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Musset , "On ne badine pas avec l'amour"

Commentaire de texte : Musset , "On ne badine pas avec l'amour". Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  22 Mai 2022  •  Commentaire de texte  •  3 380 Mots (14 Pages)  •  442 Vues

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CORRECTION DU COMMENTAIRE LITTERAIRE AU BAC BLANC

Musset, On ne badine pas avec l’amour (1834)

Les scènes de « témoin caché » durant lesquelles un personnage assiste secrètement à un dialogue entre d’autres personnages sont fréquentes au théâtre. Ce procédé de mise en abîme est par exemple utilisé dans la tragédie classique de Racine, Britannicus : Néron, caché derrière un rideau, assiste aux adieux forcés de Junie à Britannicus. Cette configuration permet bien souvent de tenir en haleine le spectateur, car il ressent d’autant plus la menace tragique qui plane sur les personnages.

Dans son drame romantique en trois actes de 1834, On ne badine pas avec l’amour, le célèbre dramaturge et poète romantique Alfred de Musset réinvestit ainsi la scène classique de « témoin caché » en la mêlant à une autre scène classique, celle des aveux amoureux, au moment le plus crucial de la pièce : son dénouement. Ce dénouement, qu’on pourrait d’abord croire heureux, prend ici une tournure tragique quand Rosette, la victime innocente des errances sentimentales de Perdican, amoureux de Camille alors qu’elle s’est consacrée à Dieu, perd la vie. Les appels désespérés des personnages à une instance supérieure, Dieu, qui encadrent l’extrait, laissent une impression glaçante aux spectateurs : même repentis, les personnages qui ont « badiné » avec l’amour subissent les foudres d’un ciel inflexible.

Comment ce dénouement tragique qui captive l’attention du spectateur tant par le suspens que par une vive représentation romantique des passions laisse-t-il voir une portée morale ?

Nous étudierons le dynamisme d’une scène de dénouement qui vire au tragique, puis nous analyserons le théâtre des passions et des images romantiques mis en valeur par cet extrait. Enfin, nous interrogerons la portée religieuse et morale de ce dénouement.

I UNE SCENE DE DENOUEMENT VIRANT AU TRAGIQUE

II LE THEÂTRE DES PASSIONS DANS UN DRAME ROMANTIQUE

III LA PORTEE RELIGIEUSE ET MORALE

        Le dénouement de la pièce de Musset tient particulièrement les spectateurs en haleine entre l’espoir d’une fin heureuse et la menace tragique.

La construction de l’extrait favorise en effet un certain suspens. Alors que dans son monologue, Camille, seule en scène (l. 1 à 4), reproche directement à Dieu sa propre faiblesse face à l’amour, comme on le constate par l’enchaînement de questions interrogatives introduites par l’anaphore de l’adverbe interrogatif « Pourquoi » et l’utilisation du pronom personnel de deuxième personne du pluriel de politesse « vous » pour s’en prendre à Dieu, l’entrée immédiate de Perdican offre la possibilité d’un repentir et d’une fin heureuse pour les personnages. Le spectateur peut avoir momentanément l’impression que Dieu se montre clément envers ce couple qui a « badiné » avec l’amour, c’est-à-dire joué de leurs sentiments respectifs. Les aveux sincères de Perdican et Camille les rapprochent. Ainsi, ils se retrouvent réconciliés jusque dans la grammaire. L’on remarque en effet plusieurs emplois du pronom de première personne du pluriel, qui lie enfin les deux personnages (« Insensés que nous sommes ! », et le pronom réciproque dans  « Nous nous aimons. » l. 11, repris exactement par Perdican l. 22 puis repris par Camille l. 24 ; également le partage du pronom « les nôtres » l. 14). Cette réconciliation culmine par la scène classique du baiser qui scelle l’alliance des amants (l. 27, didascalie « Il l’embrasse »).

Au moment où la scène bascule vers la tragédie à partir de la didascalie de la l. 27, « on entend un grand cri derrière l’autel », le suspens au sujet du sort de Rosette peut frapper le spectateur. La didascalie « Camille sort », l. 37, participe aussi de ce suspens car on ne sait pas ce qui se passe dans le hors-scène (à moins qu’il faille seulement l’interpréter comme le respect de la règle théâtrale de bienséance selon laquelle on ne doit pas voir des personnages mourir sur scène). Le monologue final de Perdican, adressé à Dieu, se présente enfin comme une sorte de miroir du monologue de Camille, et le spectateur peut croire jusqu’au bout à l’efficacité de la supplique de Perdican, parallèle à l’efficacité qu’avait eue le monologue de Camille. L’emploi du futur dans les promesses de Perdican (« trouverai ; réparerai ; sera ») donne l’espoir d’un dénouement heureux, comme le suggère aussi l’emploi de l’adverbe de temps « encore » à la ligne 42, qui donne l’impression qu’il leur reste du temps. Le mot « mari » employé l. 40 peut même rappeler les dénouements heureux qui sont en vigueur, à l’époque classique, dans les comédies, où tout se termine traditionnellement par au moins un mariage, et souvent l’amélioration de la situation financière de quelques personnages (idée présente ici dans la promesse « elle sera riche », l. 41).

