Inconnu

de la sécurité sanitaire d’un secteur comprenant trois restaurants situés boulevard Saint Germain, rue de Rivoli et rue Réaumur. Tous les jours, entre 11 heures et 13 heures 30 et les après-midi vers 17h45, il devait donc inspecter les cuisines, les entrepôts, les congélateurs, les toilettes et rendre un rapport à la direction générale. En fait, il s’agissait surtout de remplir les cases d’un formulaire tout préparé. Cette promotion n’avait guère modifié son salaire qui restait toujours aussi misérable et qui lui suffisait à peine à payer son loyer et ses études. Le seul avantage était qu’il pouvait manger pratiquement pour rien : il arrivait à se nourrir avec les restes et les invendus du restaurant. C'était donc Chicken Bacon, Double Cheese, Big Speed Food, Royal De Luxe, Royal Cheese, Cheese Burger , Double Mix, Supreme Cheese..... .tous les jours.

Ce n’était malheureusement pas sans inconvénient car il avait pris presque dix huit kilos depuis le début de son embauche chez Speed Food. Hamburger, frites et boisson sucrée à tous les repas, le résultat était assuré.

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Pierre quitta la rue de Miromesnil et s’engagea dans la rue du Faubourg Saint Honoré. Ce matin de mai, il y avait beaucoup de grosses voitures aux vitres teintées qui pénétraient dans la cour de l’Elysée.

« Ah oui ! se dit Pierre, ce doit être cette fameuse réunion de l’Union pour la Méditerranée dont les journaux nous ont tant parlé. Ceux- là, ils n’iront pas manger chez Speed Food, ce soir ! »

L’idée de voir ces ministres et chefs d’état faisant la queue avec un plateau à la main le fit sourire.

C’était la grande pagaille place de la Concorde, le passage des véhicules officiels avait complètement paralysé la circulation. Pierre arriva quand même à se faufiler entre les voitures et franchit sans problème le pont de la Concorde.

Le boulevard Saint Germain était plutôt calme et Pierre arriva enfin en vue du Panthéon dont le fronton triangulaire était éclairé par les rayons du soleil matinal.

Pierre songea qu’il avait quand même beaucoup de chance d’étudier dans un lieu aussi beau et prestigieux, il était bien loin de la banlieue lilloise et de ses petites maisons toutes semblables. Mais, en cette fin d’année universitaire, le passage de Pierre en deuxième année n’était pas gagné.

Après avoir rangé son vélo, Pierre se dirigea vers sa salle de cours.

Le professeur Laloi était un grand spécialiste de droit civil, et ce jour-là, le cours portait sur le conflit d’intérêts dans le droit français

Sa voix forte et grave s’élevait dans la salle :

« Notez bien qu’un conflit d'intérêts apparaît quand un individu ou une organisation est impliquée dans de multiples intérêts, l'un d'eux pouvant corrompre la motivation à agir sur les autres. Le conflit d'intérêts n'est pas, en droit français, un délit civil ou pénal. C'est la prise illégale d'intérêt qui peut en découler et qui est, quant à elle, un délit. »

Le cours terminé, Pierre sortit lentement. Ce qu’avait dit le professeur Laloi l’avait perturbé.

Que faisait-il depuis deux semaines lorsqu’il contrôlait l’état sanitaire des restaurants ? Au début, il avait essayé de remplir sa mission correctement mais très rapidement les choses avaient pris une tournure critiquable.

« Pierre, on t’a préparé un super Cheese burger, il t’attend à la cuisine avec un double coca. »

« Pierre, on t’a mis un assortiment de gâteaux, tu pourras les prendre quand tu auras fini ton inspection. »

Puis, « Tu as vu Pierre, tout est nickel ici, tu nous mets EXCELLENT dans toutes les cases. »

Une fois ou deux, il avait essayé de protester, non, tout n’était pas nickel et il fallait le signaler, mais on lui fit rapidement comprendre qu’il était trop entré dans les petites combines et qu’il valait mieux qu’il se tienne tranquille.

La voix du professeur Laloi résonnait dans sa tête « Le conflit d'intérêts n'est pas, en droit français, un délit civil ou pénal. C'est la prise illégale d'intérêt qui peut en découler et qui est, quant à elle, un délit. »

Il était un délinquant, enfin un petit délinquant, mais son attitude pouvait quand même avoir des conséquences graves sur la santé des clients.

