Dissertation sur le théâtre niveau hypokhâgne
Dissertation : Dissertation sur le théâtre niveau hypokhâgne. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar harmensse • 18 Février 2018 • Dissertation • 2 440 Mots (10 Pages) • 3 587 Vues
Composition française.
Sujet :
Dans son essai intitulé Le sujet dans le théâtre contemporain (L’Harmattan, 2007, p. 220), Serge Bonnevie affirme :
« En reprenant le terme d’Anne Ubersfeld, le théâtre est « signifiant », car il donne du sens au monde qu’il représente ; il signifie à l’homme un certain nombre de problèmes qui donnent lieu à une réflexion par l’intermédiaire des « histoires » (ou situations) qu’il représente. Il n’y a pas de théâtre sans une signification donnée sur le monde, une esthétique ; il n’y a pas de théâtre sans « sujet » ».
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Introduction :
Dans le « prologue » de La Machine infernale de Jean Cocteau, la voix protatique apostrophe ainsi le spectateur : « Regarde, spectateur, remontée à bloc, de telle sorte que le ressort se déroule avec lenteur tout le long d’une vie humaine, une des plus parfaites machines construites par les dieux infernaux pour l’anéantissement mathématique d’un mortel. » D’emblée, cette voix indique le sens à donner à l’histoire qui va se dérouler sous les yeux du spectateur ou du lecteur : le mythe est ici doté d’un fort pouvoir signifiant, et la durée de l’intrigue, mécanique implacable, est en réalité prétexte à une réflexion sur la cruauté des dieux, la fatalité qui s’abat sur un mortel. Le mythe d’Œdipe va donc être pour le dramaturge l’occasion de réfléchir sur les rapports entre les hommes et les dieux, sur la fatalité et le libre-arbitre. Autant de problèmes auxquels le spectateur va pouvoir réfléchir à son tour à mesure que la représentation de l’histoire d’Œdipe se déroulera sous ses yeux. C’est pourquoi, Serge Bonnevie établit un parallèle strict entre théâtre et signification dans Le Sujet dans le théâtre contemporain, lorsqu’il affirme : « En reprenant le terme d’Anne Ubersfeld, le théâtre est « signifiant », car il donne du sens au monde qu’il représente ; il signifie à l’homme un certain nombre de problèmes qui donnent lieu à une réflexion par l’intermédiaire des « histoires » (ou situations) qu’il représente. Il n’y a pas de théâtre sans une signification donnée sur le monde, une esthétique ; il n’y a pas de théâtre sans « sujet » ». En empruntant à Anne Ubersfeld la notion de théâtre signifiant, Serge Bonnevie s’inscrit d’emblée dans une définition sémiologique du théâtre. Pour Ubersfled, en effet, le théâtre est « un référent (un réel) qui fait signe »[1]. C’est donc postuler que le théâtre articule un signifiant et un signifié. Pour Bonnevie, cette articulation est celle de la représentation et du monde représenté : le théâtre exhibe le monde sur scène, il le donne à voir et l’explicite. C’est pourquoi il repose sur une intrigue, une fable (Bonnevie parle d’ « histoires » ou de situations, donc d’un cadre, d’une trame) pour mettre en lumière des « problèmes », c’est-à-dire des contradictions, des apories, ou plus simplement une réflexion sur l’homme et sur le monde. Le théâtre est alors pour Bonnevie exemplaire, car l’exemple que constitue l’intrigue, ainsi que l’esthétique propre au théâtre (le langage, la scène, etc.), font signe vers la rationalité, et s’adressent à l’intelligence du spectateur ou du lecteur. D’où la notion de sujet, qui recoupe celle de signification : le sujet désigne tout à la fois la matière d’une pièce et son sens, son essence.
