Le personnage du roman n’est-il qu’un révélateur de la société qui l’entoure ? Princesses de Clèves
Commentaire d'oeuvre : Le personnage du roman n’est-il qu’un révélateur de la société qui l’entoure ? Princesses de Clèves. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Ad3ral • 11 Mai 2022 • Commentaire d'oeuvre • 2 942 Mots (12 Pages) • 497 Vues
Le personnage du roman n’est-il qu’un révélateur de la société qui l’entoure ?
Le roman s’est progressivement éloigné de ses aspects merveilleux ou invraisemblables pour se rapprocher du réel. Dans ce mouvement, le personnage, ancré dans la société dans laquelle il évolue, joue un rôle centrale, s’inscrivant dans un contexte historique et social dont il est le représentant. Est-ce à dire pour autant que le personnage de roman n’est qu’un révélateur de la société qui l’entoure ? Autrement dit, la seule fonction du personnage de roman n’est-elle que de refléter la société ? N’a-t-il pas d’autres rôles ? S’il est vrai que le personnage se construit en lien au contexte dans lequel il vit, n’offre-t-il pas aussi, outre que la société, une découverte et une révélation de lui-même tout au long de son cheminement ? Et n’est-il pas, au-delà de ces éléments, porteur d’une esthétique romanesque qu’il révèle ?
Le personnage de roman est révélateur de la société qui l'entoure tout d'abord parce qu'il s'inscrit dans un contexte historique et social. En effet, le plus souvent le personnage de roman est issu d'un groupe social, dont il est emblématique dans un contexte donné et qui va conditionner son histoire. C'est bien la cas pour la Princesse de Clèves, personnage éponyme du roman de Madame de Lafayette qui est à l'image de la société aristocratique de la deuxième moitié du 16e siècle sous Henri II. Ainsi dès les premières pages du roman, défile une galerie de portraits des personnages les plus prestigieux de la Cour : après le rois et les reines, nous sont présentés le prince de Clèves « digne de soutenir la gloire de son nom ; il était brave et magnifique », le duc de Nemours « un chef-d'œuvre de la nature », et Melle de Chartres, présentée comme « une des plus grandes héritières de France », « un des grands partis qu'il y eut en France ». Ainsi la future Princesse de Clèves, lorsqu’elle paraît à la cour et y « attira les yeux de tout le monde », donnant « de l'admiration dans un lieu où l'on était si accoutumé avoir de belles personnes », est à l’image de cette société de cour que les premières du roman présente de façon élogieuse : « jamais cours n'a eu tant de belles personnes et d’hommes admirablement bien faits ». Bien plus, elle va devenir une des favorites de la reine dauphine Marie Stuart, future reine de France, et se trouve donc introduite d'emblée dans les sphères les plus hautes de la cour. Il en est de même, quoique dans un tout autre contexte et deux siècles plus tard avec Gervaise, personnage principal du roman de Zola l'Assommoir : cette fois c'est le peuple de la deuxième moitié du 19e siècle qui nous est présenté à travers ce personnage monté de sa province à Paris et qui va connaître la misère et la déchéance dans le quartier ouvrier de la Goutte d'Or, au milieu du monde ouvrier. L'histoire de ces personnages est véritablement conditionnée à la société dans laquelle ils évoluent et qu'ils incarnent.
De ce fait, les personnages romanesques révèlent bien souvent les codes de la société de leur temps. Évoluant dans une société donnée, ils sont soumis à la pression morale et sociale de leur temps. C'est le cas pour la Princesse de Clèves, soumise à la fois au codes aristocratiques et à sa condition de femme dans cette société : sa mère veut pour elle un mariage prestigieux et sans les intrigues de Madame de Valentinois, la maîtresse du roi, elle aurait épousé le Prince de Montpensier, selon les codes en vigueur dans cette société. Son mariage avec le prince de Clèves n'est pas un mariage d'amour, mais de raison : elle n'a « aucune aucune inclination particulière pour sa personne », mais seulement « de l'estime ». Elle se comportent selon la « bienséance » et se plie volontiers au choix de sa mère. Bien plus, le duc de Nemours est à l'image de cette société : « chef-d'œuvre de la nature », caractérisé par son adresse, son élégance et son pouvoir de séduction, il manifeste une disposition toute particulière à la galanterie, et son aisance à répondre à la Dauphine lors de la scène de rencontre au bal, tout en faisant un compliment La Princesse de Clèves témoigne de ces qualités mise en avant à la cour d'Henri 2. Dans une tout autre société, celle de la Monarchie de Juillet au 19e siècle, Flaubert dans Madame Bovary, met en scène Homais, le pharmacien, incarnation de la suffisance, du pédantisme et de la réussite insolente de la bourgeoisie de son temps. Il assomme les Bovary de son discours pseudo-scientifique à leur arrivé à Yonville, est responsable de l'échec de l'opération du pied bot par Charles et c'est dans sa pharmacie qu’Emma s'empare du poison qu’elle avalera. Le personnage reflète donc la société de son temps, mais il la révèle aussi en s’y confrontant.
