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Qu'est-ce qu'une oeuvre mineure ?

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Par   •  30 Mars 2017  •  Dissertation  •  3 453 Mots (14 Pages)  •  1 267 Vues

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Arthur HANNOUN                Qu’est-ce qu’une œuvre mineure ?                            30.09.16

  Dissertation de Lettres

De façon emblématique, Dirk Weissmann nous rappelle que c’est à un choix de traduction que l’on doit la naissance, en France, du concept « littéraire » de mineur. La traductrice Marthe Robert emploie ainsi pour la première fois le terme « littérature mineure » lorsqu’elle traduit dans les années 1950 l’expression de Kafka «kleine Literaturen» (« petite littérature »). Ainsi, la notion de ‘’mineur’’ pour ce qui est de qualifier une œuvre, en littérature, découle de cette traduction. Mais, en définitive, l’idée que véhicule ce mot est plus importante que le mot lui-même, puisqu’elle souligne le principe selon lequel il existerait une hiérarchie entre les œuvres. Une œuvre, du latin opera, désigne originellement l’objet créé par un être vivant, la manifestation d’une pensée. Il faut attendre le XVIIe siècle pour reconnaître un statut particulier à l’artiste. La production de l’œuvre et sa réception par la société importent beaucoup quant au jugement que l’on y porte de prime abord. Tous domaines confondus, qu’il s’agisse de littérature, peinture, sculpture ou musique, nous nous accordons à dire que toutes les œuvres ne se valent pas. Il est entré dans les mœurs de considérer Les Misérables d’Hugo, La Joconde de De Vinci, La Vénus de Milo ou encore la ‘’IXe Symphonie’’ de Beethoven comme des symboles majeurs de la richesse artistique humaine. Mais pourquoi celles-ci ? Comment ces œuvres là ont-elles su s’extraire du marasme artistique et de la profusion de productions plus ou moins transcendantes pour atteindre le firmament de l’esthétique et l’accomplissement de soi d’un artiste en quête de vérité ? Car enfin, de manière plus concrète, il s’agit ici de s’interroger sur la nature de l’œuvre, ce qui fait sa spécificité et sa qualité. Nous sommes alors en mesure de nous interroger de la manière suivante : qu’est-ce qui fait la valeur d’une œuvre ? Qui peut en juger, et comment ? Pour y répondre, notre analyse passera par l’étude de différents points soulevés par cette problématique. En premier lieu, nous observerons la manière dont on peut établir la ‘’minorité’’ d’une œuvre, en se basant sur des critères objectifs, théoriques et techniques, qui induisent une approche froide et rigoureuse, qui ne saurait toutefois être complète. Pour palier à cela, nous nous intéresserons ensuite à l’idée selon laquelle il serait nécessaire de saisir une œuvre dans sa globalité, c’est à dire assimiler le point de vue de l’auteur et le considérer en tant qu’être humain, et tenter de saisir tous les pans de l’interprétation d’une œuvre pour la juger de la manière la plus éclairée possible. Enfin, il sera question de potentiellement remettre en cause la notion même de ‘’minorité’’ dans la mesure où elle dépend de facteurs trop variables et subjectifs pour être érigée en tant que principe universel.

        Penchons-nous tout d’abord sur ce qui touche à l’analyse d’une œuvre. Pour pouvoir définir une œuvre en tant que production mineure, il faut savoir en juger. Des critères, des canons ont pour cela été instaurés pour fonder les bases d’une analyse rigoureuse. Aristote le premier, dans sa Poétique, établit une classification des différents genres littéraires et définit les grandes lignes de certains aspects, comme le héros tragique ou encore les conditions d’une pièce de théâtre qui réunisse les unités de lieu, de temps et d’action. Ainsi, serait œuvre mineure celle qui aurait été composée de manière légère, sans qu’une grande importance ne soit accordée à ces principes, de manière assez libre. Une œuvre majeure peut de ce fait s’affirmer comme l’exemple type, la référence en matière de respect de ces mêmes principes. Il serait donc possible d’établir un jugement théorique, applicable de manière universelle, par une approche technique et rigoureuse. On retrouve aussi l’Art Poétique de Boileau, au XVIIe siècle, dans cette même idée de codifier la littérature dite moderne. Les critiques littéraires peuvent donc en partie se baser sur ces préceptes pour juger de la qualité d’une œuvre, bien que ce ne soit en rien un gage de qualité ou autre, puisqu’il faut ajouter à ce que nous disions précédemment que le respect des normes établies n’est en rien gage de qualité ; ainsi, une œuvre respectant les canons imposés par Boileau ou les autres théoriciens de la littérature ne sera pas forcément qualifiée de majeure. On retrouvera, au XIXe siècle, la fameuse ‘’Bataille d’Hernani’’, lors de la première représentation de la pièce de Victor Hugo : Anciens et Modernes s’affrontent sur la nature de cette production, et la transgression des règles classiques de laquelle la pièce s’est rendue coupable empêche catégoriquement les opposants au dramaturge de la considérer comme une œuvre majeure, chose qui sera faite dans les décennies et siècles qui suivront. La temporalité et le respect de ces règles possèdent donc une importance non négligeable dans la considération de cette dernière, dans le jugement de sa valeur.