Il se dit que cette situation ne pouvait plus durer, il fallait réagir et réagir vite. Il regarda sa montre : il était presque midi et il fallait aller faire l’inspection du restaurant du Boulevard Saint Michel. Pierre sauta sur son vélo, descendit à toute allure la rue Soufflot, tourna vers le Boulevard Saint Michel et dix minutes plus tard, arriva boulevard Saint Germain, à l’entrée du restaurant.

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« Bonjour, Pierre, on t’a mis un Double Beef sauce au poivre de côté avec un Milk Shake et un Coke », lui lança Albert, le gérant, dès son arrivée.

Pierre ne répondit pas et partit en direction des cuisines, il ouvrit le congélateur, déplaça quelques boîtes de surgelés dont la date était périmée et, là, sa main rencontra un objet insolite, c’était doux au toucher, Pierre saisit l’objet et l’amena au grand jour. Un rat crevé ! Il avait trouvé un rat crevé dans le congélateur. Pierre poussa un grand cri et lâcha le rat.

« Ah non ! ils ne vont pas m’acheter avec un Double Beef sauce au poivre et un Milk Shake ! »

Pierre prit le rat par la queue et se dirigea vers le bureau du gérant.

« Monsieur Albert, j’ai fermé les yeux sur bien des choses mais là, ça ne va plus du tout, je vais faire un rapport salé à la direction », s’écria Pierre en agitant le rat sous le nez du gérant.

« Pierre, tu ne vas pas faire ça, on peut s’arranger, je ne comprends pas, c’est certainement un acte de malveillance, tu sais la concurrence est tellement rude. »

Après une discussion orageuse, Pierre quitta le restaurant, il venait de faxer à la direction générale un rapport accablant.

« Tu ne l’emporteras pas au paradis, lui avait lancé le gérant, le DG c’est mon cousin, j’aurai ta peau. »

Pierre repartit vers l’université, il tremblait sur son vélo et remonta péniblement le boulevard Saint Michel. Avant de reprendre ses cours, Pierre décida de se reposer au Jardin du Luxembourg, il aimait cet endroit, mais n’avait pas souvent le temps de s’y arrêter. Il s’assit sur un banc près de la fontaine Médicis. Il détestait les conflits et il se sentait très mal à l'aise. Il ferma les yeux et resta quelques minutes immobile, mais l’heure de son cours de l’après midi approchait et il reprit le chemin de l’université.

Le cours du professeur Mignard était consacré à la fiscalité et Pierre eut beaucoup de peine à suivre les explications, son esprit était ailleurs. A la fin du cours, il sauta de nouveau sur son vélo pour aller inspecter le restaurant de la rue de Rivoli. Là aussi l’histoire se répéta.

« Pierre ton Suprême Cheese avec un Softy Max t’attendent ».

Cette fois-ci, pas de rat crevé heureusement, mais des steaks périmés de plusieurs jours, des toilettes dans un état déplorable. Pierre fit son rapport, il y eut une dispute avec le gérant, des menaces :

- J’te promets qu’tu vas le regretter !!! On va t’apprendre à faire du zèle. Espèce d’intello !

Et Pierre repartit une fois de plus le ventre vide !

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Le retour à sa chambre se fit sans problème et Pierre arriva devant son immeuble rue de Miromesnil.

Pierre avait eu la chance, mais compte tenu du prix du loyer, ce n’était pas réellement une chance de pouvoir louer une petite chambre dans un bel immeuble haussmannien de la rue de Miromesnil, presque au carrefour avec le boulevard Haussmann, dans le très chic VIIIème arrondissement ! Une studette, comme disait l’agent immobilier, un terme qui sonnait mieux que chambre de bonne. Un salon de coiffure, fréquenté surtout par des personnalités du monde des affaires et du cinéma occupait le rez-de chaussée.

L’immeuble avait été nettoyé l’année passée et la façade constituée de blocs de pierre blanche avait belle allure. Au 2ème étage et au 5ème niveau, de grands balcons en fer forgé allaient d’un bout à l’autre du bâtiment. Pierre avait entendu dire qu’un ancien ministre qui avait été soupçonné de prise illégale d’intérêt habitait un appartement au 2ème étage.

Une porte massive permettait d’accéder à une petite cour intérieure. Mais Pierre n’avait pas le droit d’utiliser cette entrée magnifique, il occupait une chambre de bonne au dernier niveau, sous les toits, accessible par un escalier de service ; la porte pour atteindre cet escalier était à une dizaine de mètres à droite de l’entrée principale.

Cette pièce avait été conçue pour servir de chambre à l’un des domestiques engagé par la famille occupant un appartement de l’immeuble d’où