Dès lors, pour Serge Bonnevie, l’intrigue est toute entière au service d’une réflexion qui semble extérieure au théâtre lui-même, et s’imposerait à la conscience du lecteur ou du spectateur. Cette conception didactique du théâtre laisse pourtant peu de place à l’émotion, au jeu, qui semblent constituer un pôle non négligeable de la représentation. Par ailleurs, Bonnevie réduit le théâtre à l’intrigue, sans se préoccuper du statut des personnages ou du langage. Peut-on ainsi réduire le théâtre à cette seule vocation didactique ? Le risque est en effet grand de tomber dans les pièges et les impasses du théâtre à thèse, voire d’ignorer complètement les spécificités du théâtre. Comment finalement concilier exigence de sens et théâtralité ?
Certes, l’art dramatique semble bien tout entier dirigé vers une signification qui amène le lecteur ou le spectateur, à partir d’une intrigue, à une réflexion sur l’homme et sur le monde. Néanmoins, cette réduction du théâtre au sens conduit à ignorer l’importance capitale des passions, portées par des personnages, et relègue hors du champ de l’art dramatique les pièces ou scènes qui ne font pas sens, et bien au contraire déconstruisent le sens. Dès lors, il semble préférable d’articuler théâtre et signification en un tout autre « sens » : le théâtre se signifierait lui-même.
I. Théâtre et signification.
1. Théâtre et représentation signifiante du monde.
a. aux sources du théâtre, la « mimesis » ou le « miroir de concentration » du monde. Analyse ici de la position aristotélicienne, reprise et infléchie par Hugo dans la « préface » de Cromwell.
b. vocation didactique et moralisatrice du théâtre. Exemple du théâtre humaniste, conception « classique » de la catharsis. Rappeler aussi la triple fonction du théâtre dans la Grèce antique : fonction sociale, politique, religieuse. Donc l’histoire est support d’une réflexion sur le monde et sur l’homme. Voir Jacqueline de Romilly, mais aussi la préface de Phèdre de Racine sur le sens à donner à cette tragédie. On peut aussi ici s’appuyer sur les analyses de Lucien Goldmann, dans Le Dieu caché : Racine et les moralistes jansénistes.
c. d’autant que spectacle impose un dispositif au spectateur récepteur. La distance entre la salle et la scène, le quatrième mur, qui permet cette réflexion. Briser l’illusion théâtrale pour amener le spectateur à réfléchir. Voir Brecht sur le théâtre épique et la distanciation.
2. d’où les histoires, et l’esthétique, supports de ce sens.
a. le statut de l’histoire et des situations au théâtre : l’intrigue, la fable. La construction à partir du dénouement. Le primat de l’action, donc. Voir la structure de Rodogune, pièce construite autour du dénouement spectaculaire, ou celle de « la folle journée », toute entière tendue vers le dénouement.
b. l’esthétique au service du « docere ». Tout au théâtre, même l’esthétique, est au service de l’idée, de l’exemplarité. Ainsi le langage dramatique comme langage rhétorique qui sert les trois grands genres traditionnels : le délibératif, le judiciaire, l’épidictique. Voir aussi les analyses d’Ubersfeld sur la signification au théâtre : c’est par l’esthétique, la parole et les signes de la scène, que passe le message. Elle distingue ainsi les fonctions locutoires, illocutoires et perlocutoires. A illustrer avec l’acte I scène 3 de Phèdre : « Tu le veux ? Lève-toi. / Parlez : je vous écoute. » Ou avec la tirade étudiée de La Place royale (III, 6) : ce sont les réactions feintes d’Alidor qui expliquent le revirement d’Angélique.
c. enfin, les moyens que possède le théâtre pour s’ériger en exemplarité. Les sentences, le chœur, l’inscription dans les bienséances au XVIIe siècle. Voir Paul Bénichou sur l’idéal aristocratique du héros cornélien, par exemple. Reprendre la forte fonction didactique et morale des sentences dans Les Juives de Garnier et le théâtre humaniste dans son ensemble.