Pour ce qui est des autres types d’œuvres, la théorisation de la peinture ou de la musique permet aussi de codifier les productions, et pour les critiques de s’appuyer sur une base théorique et technique solide. Pour cette dernière, chaque période possède ses codes et ses règles de composition : à l’époque baroque, les normes consistaient à utiliser de nombreux ornements et appogiatures dans la composition, ainsi que des instruments spécifiques, comme la viole de gambe ou le clavecin. Ainsi, les compositeurs les plus célèbres comme Beethoven ou Mozart, à l’époque classique, se sont basés sur ses principes pour leurs premières œuvres, mais ont su s’en éloigner à un moment de leur vie pour innover et en créer de nouvelles, majeures. Plus récemment, au XXe siècle, c’est la distanciation avec les règles de l’époque qui ont fait la notoriété du compositeur français Bernstein. Autodidacte, certaines de ses inspirations ou erreurs ont finalement donné naissance à de nouvelles œuvres d’une grande richesse. Le respect des canons, quel que soit le type d’œuvre dont il est question, est donc le meilleur moyen pour un critique de juger de sa qualité et de sa valeur. C’est donc finalement le seul recours pour le critique qui cherche à établir la valeur d’une œuvre, en la qualifiant de mineure ou majeure ; ce principe soulève cependant deux problèmes majeurs : le premier étant qu’il existe des œuvres mineures qui suivent les préceptes établis, alors que d’autres ne les suivent pas et restent considérées comme des œuvres majeures. Le deuxième revient à souligner qu’une œuvre ne saurait subir un jugement cohérent qui ne serait basé que sur certains critères techniques et rigoureux. Car pour comprendre une œuvre il faut la saisir dans son ensemble, souvent en faisant aussi appel à sa propre sensibilité. Nous pouvons donc considérer que les règles érigées par les puristes, les défenseurs des canons de la littérature, et de l’art d’une manière générale, représentent un bon outil d’analyse critique et technique pour juger de la valeur d’une œuvre, même s’il faut en souligner les limites. Voyons à présent comment la considération d’une production artistique, et spécialement littéraire, dans sa globalité peut permettre d’affiner la considération de cette dernière en tant qu’œuvre majeure ou mineure.

