Le mythe de Sysiphe, Albert Camus
Commentaire de texte : Le mythe de Sysiphe, Albert Camus. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar sheimasoula • 13 Novembre 2017 • Commentaire de texte • 2 325 Mots (10 Pages) • 3 025 Vues
Le 20-04-2017
Explication de texte :
Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, page 167/168
Introduction :
Du livre qui tire son nom d’un héros de la mythologie on cite souvent la première et la dernière phrase. L’essai est tout entier dans cette tension : la référence à la mort que l’on retrouve par ailleurs dans L’Etranger, Caligula et Le Mal entendu, et l’invitation à la révolte. A l’encontre de Pascal pour qui le caractère infini et silencieux du monde était une source d’angoisse et d’effroi et qui préconisait à l’homme d’accepter sa condition misérable, de tourner le dos au monde et de se vouer de manière exclusive à Dieu, Camus, bien qu’interpellé lui aussi par le silence du monde absurde invite ses lecteurs à refuser le suicide et à assumer leur présence par la prise de conscience de leur aliénation et par le choix d’une attitude de révolte. Le texte que nous nous proposons d’analyser est extrait de la quatrième partie de l’essai intitulée « Le mythe de Sisyphe ». Cette partie est concentrée sur le héros tragique. Représentant absolu de l’homme absurde, Sisyphe surmonte son destin par le mépris. L’enjeu de cet extrait sera donc de monter comment l’homme arrive à trouver le bonheur dans l’absurde. Pour traiter cette question nous proposons un plan en deux parties. Nous traiterons dans un premier temps de la question du parallélisme entre l’homme moderne et Sisyphe et dans un second temps nous tenterons de montrer comment Sisyphe, mythe du châtiment devient un mythe d’initiation.
- Le parallélisme entre l’homme absurde et l’homme moderne :
Camus a toujours voué une grande admiration au philosophe allemand Nietzsche qui a proclamé la mort de Dieu et substitué au mythe de la vie éternelle le culte d’une « éternelle vivacité ». Cette influence est évidente dans l’extrait que nous analysons et dans tout l’essai. De même que Nietzsche s’insurge au nom d’une morale contre le sentiment de culpabilité et contre l’esclavage mental venu du Christianisme, Camus réhabilite Dom Juan et imagine « Sisyphe heureux ».
« Elle chasse de ce monde un dieu qui y était entré avec l’insatisfaction et le goût des douleurs inutiles. Elle fait du destin une affaire d’homme qui doit être réglée entre les hommes » : à travers ces deux phrases, Camus rejette l’existence de Dieu. L’homme devient un dieu et il est maître de son propre destin. D’ailleurs, le mot « destin » apparait six fois dans le texte. Le SN étendu « une affaire d’homme » permet de montrer comment l’auteur élève l’homme au statut d’un dieu, dans la mesure où son destin est entre ses mains et non entre celles de dieu ou des dieux.
Nous mentionnons que, paradoxalement, Camus fait d’Œdipe une figure christique d’un côté « tout est bien » serait une sorte d’écho de « tout est accompli » du Christ en croix et une figure païenne de l’autre voyant en lui la tragédie humaine chasser ce dieu.
Dans L’Homme révolté, Camus écrit : « La morale est le dernier visage de Dieu qu’il faut détruire, avant de reconstruire. Dieu alors n’est plus et ne garantit plus notre être : l’homme doit se déterminer à faire pour être. »
Sisyphe est maître de son destin, c’est lui qui pousse son rocher. Il y a donc dans cet extrait une réécriture du mythe. Sisyphe passe du soumis à l’homme libre.
Le personnage principal de cet extrait apparaît comme une métaphore, voire un symbole du prolétariat et d’une humanité qui lutte et qui refuse d’être l’esclave de ceux qui l’exploitent. Camus reconnait par ailleurs, que la condition de Sisyphe est tragique car irréversible et que le héros en est conscient. Mais en ayant justement pris conscience de cette condition, Sisyphe redevient maître de son destin. « Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose » résume Camus. L’auteur élargit cette conscience de l’absurde au monde moderne. L’ouvrier qui travaille « tous les jours de sa vie, aux mêmes tâches » n’a pas un destin moins absurde d’après l’auteur. Sisyphe peut ainsi être considéré comme le chef de file des hommes révoltés. La figuration symbolique de l’homme en Sisyphe est ce que Camus appelle une stylisation incarnée. Le recours aux pronoms impersonnels et à l’indéfini « on » fait de Sisyphe un représentant de l’homme absurde qui décide de se révolter.
La phrase « je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! » montre que Camus laisse de côté l’aspect mythique de Sisyphe pour en faire un représentant de l’homme absurde.
