité à maîtriser la théorie

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L'ANNUAIRE THÉÂTRAL

Il faut donc à toute personne qui s'aventure dans le domaine théorique l'humilité de reconnaître qu'elle n'en aura jamais complètement fait le tour, et que des pans entiers de savoir lui échapperont infailliblement. Telle est la loi de la finitude humaine. À ces premières constatations, qu'il ne faut pas minimiser même aujourd'hui, s'ajoutent des raisons plus profondes qui tiennent à l'évolution des études théoriques elles-mêmes au cours de la dernière décennie. En effet, après l'expansion conquérante des théories dans les années 1960 et 1970 et l'impérialisme qui les a accompagnées, les années 1980 marquent un coup d'arrêt. Chercheurs et critiques se rendent compte alors que, dans cette formidable explosion des théories qui a bouleversé sans aucun doute nos modes de pensée et d'approche des œuvres, l'œuvre elle-même s'est perdue quelque peu, devenue souvent prétexte à des elaborations complexes n'entretenant plus avec l'œuvre de départ que des rapports lointains. Les espoirs placés dans certains systèmes théoriques conquérants se sont révélés vains : le progrès n'était pas toujours au rendez-vous. On pense au structuralisme, à la sémiologie en particulier. Les chercheurs en sont revenus de cette volonté scientiste qui a marqué l'époque structuraliste et celle qui a suivi, époque dont la sémiologie conquérante a signé le déclin en révélant sa propre impuissance à comprendre et à pénétrer les systèmes avec autant de rigueur qu'elle l'eut souhaité. Cet aveu d'échec a donné lieu à une méfiance généralisée contre les théories globalisantes, méfiance qui reflète celle que notre temps oppose aujourd'hui aux idéologies fortes, à prétention totalitaire. Il était donc normal qu'une correction de trajectoire se fasse et que d'autres approches, de nature plus modeste dans leurs ambitions, voient le jour.

Une approche marquée par la pluralité

Des changements sont donc survenus à l'égard de la théorie, de son rôle, de ce que l'on attend d'elle. Il ne lui est plus demandé désormais de tout englober, de tout expliquer. Elle peut être fragmentaire, partielle, ne plus répondre à toutes les questions, mais simplement aider à les poser. Elle devient l'instrument qui permet d'interroger l'œuvre, de l'explorer pour en faire émerger non plus le sens mais les sens qui l'habitent.

est une des causes majeures de la résistance qu'on lui oppose [...] Une partie de l'hostilité que la théorie suscite vient, sans aucun doute, de ce que l'importance de la théorie implique un engagement sans limite et la nécessité d'accepter que certains aspects importants du savoir échapperont toujours à notre maîtrise ». (Nous traduisons.)

QUE PEUT (OU VEUT) LA THÉORIE DU THÉÂTRE ?

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La conviction est désormais établie qu'il n'existe plus de modèle unique permettant de comprendre un système. Le chercheur n'est plus en quête de modèles à appliquer, de grilles d'analyse permettant de décoder des systèmes différents, de structures fondamentales. Il déconstruit l'œuvre. Des concepts vastes se sont substitués à des concepts plus pointus : on parle de postmodernisme, d'interculturalisme, de culture. Dans tous ces cas, les notions ne renvoient plus à des mouvements clairement définis auxquels adhéreraient les chercheurs comme ils ont pu le faire pour le structuralisme, la socio- ou la psychocritique; elles renvoient tout au plus à de vastes courants de préoccupations auxquels les artistes eux-mêmes restent souvent étrangers. Les références théoriques en sont donc venues à faire appel à la pluralité. Des approches multiples, moins dogmatiques se sont substituées aux théories plus proprement disciplinaires, empruntant simultanément à diverses disciplines les instruments dont elles pouvaient avoir besoin : sociologie, anthropologie, philosophie, science. Les recherches de Ilya Prigogine et Isabelle Stengers sont exemplaires en ce sens, mais non parce qu'elles offrent des modèles utilisables dans le domaine artistique. Elles sont exemplaires par la démarche même de ces deux scientifiques qui n'hésitent pas à renverser des barrières séculaires entre science et philosophie, à faire dialoguer Boltzmann et Bergson, Schrodinger et Zenon pour poser la question de l'irréversibilité du temps (1979, 1988). On pense aussi aux travaux de Jacques Monod, de René Thom. Ce n'est précisément que dans cette pluralité des approches qu'il est encore possible de penser la théorie aujourd'hui.

Les théories instaurent des perspectives inattendues

Peut être faudrait-il s'arrêter quelques instants pour tenter de cerner ce qu'est la « nature » de la théorie, si tant est que la question puisse avoir un sens. Question essentialiste, me dira-t-on. Soit. J'en assumerai le risque. Je ne reprendrai pas ici certains développements à ce sujet faits ailleurs (Ferai, 1985, 1993), qui tentaient de préciser les différentes acceptions du mot et le sens que le mot « théorie » peut avoir pour le théâtre, mais je me pencherai plutôt sur l'usage que les chercheurs eux-mêmes font de la notion ainsi que de la « chose ».

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L'ANNUAIRE THÉÂTRAL

La difficulté à cerner un tel concept vient précisément de ce que, dans le domaine artistique, et plus spécifiquement dans celui du théâtre, le concept demeure flou et qu'il s'applique indifféremment aux chercheurs qui réfléchissent sur l'œuvre artistique une fois achevée et présentée au public (par exemple, les travaux d'Anne Ubersfeld, de Marco de Marinis, de Theresa de Lauretis) tout comme aux praticiens qui tentent de théoriser leur propre savoir (Jouvet, Craig, Appia, Stanislavski, Meyerhold, par exemple)3. La multiplicité des pratiques théoriques entraîne certes une confusion de la notion, mais cette confusion est partie intégrante de la théorie elle-même lorsqu'on l'applique au domaine du théâtre et, plus généralement, au domaine artistique. Pour démêler cette confusion, j'ai à ce propos tenté ailleurs de distinguer entre les théories de la production et celle de l'œuvre achevée, appelées théories

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