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Heptaméron dissertation

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Par   •  27 Novembre 2018  •  Dissertation  •  2 276 Mots (10 Pages)  •  1 742 Vues

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Dissertation de Littérature française

                par Camille Eloy

Introduction :

        L'Heptaméron de Marguerite de Navarre est un recueil de 72 nouvelles racontées par des devisants basé sur le modèle du Décaméron de Boccace. Femme de lettres, Marguerite de Navarre écrit au cours du XVIème siècle, elle manifeste un grand intérêt pour l'évangélisme et se sert de son écriture pour faire passer des idées par des nouvelles attractives et comiques. Dans son œuvre, les devisants content chacun leur tour des courtes histoires dénonçant divers points comme la vénalité de l'église catholique. Les différentes nouvelles semblent être tirées de faits réels, pourtant Nicolas Le Cadet écrit dans L'évangélisme fictionnel « Marguerite de Navarre n'a pas pleinement rompu avec l'univers de l'affabulation, et le problème du choix du médium fictionnel reste finalement entier. Gageons que cette persistance du mensonge fictionnel est pleinement voulue par la Reine, et ce, malgré tout l'éventail des procédés qu'elle emploie pour garantir au contraire l'authenticité référentielle et spirituelle du recueil. Ne s'agit-il pas pour elle de reconnaitre humblement que les récits issus de l'observation partiale de narrateurs-devisants eux-mêmes mis en scène par une narratrice invisible, conservent néanmoins une part d'affabulation et n'ont pas la prétention de coïncider avec le logos divin ? ». Finalement, à travers ces propos, Nicolas Le Cadet remet en question l'oeuvre de Marguerite de Navarre : il pose le problème de la véracité des nouvelles. Il parle  « d'affabulation », c'est-à-dire de déformation fantaisiste des faits, mais aussi « d'observation partiale », ce qui sous-entend la prise de parti pour ou contre quelqu'un ou quelque chose sans souci d'objectivité. On perd alors tout le côté réaliste des nouvelles que vante Marguerite de Navarre. Le « logos divin » fait référence à la parole divine que l'écrivaine défend, c'est-à-dire la parole évangélique.

        On peut donc se demander en lisant ces propos, où se place l'Heptaméron par rapport à cette frontière entre récit fictionnel et récit factuel. Nous verrons dans un premier temps qu'il s'agit d'une œuvre qui se veut en apparence véridique et authentique grâce aux différents procédés utilisés, mais dans un second temps nous verrons que de nombreux doutes surgissent à la lecture de l'oeuvre, et enfin nous verrons que cette semi rupture « avec l'univers de l'affabulation » cache en fait l'intérêt de l'Heptaméron.

        

        Dans cette partie nous verrons qu'il s'agit d'une œuvre véridique en apparence. En effet dès le prologue c'est Parlamente qui propose ce passe-temps et qui fixe donc les quelques règles : « chacun dira quelque histoire qu'il aura veuë ou bien ouy dire à quelque homme digne de foy ». Il s'agit donc de se raconter des récits vrais entendus ou vus.

        Marguerite de Navarre utilise différents procédés pour appliquer cette règle de véracité. D'abord, au début de chaque nouvelle on retrouve des bouts de phrases qui annoncent que le récit s'est vraiment passé. Avec cela, les devisants prouvent en quelques sortes qu'ils n'inventent pas leur histoire. Par exemple avant de conter sa nouvelle, Dagoucin dit aux devisants « que ma véritable parolle suyvie de signes et miracles, vous y face adjouster foy, je vous reciteray une histoire advenuë depuis trois ans ». Et au début de la nouvelle neuf, lorsqu'il entame son récit il ajoute « mais asseurez vous que la chose est véritable ». D'autres nouvelles débutent par des propos similaires. A la nouvelle soixante-neuf Saffredent ajoute, lorsqu'elle fait la description de son héroïne, « que j'en aye point veu ». A travers ces quelques mots elle fait comprendre qu'elle a vu ce qu'elle va raconter, ce qui nous conforte dans l'idée qu'il s'agit d'une histoire authentique.

        De plus, Marguerite de Navarre utilise des lieux connus, mais aussi des grandes têtes de l'époque pour ancrer le lecteur dans un réel contexte. Les devisants mentionnent des lieux et des époques proches. Le lieu le plus loin évoqué est le Canada (nouvelle soixante-sept), mais sinon, les autres nouvelles se déroulent en Espagne (nouvelle dix), en Italie ou bien tout simplement en France dans les endroits connus de l'écrivaine. Les nouvelles se passent en général sous les trois derniers rois de France. Aussi, elle mentionne souvent des personnes connues comme François Ier, des grands rois et reines, voire elle-même.