Nous pouvons aussi noter qu’il existe deux versions du personnage de Sisyphe : la version antique et la nouvelle version ou la version moderne qui fait du personnage un représentant de l’homme absurde. La version antique de Sisyphe témoigne de l’amour que porte Sisyphe pour la terre. Il recourt à la ruse pour défier les dieux contrairement à sa version moderne dont l’amour pour la terre apparait à travers l’opposition à la transcendance divine. Le rocher que pousse Sisyphe, dans sa nouvelle version, peut être considéré comme le symbole des désirs terrestres et montre que l’homme est amoureux de la vie. « Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde » ; Le rocher devient la vie et le monde de Sisyphe. Le groupe adjectival « pleine de nuit » renvoie au côté obscur de la condition de l’homme absurde. Ce côté obscur n’est autre que la répétition de la même tâche. L’adverbe « toujours » employé dans la phrase « On retrouve toujours son fardeau » rend lui aussi compte de l’aspect cyclique de la vie de l’homme. L’homme absurde reste, cependant, conscient que le plus important est de vivre plus. « Rien ne remplace la vie » et c’est l’amour de la vie qui doit triompher. Ceci témoigne également du refus du suicide, non approuvé par l’homme absurde et par Camus lui-même. La version antique de Sisyphe est convaincue que la vie est dirigée par le Fatum et que sa vie absurde est une sorte de punition ou de châtiment imposé par les dieux. La version moderne est consciente de l’absurdité de sa condition qui n’est soutenu par aucune foi sinon l’étrange fidélité qui vaut à l’homme d’accepter sa condition. Le Sisyphe antique voit sa condamnation comme un perpétuel recommencement. Il n’est donc qu’un héros actif mais impuissant face à son sort et se résignant à la conséquence de ses méfaits. Le Sisyphe moderne choisit de renouveler sa révolte contre tout accablement. Pour Camus c’est lors de ces retours incessants vers le labeur que Sisyphe devient « supérieur à son destin ».
Transition : Le Sisyphe antique, est le héros orgueilleux d'un mythe tragique qui subit d'autant plus sa peine qu'il en est conscient et qu'aucun espoir d'y échapper ne le soutient. Victime de la décision des dieux, il n'a aucune alternative : il est contraint à pousser sans cesse son rocher. L'état d'obéissance engendre ainsi son malheur. Cette notion s’oppose au bonheur éprouvé par l’homme absurde qui ne cesse de se révolter. Nous verrons dans ce qui suit comment absurde et bonheur se conjuguent au sein de la vie de l’homme absurde.
- Sisyphe, mythe d’initiation :
A travers le mythe de Sisyphe, Camus invite son lecteur à renoncer au suicide et à lutter tout en acceptant sa condition absurde. C’est cette lutte qui confère à la vie son prix et sa grandeur. Se battre devient donc une fin en soi. Sisyphe est « toujours en marche » ; « [Son] rocher roule encore » : Ces deux phrases sont une représentation de la révolte. Camus affirme que l’espoir persiste et que la lutte continue. Les adverbes « toujours » et « encore » mettent l’accent sur le renouvellement continu de la révolte.
L’arc de cercle de la révolte de Camus nous ramène vers l’immanence du monde absurde, qu’il ne faut ni fuir à travers le suicide ni dépasser en se réfugiant derrière la foi, mais accepter dans le bonheur trouvé. Nous noretons la répétition du mot « bonheur » qui apparait quatre fois dans l’extrait. L’homme doit donc, affronter dignement sa vie car il peut trouver le bonheur en apprenant à vivre l’absurde avec lucidité.
Nous assistons dans cet extrait à une véritable démonstration. L’auteur commence d’abord par annoncer sa thèse. La première phrase du texte met en avant les mots « absurde » et « bonheur » qui sont « deux fils de la même terre ». Camus, dès le début nous donnent les raisons qui l’ont poussée à associer les termes que tout semble opposer. La conjonction de coordination « et » liant les termes « absurde » et « bonheur » permert d’accentuer le côté inséparable de ces deux notions. Dans sa démonstration, l’auteur mèle différents styles. Nous pouvons mentionner le style théâtral qui apparait à travers la phrase « Eh ! quoi par des voies si étroites… ? » Le dialogue intime martelant l’intérieur même du dialogue philosophique crée une polyphonie dans le texte et invite à la recerche d’un sens dans la vie absurde et à l’arrêt non sur la résignation mais sur la résolution. Nous mentionnons que cette réplique aurait pu être celle de Caligula. A ce style théâral, s’ajoute un style plus relaché que retrouvons dans les phrases « L’erreur serait de dire que le bonheur nait forcément de la découverte de l’absurde. IL arrive aussi bien que le sentiment de l’absurde naisse du bonheur. » Certains critiques s’accordent à dire que ces deux phrases pourraient être extraites d’un des carnets de Camus.
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