        Penchons-nous à présent sur ce qui fait véritablement une œuvre, pour comprendre la nature de certaines dans une forme de minorité. Il est important de souligner que les œuvres, quelles qu’elles soient, sont toujours produites par un être humain, c’est à dire une personne consciente qui éprouve des sentiments, qui pense et qui est capable de retranscrira sa sensibilité au moyen d’une toile, d’une page, d’un bloc de marbre ou encore d’une partition. Il apparaît ainsi comme essentiel de savoir considérer la part d’humanité de chacune, afin d’approcher un jugement le plus éclairé possible. Nous développons donc ici la deuxième raison pour laquelle une étude purement rigoureuse ne permet pas de juger correctement une œuvre : la technique et la théorie suffisent à se faire une opinion sur une machine, un objet sorti d’une usine. Mais l’esprit fécond de l’artiste nécessite une plus grande attention, une plus grande humanité et part accordée à la sensibilité : de ce fait, on peut par exemple considérer qu’un écrivain ne pourra jamais écrire que des œuvres majeures – encore faut-il qu’il en écrive – et sa production en contiendra forcément des mineures. On peut donc considérer qu’une œuvre mineure ne l’est jamais en soi, mais toujours par rapport à une ou plusieurs autres. Par exemple, Le Cid de Corneille est une œuvre majeure de sa production scripturale, du théâtre classique et même de la littérature française d’une manière générale. Un tel chef d’œuvre aura forcément tendance à occulter le reste des œuvres produites par le dramaturge, qui sans être mauvaise ni réellement peu influente sur la richesse littéraire de la période, seront tout de même considérées comme mineures. Une œuvre mineure est donc une œuvre qui se place en-deçà d’autres, en considérant l’ensemble des écrits d’un auteur, ou l’ensemble des toiles d’un peintre. Nous aurions tendance à ne citer que la Joconde de De Vinci, ou le plafond de la chapelle Sixtine de Michel Ange, car ce sont des œuvres majeures, les premières qui nous viennent à l’esprit, mais pourtant nous aurions tort d’oublier la Cène ou la Pietà, qui, bien que reléguées au second plan, du fait de l’ampleur artistique des premières, restent tout de même des chefs d’œuvres, qu’il serait grossier d’appeler ‘’œuvres mineures’’. Le seul point sur lequel on pourrait donc s’accorder serait celui selon lequel pourrait être considérée comme œuvre mineure toute production appartenant à un genre de seconde zone, ou encore écrite, peinte ou composée par un artiste lui-même peu influent et reconnu, voire même par un très grand artiste mais dont celles-ci n’auraient pas trouvé une place parmi les œuvres étant rentrées dans la postérité, comme les poèmes lyriques Messidor ou L’Ouragan, parus à la fin de sa vie. On peut donc établir le principe selon lequel toute œuvre n’ayant pas participé, de près ou de loin, à l’enrichissement d’un courant artistique, comme l’aurait fait Lamartine en 1820 avec ses Méditations Poétiques, à l’origine du courant Romantique. Pour reprendre les exemples de Corneille ou Zola évoqués précédemment, il faut souligner que chaque œuvre participe de l’ensemble. Ainsi, ayant souligné le fait que toutes ces productions provenaient de la technique d’un sujet humain, qui a donc choisi précisément chaque mot, en s’appuyant sur son goût, sa sensibilité et son style. De ce fait, nous pourrions considérer chaque œuvre émanant d’un même esprit comme un ensemble cohérent, comme les différentes pièces d’un puzzle qui recomposeraient la finesse et la pensée de l’artiste ou de l’auteur ; c’est à dire que, même pour comprendre les œuvres majeures d’écrivains majeurs, il ne serait pas inintéressant de lire aussi celles que l’on qualifie de ‘’mineures’’ pour acquérir une vision globale de la pensée de l’auteur, puisqu’encore une fois elles concordent toutes à affiner la direction que ce dernier souhaite donner à l’ensemble de sa production.                                                                                         Enfin, nous pourrions évoquer le cas de Sartre pour qui tout ce qu’il a pu écrire n’appartient qu’au genre mineur, seul son dernier est majeur puisque, dans sa quête de perfectionnement, et de progrès, chaque jour apporte un écrit de meilleure qualité que celui de la veille. Dans Les Mots, il explique : « je pense que je ferais mieux aujourd’hui et tellement mieux demain. (…) Mon meilleur livre, c’est celui que je suis en train d’écrire ; tout de suite après vient le dernier publié mais je me prépare, en douce, à bientôt m’en dégoûter. Que les critiques le trouvent aujourd’hui mauvais, ils me blesseront peut-être, mais dans six mois je ne serai pas loin de partager leur avis. A une condition pourtant : si pauvre et si nul qu’ils jugent cet ouvrage, je veux qu’ils le mettent au-dessus de tout ce que j’ai fait avant lui ; je consens que le lot soit déprécié en entier pourvu qu’on maintienne la hiérarchie chronologique, la seule qui me conserve la chance de faire mieux demain, après-demain, mieux encore et de finir par un chef-d’œuvre. » Ainsi, cette citation souligne bien tous les enjeux de notre sujet, d’une part l’idée selon laquelle la minorité d’une œuvre n’est qu’une question de temporalité, de la même manière que des auteurs méconnus de leur temps sont redécouverts ensuite, leurs écrits devenant des œuvres majeures (Les Tragiques, d’Agrippa d’Aubigné, d’une grande richesse dans la compréhension des conflits ayant opposé catholiques et protestant au XVIe siècle, oubliées pendant des siècles puis redécouvertes dans les dernières décennies), avec de manière sous-jacente l’idée selon laquelle toutes les œuvres possèdent leur importance dans la compréhension de l’ensemble. La notion d’œuvre mineure est de ce point de vue remise en cause, bien que l’on ait trouvé à la fois des critères techniques sur lesquels on pouvait approcher un jugement rigoureux, et les œuvres les moins influentes de certains grands auteurs, voire même les œuvres peu influentes d’auteurs peu influents, méconnus (Pierre Autin-Grenier, avec par exemple L’Ange au gilet rouge), ou encore de bonnes œuvres appartenant à des genres de seconde zone : Lise Jankovic étudie notamment la comédie de magie espagnole, genre mineur très répandu dans l’Espagne du XVIIIe siècle, dont « les dramaturges sont pour la plupart des auteurs de second rang », et ce sont des choix socio-politiques imposés par le haut qui décident environ des canons littéraires de l’époque. C’est en effet le passage, en Espagne, à la dynastie des Bourbons qui renforce le pouvoir des institutions et des éditeurs pour privilégier un retour au classicisme contre « les excès » immoraux de la comédie de magie. Nous venons de voir qu’il était important de considérer une œuvre dans la globalité de celles qui l’entourent, d’un même auteur, pour en saisir la quintessence et établir un jugement qui soit le plus éclairé possible. Cependant, la notion même d’œuvre mineure, bien que définissable dans une certaine mesure comme nous venons d’essayer de le faire, comporte malgré tout une grande, voire une immense part de subjectivité. Car, au-delà des critères froids et implacables qui sonnent le glas de la valeur d’une œuvre, au-delà du nombre de pentamètres iambiques que compte un poème, c’est son essence fondamentale et la manière dont elle va résonner dans l’esprit et dans le lecteur du lecteur, ou pour tout autre art chez le spectateur, devant un tableau ou une symphonie, c’est cela même qui va faire pour chacun la valeur de telle œuvre plutôt que de telle autre.

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