Style de Duras dans Moderato Cantabile
Commentaire de texte : Style de Duras dans Moderato Cantabile. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar zolazed • 15 Mai 2019 • Commentaire de texte • 2 567 Mots (11 Pages) • 1 055 Vues
Marguerite Duras, de son vrai nom, Marguerite Donnadieu, est une auteur, dramaturge et réalisatrice française du XXe siècle. Elle fait parti du mouvement du “Nouveau roman”. Ce mouvement peut être résumé par la citation suivante, signée Jean Ricardou, : “Le nouveau roman, ce n’est pas le récit de l’aventure mais l’aventure du récit.”. Ce mouvement rejette l’intrigue de l’histoire en la mettant en second plan, les personnages deviennent subsidiaires. Moderato Cantabile en est un bon exemple incorporant une intrigue minimaliste et des personnages effacés. Lors d’une interview en 1984, avec Bernard Pivot sur Antenne 2, Duras expliquait la spécificité de son style ainsi: “Vous savez, je crois que c'est parce que je ne m'en occupe pas.[...] Je dis les choses comme elles arrivent sur moi.”. Elle montrait qu’elle ne souciait pas de son style, qui est pourtant novateur. Nous allons étudier le style de Duras et essayer de voir en quoi celui-ci est innovant et comment a-t-il marqué son époque.
Silence et Cri
Répétition
Style cinématographique
On dit souvent que Duras parle comme elle écrit. Pour avoir vu certaines interviews d’elle, nous pouvons déclarer que ceci n’est pas vraiment faux. Quand elle prend la paroles, ses phrases sont entrecoupées par des silences, de longs silences. Le silence est un trait essentiel de l’écriture durassienne. C’est aussi un besoin qu’elle a d’exprimer ce silence: "pour faire parler le silence sous lequel on m'avait écrasée." Et ce silence elle l’utilise beaucoup dans ses oeuvres comme pour dans Moderato Cantabile. Autre notion qui fait l’originalité du style de Duras est le cri. Cet élément à l’antipode du silence fait partie intégrante du style durassien. Le cri et le silence font partis du langage parlé que Marguerite Duras va retranscrire à l’écrit avec ce qu’elle appelle “l’écriture courante”. Nous allons voir comment ces deux éléments qui sont à l’opposé l’un de l’autre sont utilisés dans Moderato Cantabile par Duras et en quoi ils contribuent à un style innovant.
Le silence est très présent dans les dialogues de Moderato Cantabile. Les dialogues entre Anne Desbaresdes et Chauvin sont souvent rompus par de longs silences comme par exemple ici : “—Vous êtes Madame Desbaresdes. La femme du directeur d’Import Export et des Fonderies de la Côte. Vous habitez boulevard de la Mer. Une autre sirène retentit, plus faible que la première, à l’autre bout du quai. Un remorqueur arriva. L’enfant se dégagea, d’une façon assez brutale, s’en alla en courant. —Il apprend le piano, dit-elle. Il a des dispositions, mais beaucoup de mauvaise volonté, il faut que j’en convienne. Toujours pour faire place aux hommes qui entraient régulièrement très nombreux dans le café, il se rapprocha un peu plus d’elle. Les premiers clients s’en allèrent. D’autres arrivèrent encore. Entre eux, dans le jeu de leurs allées et venues, on voyait le soleil se coucher dans la mer, le ciel qui flambait et l’enfant qui, de l’autre côté du quai, jouait tout seul à des jeux dont le secret était indiscernable à cette distance. Il sautait des obstacles imaginaires, devait chanter. —Je voudrais pour cet enfant tant de choses à la fois que je ne sais pas comment m’y prendre, par où commencer. Et je m’y prends très mal. Il faut que je rentre parce qu’il est tard.”
Dans ce dialogue, le silence vient couper la discussion entre les deux personnes. Chauvin prend la parole avant que la sirène retentisse et que l’enfant sorte du café. Anne Desbaresdes ne réponds pas à Chauvin mais change de sujet en parlant de son fils. Ensuite s’en suit une longue description avec beaucoup de mouvement de personnes; les ouvriers entrent, les premiers clients qui sortent, d’autres qui arrivent. Et entre-temps, le ciel se couchait. L’enfant qui était sorti du café, lui, jouait dehors. Tous ces éléments nous renseignent sur la temporalité. Du temps, beaucoup de temps, est passé entre les répliques des personnages. Il y a eu donc un très long silence lors de leur conversation.