3. enfin, le sujet qui s’impose au lecteur / spectateur.
a. d’où le sujet, problème exposé par le biais de l’histoire. Voir Aristote, le théâtre est chose plus philosophique que l’histoire, car il dit l’universel, le plausible, alors que l’histoire dit ce qui a été, le contingent. Donc lien fort entre le sujet et le sens.
b. sujet qui doit pousser le spectateur à la réflexion. => mythes. Voir le problème des réécritures : derrière une histoire, des problèmes fondamentaux se posent et sont réinterprétés par différents dramaturges (analyse du mythe d’Œdipe, ou d’Electre, de l’Antiquité à la psychanalyse). Thèse ici de Domenach pour compléter ce point. D’autant que le théâtre peut être le lieu d’expression de forces « sacrées », comme dans la tragédie grecque, mais aussi dans le « théâtre de la cruauté » d’Artaud.
c. donc aller jusqu’au problème du théâtre « engagé », autour du théâtre à thèse. Celui des Mains sales de Sartre, par exemple.
II. Néanmoins, impossibilité de réduire le théâtre à l’histoire comme support d’un sens.
- des « histoires » ou des caractères ? Le statut des passions au théâtre.
- pour un théâtre des caractères. Bonnevie oublie en effet l’importance des personnages en mettant uniquement l’accent sur les histoires et les situations. S’il faut en effet un mouvement dramatique pour qu’il y ait action, Aristote parle tout de même de personnages en action. Donc si l’on peut à la limite concevoir un théâtre sans personnages, force est de reconnaître que l’intérêt du théâtre réside dans l’apparition de personnages attendus, comme Cléopâtre à l’acte II scène 1 de Rodogune, personnage emblématique de la théâtralité. Et la complexité, l’épaisseur dramatique de ces personnages, comme Alceste par exemple dans Le Misanthrope, ou Figaro dans la trilogie de Beaumarchais.
- Théâtre et règne des passions, non de la réflexion. S’il y a analyse, c’est celle des passions qui s’exposent sur la scène, passions tragiques ou comiques. Donc le théâtre n’est pas le lieu de la rationalité mais des passions. Exemple de Rodogune : Cléopâtre et la passion du pouvoir. Ou le fameux dilemme cornélien entre deux passions, l’amour et le devoir le plus souvent. Voir aussi la scène d’exposition de Cinna. Et Boileau lui-même qui recommande cette mise en avant des passions, sinon risque de ne pas toucher le spectateur, de le laisser froid. Ainsi l’exaltation des passions dans La Trilogie de Beaumarchais, l’analyse des sentiments.
- Plus encore, passage des passions aux pulsions. Voir l’analyse de Barthes sur les personnages raciniens.
- L’identification comme « placere » et « movere ». Et le pb. de la représentation.
- le statut de l’imagination et du merveilleux au théâtre : voir, c’est être emporté par des images. Statut de l’illusion théâtrale. Voir la persistance du merveilleux à l’Âge classique, contre la règle de la vraisemblance. Car le spectateur est frappé par ce merveilleux qui plait.
- Car le théâtre n’est pas une reproduction à l’identique, il enjolive ou dégrade, afin de viser la « catharsis ». Développer ici la thèse aristotélicienne de la « mimésis » et de la « catharsis ». S’il y a une leçon, elle passe par l’émotion. Et pour Aristote, la catharsis est purement interne, car le théâtre purge les passions qu’il a excités. Reprendre ici l’exemple d’Œdipe analysé par Aristote.
- C’est donc un « art à effets », art du grossissement, du jeu aussi, qui plait et touche. S’il ne vise pas l’imitation à l’identique, mais bien un travestissement de la réalité, le théâtre s’inscrit alors dans la facticité, le grossissement, selon Ionesco, dans Notes et contre-notes.
- D’où la déconstruction du sens.
