L'Étranger De Camus
Mémoires Gratuits : L'Étranger De Camus. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresde Meursault comme une représentation
théâtrale même si l’ensemble de ce drame se déroule dans un décor dysphorique
qui signale la déshumanisation progressive. C’est peut-être ce jeu multiple et
ses enjeux qui devraient faire le charme de la problématique de l’écriture
ironique de Camus. C’est aussi cette rigoureuse théâtralisation qui marque les
caractéristiques de l’ironisation camusienne. D’où l’abondance des réseaux
lexicaux et des métaphores liés à la notion de spectacle.
Le moi infantile
Dans l’Etranger
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de Camus, on dirait que Meursault retombe en enfance par un
retour en arrière régressif. En effet celui-ci nous apparaît la plupart du temps
comme un enfant naïf. Le fait qu’il dise «maman» au lieu de dire «ma mère» est
très révélateur. La façon d’appeler sa mère témoigne son refus de socialiser la
relation aux êtres : «maman», c’est justement le mot de l’enfant et du rapport
intime. Le mot «mère», c’est la définition formelle de cette relation socialisée.
Même si l’on dit «maman» à sa mère, on dit «mère » lorsque l’on parle d’elle
aux autres. Comme un enfant, sa nature sensuelle le met en rapport intime
avec le monde naturel : la mer, le ciel, le soleil.Il qualifie encore les gens de «gentils» comme Raymond ou de «méchants»
au cours de son jugement. Tous ces marqueurs lexicaux de la candeur de
son personnage nous le révèlent comme un nouveau Candide qui démontre
les contrefaçons de la justice et de la comédie sociale. A l’exemple d’Uzbek,
Synergies Turquie n° 2 - 2009 pp. 87-104
Murat Demirkan89
de Candide, de Migromégas, et de l’Ingénu, Meursault voit défiler devant ses
yeux les gestes absurdes vides de sens des comportements humains. Sous la
lumière nouvelle de son regard enfantin, exempt de préjugés, il ne prend
rien au sérieux : «tout cela (lui) a paru un jeu.» (p. 100). Comme il ignore le
fonctionnement de la justice, il s’étonne avec candeur que l’instruction de
son procès s’effectue sans lui : «le juge discutait les charges avec mon avocat.
Mais en vérité, ils ne s’occupaient jamais de moi, à ces moments-là.» (p. 110)
Il avoue lui-même son ingéniosité et sa candeur lorsqu’il décrit en ces termes
cette parodie de justice : «Tout était si naturel si bien réglé et si sombrement
joué que j’avais l’impression ridicule de faire partie de la famille.» (p. 110)
Le procédé qui consiste à créer un regard étranger afin de se livrer à une
critique humoristique de son propre milieu n’est pas du tout une nouveauté
spécifique à Camus. Bien avant lui, Montesquieu dans Les Lettres persanes
(1721), avait tourné en dérision la société française du XVIIème siècle, en
inventant la correspondance entre deux Persans venus à Paris et leur famille
restée en Perse. Par ailleurs, Montaigne faisait déjà parler, dans le chapitre
intitulé «des cannibales» de ses Essais (1580), des Indiens du Brésil et racontait
leur étonnement face au fonctionnement de la monarchie et face aux inégalités
sociales existantes en France.
En ignorant certains interdits sociaux, Meursault semble totalement méconnaître
la hiérarchie des valeurs imposées par le jeu social. Il ne fait pas le culte formel
obligé à la mémoire de la mère, que la société exige de ses membres. Il ne joue
pas en effet le jeu social pendant la cérémonie de l’enterrement. Meursault ne
parvient pas à se reconnaître dans le personnage adulte d’un criminel que la
justice a fait de lui. Par une nouvelle candeur encore, «il allait même lui tendre
la main, mais il s’est souvenu à temps qu’il avait tué un homme.» (p. 100)
Comme Freud le signale, ici le sens de l’humour résulte donc d’une comparaison
entre le moi social et le moi infantile. Il signale par ailleurs que c’est cette
dégradation vers l’enfance qui crée le regard humoristique et la situation
comique. Il s’agit d’un comique involontaire procuré par un naïf qui a des traits
infantiles. Comparé au moi adulte, ce naïf nous apparaît comme un enfant et il
nous offre le plaisir des jeux d’antan
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.
Le détachement impassible
La façon de voir Meursault semble ignorer les catégories morales du bien et du
mal. Par conséquent comme Candide et Uzbek, Meursault est un vrai étranger,
comme le titre du roman l’indique bien, dans ce monde de conventions où il est
nécessaire de connaître les règles du jeu moral pour bien jouer son rôle social.
Bien que l’étrangeté vienne du comportement serein et mou du personnage à
l’enterrement de sa mère, selon nous la vraie bizarrerie provient surtout de la
façon dont le récit est narré. Car Meursault, dans son rôle d’autobiographe, est
un narrateur humoriste qui ne veut rien cacher. Restant fidèle à la description
impassible de la vérité, son regard humoriste est étranger aux conventions
de la représentation romanesque de sa personne. C’est pourquoi il n’adhère
pas aux mythes collectifs de la représentation de la vie et de sa déformation
en comédie. L’entêtement de Meursault est donc la volonté de ne pas vouloir
L’absurde et l’humour dans l’Etranger de Camus90
devenir un comédien comme les autres personnages qui portent un masque
d’apparence façonné.
La situation narrative est celle de la focalisation interne comme l’exemple
de Julien Sorel. La perception descriptive s’effectue à travers le filtre de la
conscience de Meursault comme celui du personnage de Stendhal. Ainsi le
personnage et le narrateur se confondent l’un l’autre dans la mesure où le
narrateur ne raconte que ce que voit Meursault.
Par le regard candide de ce personnage, nous suivons comment le procès se
déroule, quelle ambiance y règne et quelles sont les attitudes des gens qui assistent
à ce jugement. Meursault lui-même devient un spectateur de son procès par une
distance humoristique. Ne faut-il pas justement parler ici plutôt d’un éclatement
entre son moi d’à présent et son moi de tantôt. Le surmoi de Meursault console le
moi de ce personnage, il trouve même des nouvelles consolations devant la mort.
Ainsi ce détachement humoristique parvient à neutraliser la souffrance du sujet
qui a besoin de recourir à cet humour cynique. Dans l’impossibilité de changer
la situation par les supplications ou la révolte, il contrôle ses comportements,
il joue l’indifférence impassible pour nier l’atroce, en le traitant par l’humour
noir. Ainsi le monde féroce ne devient pour lui qu’un jeu d’enfant tout juste
bon à faire l’objet d’une plaisanterie
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