Ces silences nombreux dans Moderato Cantabile reflètent une certaine tension du texte et en particuliers entre Anne et Chauvin. Les personnages n’arrivent pas à communiquer leurs émotions, ils sont hésitants. L’intrigue, comme les dialogues, sont minimalistes dans ce roman. Cette incapacité à communiquer conduit à des petites phrases, petits mots, qui en dévoilent beaucoup, le silence agit alors comme une litote, comme par exemple au dernier chapitre : “ - La dernière fois, dit-elle, j’ai vomi ce vin. Il n’y a que quelques jours que je bois… - Ça n’a plus d’importance désormais. - Je vous en prie…, supplia-t-elle. - Au fond, choisissons de parler ou de ne rien dire, comme vous le voudrez.”. Ici, on peut comprendre rien qu’à la première réplique de Chauvin que la poursuite de leur relation est vaine et n’aboutira pas. Anne le comprend aussi. Les trois petits points indiquent des moments de silence mais aussi des lacunes au niveau de la parole. Les émotions des personnages ne sont pas extériorisées, cela crée de la frustration chez eux qui résulte en silences. Ces silences permettent une expérience de la lecture novatrice pour le lecteur. Ils sont un moyen pour Duras de créer des suggestions dans l’esprit du lecteur sur ce qu’il se passe durant ces moment. Ainsi, Marguerite Duras remet en question la fonction du langage en s’exprimant le moins possible. Ceci laisse au lecteur la possibilité de faire place à son imagination.
Le cri est une expression du langage, souvent brève, liée à l’expression de vives émotions. Comme le silence, c’est un élément du langage parlé que l’auteur tient à intégrer à son écriture dite “courante”. Dans Moderato Cantabile, le cri est l’élément déclencheur de l'intrigue minimaliste de ce roman. Le mot “cri” et son verbe sont très présents dans ce livre. Ce cri est celui d’une femme qui est victime d’un meurtre passionnel. Il vient perturber la vie d’Anne Desbaresdes qui va devenir obsédé par cet incident. Elle fera la rencontre de Chauvin, avec qui elle discutera longuement de ce meurtre et du cri.
Ce cri est présent dès le début et vient casser le cycle d’une leçon de piano monotone et oppressante pour le garçon ainsi que sa mère. Ce cri parvient même à rendre sourd le bruit répétitif de la mer: “Une plainte longue, continue, s’éleva et si haut que le bruit de la mer en fut brisée.” Ce cri est celui d’une femme tué par son amant, il va diriger l’intrigue de ce roman et occuper l’esprit de Anne. On ne sait pas d’abord si c’est un cri de douleur ou de libération mais, au fil du roman, on commence à comprendre que ce cri serait un cri de délivrance.
Les cris créent des cassures dans ce roman qui contient de nombreuses répétitions. Ils permettent de ne pas tomber dans une monotonie totale. Les cris donnent une énergie à un texte qui en manque cruellement. Ils permettent au lecteur de percevoir des émotions qui sont souvent enfouis dans les silences.
Le cri peut jouer dans la situation d’Anne un rôle libérateur de sa situation. En effet, cette femme est voué à vivre dans la bourgeoisie et une relation avec Chauvin semble impossible. Elle recherche à se délivrer de sa condition. Le cri de la femme morte obsède Desbaresdes et la renvoie à sa situation, comme le montre cette discussion avec Chauvin: “- C’était un cri très long, très haut , qui s’est arrêté net alors qu’il était au plus fort de lui-même, dit-elle. - Elle mourait, dit l’homme. Le cri a dû s’arrêter au moment où elle a cessé de le voir. [...] Une fois, il me semble bien, oui une fois j’ai dû crier un peu de cette façon, peut-être, oui, quand j'ai eu cet enfant. [...] - J’ai crié… si vous saviez.”. Anne se voit en cette femme morte et se sent libérée de parler de son cri.
La répétition est un élément important du style de Duras. L’auteur l’utilise pour créer un environnement anxiogène et oppressant. Duras va installer un cycle dans l’action du roman, ainsi, Duras accentue le minimalisme de l’intrigue puisque le lecteur est à chaque fois confronté aux mêmes scènes. Dans Moderato Cantabile, la répétition est une partie essentielle du roman.
Il y a les leçons de piano où le jeune garçon doit répéter sa partition sous l’autorité implacable de Mademoiselle Giraud: ”Je te l’ai dit la dernière fois, je te l’ai dit l’avant-dernière fois, je te l’ai dit cent fois , tu es sûr de ne pas vouloir le savoir ?”. Ici, nous pouvons voir comment la répétition est accentuée par la gradation. Ce passage, qui se trouve aux premières pages du livre, nous avertit des répétitions qui nous attendent à sa lecture. Cette dernière agit comme un tyran en imposant de répéter ce que l’enfant sait déjà. Le seul échappatoire de l’enfant à ce monde coercitif est la désobéissance, l’insoumission, à sa professeure. Pour le lecteur, des symboles de liberté tels que la fenêtre ouverte, la vedette et la mer, ouvrent une voie pour quitter cette atmosphère répressive.
Il n’y a pas que les leçons de piano qui sont répétitives, il y a surtout les rencontres entre Anne Desbaresdes et Chauvin qui se déroulent toujours de la mêmes manière. Leurs rencontrent ont lieu au café. Ces rencontres suivent le même rituel. Anne revient à chaque
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