Ce dénouement s’inscrit pourtant principalement dans le registre tragique : alors que les personnages se débattent contre le sort, la menace du fatum (la fatalité tragique), planant tout le long de l’extrait, est bel et bien accomplie brutalement. Les spectateurs ne manqueront pas de voir et d’entendre depuis le début de l’extrait tous les indices tragiques : la scène du « témoin caché » rappelle, comme nous l’avons vu, les meilleurs moments de la tragédie classique, et la présence cachée de Rosette que les mises en scène chercheront à mettre en avant, constitue une épée de Damoclès qui plane sur le dénouement de la pièce. L’adresse à la divinité dans la première réplique n’est pas non plus anodine : dans les tragédies, les dieux offensés scellent les destinées des personnages. Le nom « orgueil » de la l. 6 peut alors rappeler l’hybris (l’attitude orgueilleuse) qui est traditionnellement condamné par les dieux et mène à tous les récits tragiques de la littérature antique. Ce sous-texte tragique est renforcé par l’adjectif « fatal » de la l. 6, référence directe à la fatalité tragique. L’idée d’être « nés l’un pour l’autre » l. 8 confirme une conception de la vie des personnages non pas régie par le hasard, mais par une destinée, malheureuse ici (le verbe à l’imparfait « étions » rejette dans le passé la possibilité d’une destinée heureuse).

Par la suite, dans la tirade de Perdican, les deux occurrences de l’auxiliaire « falloir » au passé composé (« Il a bien fallu que… » l. 19 et l. 21) renforcent l’idée que le destin malheureux des personnages était scellé d’avance. Au moment où Rosette crie, c’est un pronom impersonnel « on » (l. 27) qui est employé, comme pour conserver un suspens qui sert le tragique. En employant une périphrase l. 28 pour désigner Rosette, « ma sœur de lait », Camille évite de la nommer, et elle emploie elle-même le pronom impersonnel « on » l. 31 ne nommant pas explicitement Rosette, comme pour repousser encore l’issue tragique, ainsi que le font les personnages qui se débattent jusqu’au bout contre leur destinée. La réplique finale de Camille est particulièrement brutale car elle est très laconique. La phrase « Elle est morte. » rappelle la brièveté de l’annonce faite à Achille dans l’Iliade : « Patrocle est mort ». Cette phrase simple, courte et affirmative ressort par rapport aux phrases complexes ou chargées d’intonations (exclamative ou interrogative) du reste de l’extrait, ce qui fait culminer la douleur tragique du dénouement. La toute dernière phrase, « Adieu, Perdican ! » provoque enfin une séparation brutale du couple central de la pièce. L’on peut se dire qu’ils ne sont pas morts et qu’il reste par conséquent un espoir pour eux malgré la mort de Rosette : la fin est alors plus ouverte que dans les tragédies classiques. Peut-être qu’à l’instar de Rodrigue et Chimène dans Le Cid de Corneille, les personnages pourront dépasser leurs conflits dans le futur. Mais cet « adieu » final incite plutôt à s’imaginer un dénouement résolument tragique par sa brièveté et toute l’histoire que ce mot porte en tragédie classique (« … et pour jamais adieu » de Bérénice à Titus dans la Bérénice de Racine).

        Ce dénouement s’inscrit par ailleurs pleinement dans le mouvement du romantisme qui se développe au XIXe siècle. Musset met en effet en scène la violence des passions de ses héros dans un style particulièrement imagé.

        Même si cette pièce n’est pas écrite en vers comme pouvaient l’être des drames romantiques de Victor Hugo à la même époque, la prose utilisée reste particulièrement poétique. Les répliques de Perdican sont, tout d’abord, souvent construites de façon que les mots et les thèmes se fassent écho entre eux, ce qui leur donne un effet de litanie poétique. Ainsi, à la ligne 6 dans la réplique de Perdican, l’ « orgueil » est directement interpelé par la question « qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? », question qui revient l. 9 « qu’es-tu venu faire sur nos lèvres » avant que l’ « orgueil » ne soit une nouvelle fois interpellé. Cette structure en chiasme donne du rythme au passage, et la boucle formée donne bien l’impression que l’orgueil enserre les personnages et les tient prisonniers, ce qui était bien au centre de leur intrigue. Même constat avec l’adjectif « insensés » qui encadre la tirade de Perdican (l. 11 et l. 21). Même si Camille apparaît moins grandiloquente que Perdican, ses répliques ne sont pas non plus dépourvues de musicalité, comme le suggère l’allitération en [p] dans « je ne puis plus prier » l. 4.

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