Le personnage n'est pas seulement le produit du contexte, il se construit aussi sur le décalage, voir le conflit avec la société. Ce conflit est essentiellement un conflit de valeurs. C'est sur ce conflit que repose la trame du roman de Madame de Lafayette : c'est justement parce qu'elle refuse de céder aux intrigues et à la galanterie en vigueur à la Cour que la Princesse de Clèves, par fidélité à son mari le Prince de Clèves, et surtout à l'éducation que lui a dispensée sa mère Madame de Chartres, pour rester fidèle à son idéal de vertu et de sincérité, n’a de cesse de vouloir se retirer à la campagne, loin des tentations et des rumeurs de la Cour. Ainsi, malgré les demandes réitérées du Prince de Clèves qui la presse de rejoindre la Cour, elle se saisit d’abord du prétexte de son chagrin à la mort de sa mère pour fuir la Cour, puis le prie de la laisser à Coulommiers lors de la scène de l'aveu. Cette distance spatiale entre Paris et le choix de la solitude loin de l'agitation de la Cour traduit le besoin de la Princesse d'échapper à la pression de la société de son temps. La Princesse de Clèves va ainsi découvrir les dessous de cette Cour grâce aux récits fait par sa mère qui lui conte l'origine de la relation entre le roi Henri 2 et la duchesse de Valentinois, d'abord maîtresse de son père François 1er avant de devenir la maîtresse officielle du fils alors qu’elle a vingt ans de plus que lui, mais aussi par la Dauphine et par son propre mari le Prince de Clèves qui lui révèle la duplicité insoupçonnée de Madame de Tournon qui avait promis le mariage à deux hommes. C'est précisément ce conflit entre personnage et société qui va révéler les rouages et les dysfonctionnements de cette société et ainsi les dénoncer. Le choix final de la Princesse du repos et du retrait qui fait d'elle un modèle de vertu s'oppose aux « exemple si dangereux » de la Cour caractérisée ainsi dans la première partie : « Il y avait tant d’intérêts et tant de cabales différentes, et les dames y étaient tant de part que l'amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l'amour. Personne n’était tranquille, ni indifférent ; on songeait à s’élever, à plaire, à servir ou à nuire ; on ne connaissait ni l’ennui, ni l'oisiveté, et on était toujours occupé des plaisirs ou des intrigues. » Au 20e siècle, Anne Desbaresdes dans Moderato Cantabile de Marguerite Duras arrive ivre au repas qu'elle donne chez elle et c'est ainsi apparaître le conformisme bourgeois qu'elle transgresse par son attitude. Quant à Thérèse Desqueyroux, personnage éponyme du roman de Mauriac, sa tentative d'empoisonnement contre son mari en fait une rebelle au milieu de la grande bourgeoisie de province. Le personnage révèle ainsi la société de son temps par la tension qu'il crée, mais il se réveille aussi lui-même.
Ainsi, lorsque la Princesse de Clèves paraît à la Cour, elle est très jeune et totalement inexpérimentée, comme en témoigne son embarras lors du bal au cours duquel elle est soumise au regard et aux propos intrusif du Roi et des Reines. Tout autre sera son comportement lors de la dernière entrevue avec Nemours : cette fois, c'est elle qui domine le rapport de force comme le montre son discours très structuré, montrant un personnage affirmé, déterminé et ayant acquis une maturité étonnante. Or c’est l'exploration du sentiment amoureux né de sa rencontre avec le duc de Nemours lors du bal de fiançailles entre le duc de Lorraine et Claude de France qui va impulser cette transformation est révéler véritablement le personnage à elle-même et au lecteur. Sa personnalité et ainsi révélée en profondeur par les nombreux monologues réflexifs qui ponctuent son parcours au sein du roman. Ainsi, après qu'elle a réécrit la lettre de Mme de Thémines avec Nemours, elle prend conscience de ses sentiments pour le duc, s'interroge sur ce qu'elle veut et décide de s'éloigner de ce dernier. Tout au long du roman, le conflit entre raison et passion va révéler un personnage avant tout soucieux de se préserver et dont le choix sera toujours celui de la raison, mettant en lumière sa vertu et sa droiture. L’aveu à son mari, le prince de Clèves, qu'elle en aime un autre, mais que jamais elle ne lui sera infidèle, témoigne bien de cet aspect essentiel du personnage de Madame de Lafayette. On retrouve cette métamorphose du personnage au 20e siècle dans le roman de Marguerite Duras Moderato Cantabile où Anne Desbaresdes vit une véritable révolution intérieure grâce à sa relation à Chauvin et sa fascination pour le crime passionnel qui révèle en elle la soif d'amour la conduisant à faire voler en éclats les bonnes manières de son millieu pour se révéler à elle-même. Outre cette découverte, le personnage de roman a aussi vocation à être porteur de la vision de l'auteur.
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