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Trouvez-vous suffisante cette conception de la poésie ?

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Par   •  7 Novembre 2018  •  Dissertation  •  2 622 Mots (11 Pages)  •  786 Vues

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Sujet : Dans sa préface au recueillement poétique (1839), Alphonse de Lamartine a écrit : « La poésie, c’est le chant intérieur. […] Je passe quelques heures assez douces à épancher sur le papier, dans ces mètres qui marquent la cadence et le mouvement de l’âme, les sentiments, les ides, les souvenirs, les tristesses, les impressions dont je suis plein … »

Trouvez-vous suffisante cette conception de la poésie ?

Le mot poésie vient du verbe grec poiein, qui signifie « produire », « créer ». Le poète possède dès lors un pouvoir de création verbale qui exploite les ressources inépuisables de la langue. La poésie est un travail sur les mots, un art du langage qui vise à exprimer ou suggérer des idées en jouant sur les sonorités, le rythme et la musicalité. A l’origine, la poésie était chantée ; on l’accompagnait d’une lyre, en référence au mythe antique d’Ovide Orphée aux Enfers. C’est ainsi que nait la notion de poésie lyrique ; chaque auteur révèle une partie de son âme dans son œuvre en faisant partager ses sentiments et ses émotions. Alphonse de Lamartine définit la poésie dans sa préface au Recueillement poétique comme étant « le chant intérieur. […] Je passe quelques heures assez douces à épancher sur le papier, dans ces mètres qui marquent la cadence et le mouvement de l’âme, les sentiments, les ides, les souvenirs, les tristesses, les impressions dont je suis plein … ». Néanmoins, la poésie se limite-t-elle seulement à l’expression des sentiments personnels ? Nous verrons dans un premier temps que la poésie est effectivement définie par le lyrisme ; dans un second temps, nous montrerons que celle-ci peut aussi servir à décrire son époque ; enfin, nous finirons par étudier son pouvoir de transformation du monde.

Certes, la poésie est un moyen pour le poète d’extérioriser ses sentiments, notamment par le biais du registre lyrique. Elle lui permet de coucher, sur le papier, ses émotions, sa sensibilité ou encore son intimité. Le lyrisme est ainsi une tonalité majeure de la poésie ; elle se retrouve partout, du Moyen-Âge avec les troubadours jusqu’au XXème siècle avec les poèmes d’Aragon ou d’Eluard. La poésie lyrique est centrée sur l’auteur lui-même ; elle chante ses bonheurs, ses joies, comme ses malheurs, ses doutes et ses craintes. Le poète est ainsi disposé à faire transparaitre sa joie, sa gaité ou encore son amour pour la femme aimée à travers ses écrits. Paul Verlaine, dans son « Rêve familier », déclame sa passion et son attirance pour un être inconnu. Cet amour est possessif et intégral, puisque son cœur « Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème. » L’anaphore « pour elle seule » illustre à juste titre cette impression de dévotion totale que le poète éprouve pour sa bien-aimée ; il n’aime qu’elle, et elle n’aime que lui. Sa voix, « lointaine, et calme, et grave » rappelle même des souvenirs heureux à ce dernier ; il se remémore des « voix chères qui se sont tues ». Dans « Ma Bohème » de Rimbaud, le poète est en proie à un enthousiasme enivrant depuis sa récente fugue, comme nous le montre l’apostrophe « Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées ! ». Il s’agit d’un vagabondage heureux et insouciant. Ce voyage n’a aucun but ; le poète erre au gré du hasard et de ses fantaisies. On a même l’impression qu’il fusionne avec la nature, un thème particulièrement prisé par les auteurs lyriques, et que Rimbaud reprend lui-même à de nombreuses reprises dans son recueil Poésies.

La poésie peut donc avoir pour fonction d’exprimer les sentiments heureux éprouvés par le poète, en utilisant des apostrophes et des hyperboles pour amplifier ses émotions. Néanmoins, ces sentiments sont parfois tout autre ; le poète évoque alors ses souffrances, ses malheurs et ses craintes. La poésie est en effet souvent reliée à la mélancolie et au désespoir. L’inspiration poétique proviendrait même, selon Musset, de cette souffrance : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux », écrit-il. L’amour peut être une source de malheur, comme le fut par exemple Jeanne Duval pour Baudelaire, qui lui voue un amour passionnel mais vain. Le poète est souvent un être malheureux, mais l’amour n’est pas la seule cause de son désarroi. Il est parfois en proie à un mal plus profond, appelé « spleen ». Il s’agit d’une sensation de vide, d’ennui de toute chose, ressenti par un grand nombre de poètes du XIX ; la poésie devient alors le seul moyen pour eux d’exprimer leur insatisfaction. En plus de ce dégout du monde, le poète recherche parfois un idéal, un monde meilleur. Baudelaire, dans poème « Elévation » (Les Fleurs du Mal), exprime son désir d’ascension vers un idéal qu’il ne peut trouver sur Terre. Il cherche à s’éloigner de « ces miasmes morbides », des « ennuis » et des « vastes chagrins » qui empoisonnent la société de son temps. On retrouve l’idée d’un monde meilleur, imaginaire, situé « au-dessus des étangs, au-dessus des vallées » ; « par-delà le soleil, par-delà les éthers ». Mallarmé ressent quant à lui, dans Poésies, des tourments si profonds que seule la mort lui parait libératrice : « j’ôterai la pierre et me pendrai ». Le langage est cru, brutal ; le poète ne cherche pas à ménager le lecteur de ses souffrances personnelles. La poésie se fait alors plainte élégiaque et engendre des méditations sur la mort.