        Mais parfois, en opposition aux grands noms que l'écrivaine évoque, Marguerite de Navarre joue avec l'anonymat de ses personnages dans les nouvelles. A plusieurs reprises les devisants ne citent pas le nom des héros de la nouvelle pour éviter que l'on puisse les reconnaître. Encore une fois cela nous montre la véracité du récit. Par exemple à la nouvelle trente-six, Emarsuitte tait le nom d'un personnage : « en la ville de Grenoble y avoit un président dont je ne diray le nom ». Ou bien encore à la nouvelle vingt-deux : « en la ville de Paris y avoit un prieur de Sainct-Martin-des-Champs, duquel je tairay le nom, pour l'amitié que je luy ay portée ». A travers cela, les devisants montrent qu'ils ont un lien avec leur récit, ce qui prouve leur volonté de dire de vraies histoires.

        On peut donc dire que Marguerite de Navarre utilise divers procédés pour nous conforter dans la réalité des histoires racontées tels que l'anonymat, le cadre spatio-temporel...  Le format de la nouvelle appuie également cette idée d'authenticité avec les différents devisants qui peuvent se confronter. Cependant, il faut se méfier du sens « d'histoire » et faire attention aux détails des différents récits qui peuvent semer le doute.

        Dans cette partie nous verrons que derrière cette volonté de réalité dans les nouvelles, il y a des indices qui nous prouvent le contraire. L'authenticité des histoires des devisants est à remettre en question. D'ailleurs, il est bon de rappeler que le sens d'histoire est double. En effet, son sens premier concerne l'Histoire, ce qui englobe tout les évènements et faits passés de l'humanité. Alors que le second sens amène une ambiguïté : « récit portant sur des évènements ou des personnages réels ou imaginaires, et qui n'obéit à aucune règle fixe, anecdote visant à divertir », définition du Larousse. Il faut donc se méfier des indices de réalité exprimés plus haut et les étudier avec attention.

        Même si Marguerite de Navarre met en avant une certaine discrétion quant à ses personnages, dans quelques nouvelles on peut reconnaître aisément l'identité de ces derniers issus de célèbres contes. Par exemple, dans la nouvelle trente, dans le Languedoc, une mère couche avec son fils ignorant l'identité de celle-ci. Un enfant nait de cette union, et des années plus tard l'enfant, devenu une jeune fille, rencontre son père, frère sans le savoir. Ils tombent amoureux et se marient en suivant. Cette histoire d'inceste rappelle fortement le mythe d'Oedipe, le jeune homme qui s'unit avec sa propre mère sans le savoir. On peut donc imaginer que Marguerite de Navarre s'inspire d'anciens contes ou légendes pour écrire ses nouvelles. De plus, les coïncidences sont bien trop présentes pour que les récits soient vrais. En reprenant l'exemple de la nouvelle trente, il y a tout de même peu de chances pour que le jeune homme se retrouve au même endroit que sa fille et qu'il en tombe éperdument amoureux. Même si Marguerite de Navarre utilise un contexte réel, l'histoire ne l'est pas nécessairement.

        Aussi, avec une approche narratologique qui apparaît dans les années 70, on sait qu'il existe à l'intérieur des récits des indices formels qui permettent au lecteur de savoir s'il est devant un récit fictionnel ou factuel. Par exemple, La fiction peut accéder à l'intériorité des personnes alors que le narrateur du récit factuel n'a pas accès à tout ça. Dans L'Heptaméron, à plusieurs reprises le devisant connait les pensées intérieures de leur personnage. Par exemple dans la nouvelle vingt-trois, à la page 291, on a une focalisation zéro dans le passage en italique car c'est Oisille, la narratrice, qui parle. Ensuite on a les pensées de la femme, héroïne du récit : « elle tomba en tel désespoir qu'elle fut non seulement divertie de l'espoir de tout chrétien doit avoir en Dieu, mais fut du tout aliénée du sens commun, oubliant sa propre nature ». Il y a donc un glissement d'une focalisation interne vers un point de vue omniscient, celui de Oisille, et enfin un retour à la focalisation interne de la femme. Ces passages prouvent que le récit ne peut être véridique.

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