- Les apories de la signification : paradoxes et contradictions au théâtre. Ce grossissement ouvre sur la déconstruction du sens, qui n’est pas donné, et parfois jeu gratuit, comme dans les quiproquos comiques, voir George Dandin, I, 2, quiproquo entre Dandin et Lubin. Certes, portée sociale, familiale, etc de cette scène, mais avant tout scène destinée à divertir, à faire rire, donc comique de mots, de situation qui prime largement sur le sens.
- Le théâtre de l’absurde et la déconstruction du sens. Voir notre cours sur Fin de partie : la mise en avant des ficelles du théâtre par Hamm, la déconstruction de l’histoire ou de la situation, la déconstruction du sens même dans le questionnement de Hamm et Clov :
« HAMM. – On n’est pas en train de… de… signifier quelque chose ?
CLOV. – Signifier ? Nous, signifier ! (Rire bref.) Ah elle est bien bonne ! »
III. Le théâtre se signifie.
- monde du théâtre et théâtre du monde
- théâtre et réflexivité : la mise en abyme au théâtre, de L’Illusion comique à Fin de Partie de Beckett ou aux Paravents de Genet : le théâtre fait signe vers lui-même. Voir l’article de Bernard Dort dans Théâtres consacré à Genet : « Genet ou le combat avec le théâtre ». Le théâtre est glorification de l’image et du reflet, il est cérémonie de rien, car il fait signe vers la théâtralité. Donc s’il y a sens et réflexion, c’est un sens qui interroge le théâtre lui-même, ses possibles et ses limites. Application à L’Illusion comique.
- le theatrum mundi. D’autant que le monde est lui-même théâtre, donc appliquer la thèse baroque au théâtre, qui révèle non le sens mais la facticité du monde. De même, travail sur L’illusion comique, ou sur les dernières pièces de Molière, qui représentent sur le théâtre la folie universelle (cf. Le Bourgeois gentilhomme).
- Le jeu sur les codes comme construction d’un sens immanent au théâtre.
- Des significations plurielles, à construire.
- T et T’chez Ubersfeld. Donc le spectateur, le metteur en scène, etc. participent de ce sens, qui n’est en rien imposé au spectateur. Construction du sens qui signifie ici interprétation. D’où la multiplicité des mises en scène d’une même pièce. Ce texte théâtral est loin d’être pleinement signifiant, il est troué, lacunaire, incomplet, comme le souligne Ubersfled elle-même, il appelle les signes de la représentation.
- Le théâtre comme construction entre permanence du texte et fugacité des signes de la représentation, donc.
- Le langage dramatique, non l’action ou les caractères, comme porteur de la spécificité du théâtre. Le théâtre est art non du sens mais des langages.
- le théâtre et la diversité des langages : langages spécifiques au théâtre, comme le monologue, l’aparté, etc, qui fondent un sens. Ce n’est donc pas l’intrigue, pas même les personnages, mais le langage dramatique qui porte les significations d’une pièce. C’est ce que Barthes appelle la « théâtralité débordante » : ainsi le langage du corps, réhabilité par Artaud dans Le Théâtre et son double. On peut ainsi voir que Dom Juan meurt en donnant la main à la statue du commandeur, donc il redonne sens à un geste qu’il s’était toujours refusé à effectuer durant toute l’intrigue, fuyant autrui. Le théâtre est donc le lieu d’une stratification des langages qui se superposent ou se contredisent, portant ou annulant le sens.
- C’est dans cette notion de langage dramatique (voir l’essai de Larthomas) que se situe l’essence du théâtre, comme art total, travail sur le langage écrit, parlé, sur la musique, les langages spatiaux, corporels, etc. Voir l’exemple de la comédie-ballet chez Molière, apothéose du théâtre comme dans la « turquerie » du dernier acte du Bourgeois gentilhomme. Ici, le sens est éminemment théâtral : on ne peut corriger le fou, mieux vaut en rire et s’accommoder de la folie universelle dans la fête, le fameux ballet des Nations qui réconcilie tous les hommes autour du théâtre et de la célébration de ses pouvoirs.
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