La poésie permet donc ainsi au poète d’exprimer ses sentiments de manière lyrique, que ce soit dans l’amour, le spleen ou encore la plainte élégiaque. Cependant, la poésie n’est pas centrée uniquement sur la personnalité et les émotions du poète. Elle permet également de décrire le monde et est tournée vers l’extérieur.

Beaucoup d’auteurs consacrent leurs poèmes à la description de la nature ou de la ville. La première, très prisée dans la poésie lyrique, est élogieusement décrite à l’aide de détails précis et fait appel aux différents sens du lecteur. Dans « Le dormeur du val » écrit en 1870, Rimbaud nous fait le portrait d’une nature belle et paisible, dans lequel le soldat est assoupi. Le poète utilise le lexique des sensations, comme l’odorat avec l’expression « frissonner sa narine », l’ouïe, avec « chante une rivière », ou encore le toucher avec « baignant dans le frais cresson bleu » afin de souligner les sensations agréables éprouvées par le dormeur. Celui-ci fait presque corps avec la nature, puisqu’il est « étendu », « bouche ouverte » ; il s’abandonne paisiblement à « ce trou de verdure ». La répétition de la préposition « dans » sous-entend même une possible fusion entre le soldat endormi et la nature. La ville, quant à elle, est un sujet abordé à partir du XIXème siècle, notamment suite à la rénovation entière de Paris sous la direction du grand architecte Haussmann. Le poète est témoin de ces grands changements, qui deviennent pour lui une source d’inspiration. Rimbaud dit ainsi, dans sa lettre à Paul Demeny, « le Poète se fait voyant » ; il a le privilège de rénover le regard de la société sur l’environnement. Ainsi, dans son poème « Paysage », Baudelaire présente au lecteur son « Paris rêvé ». La ville prend une dimension presque humaine, comme l’illustrent les personnifications « des jets d’eau pleurant dans les albâtres » et « des oiseaux chantant soir et matin ». La nature et les quatre éléments (« eau », air, terre, feu) sont de ce fait des personnages évoqués de manière récurrente dans cette section des Fleurs du Mal, Tableaux Parisiens. La poésie permet donc de décrire le monde des auteurs, qui assistent à de profonds changements de leur environnement ; elle est tournée vers l’extérieur. Elle a également la faculté de dépeindre la société des poètes et la condition humaine en s’inspirant de leur propre quotidien.

Ainsi, certains poètes se rapprochent du réel en décrivant les moments les plus banaux issus de la vie quotidienne, poussant le lecteur à modifier sa perception du monde. Ils utilisent des détails précis, comme des indicateurs spatio-temporels et des adjectifs qualificatifs, dans le but de renforcer le réalisme de leur poème. Par exemple, Jacques Prévert, dans « La grasse matinée » issu du recueil Paroles, transpose le lecteur dans une situation qu’il connait bien afin de le confronter à sa propre réalité. Les points d’ancrage sont réalistes : « six heures du matin », « zéro francs soixante-dix », « deux tartines beurrées » ; le lecteur peut donc facilement s’y reconnaitre et porter une autocritique sur lui-même. Prévert porte un jugement sur ce quotidien par l’anaphore du vers « Il est terrible », répété comme un refrain. De plus, le poète peint parfois de façon très réaliste la vie dans tout ce qu’elle a de plus cruel. C’est ce fait Ronsard dans son célèbre poème « Je n’ai plus que les os » ; la mort est annoncée de façon crue et brutale, notamment par l’énumération d’adjectifs dévalorisants « décharné, dénervé, démusclé, dépulpé » qui accentue l’aspect hideux de la décalcification. C’est sa propre mort qui est ici évoquée, comme le montre la répétition du pronom personnel « je » (« je semble, « je n’ose) et les déterminants possessifs « mes » (« mes chers amis, « mes bras », « mes yeux »). Le poète peut donc prendre la liberté de dépeindre les images les plus macabres et lugubres du monde par le biais des outils qu’offrent la création poétique, et ainsi changer le regard du lecteur sur lui-même et sur la société qui l’entoure.

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