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La mondialisation transforme t-elle les stratégies des entreprises

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Par   •  11 Janvier 2016  •  Dissertation  •  2 565 Mots (11 Pages)  •  1 201 Vues

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La mondialisation transforme-t-elle les stratégies des entreprises ?

Alors que Laurent Wauquiez plaidait, le 7 décembre 2011, pour un protectionnisme moderne, Jean-François Copé, membre du même parti politique, lui répondait le 29 décembre que «personne ne peut penser raisonnablement que le mot de protectionnisme est un mot moderne». Jusqu'il y a peu, ce type de débat n'avait pas cours. Tous pensaient que le libre-échange et la liberté d'investissement des entreprises étaient les meilleurs moyens de stabiliser l'économie mondiale.

Aujourd'hui, les firmes multinationales - ou transnationales, comme les appelle plus justement la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) - n'ont jamais été aussi à l'aise dans une économie mondialisée. Celle-ci, que les Anglo-Saxons nomment «globalization», et les Français «mondialisation», est le processus d'ouverture de toutes les économies nationales sur un marché planétaire. Elle est favorisée par l'interdépendance entre les hommes, la déréglementation, la libéralisation des échanges, la délocalisation de l'activité, les mouvements financiers, les moyens de transport, de télécommunication... Elle permet donc aux FTN de se déployer et de se redéployer au gré des avantages qu'elles trouvent sur des espaces nationaux. Si l'ouverture au commerce est pour les États synonyme d'interdépendance, elle est, pour les entreprises, synonyme d'intégration des activités et des marchés. Les entreprises transnationales déterminent leurs choix stratégiques (localisation, approvisionnements, financement, circuits de commercialisation, recrutements, débouchés, investissements...) à l'échelle mondiale, en comparant les avantages et inconvénients que leur procurent les différentes solutions nationales. Cependant, toutes les parties du monde ne participent pas à cet échange. Plus de 103 000 FTN sont principalement implantées dans les pays développés où se localisent essentiellement les IDE, c'est-à-dire les investissements d'une entreprise qui prend le contrôle de plus de 10 % du capital d'une filiale hors de son pays d'origine. Certes, les implantations sont de plus en plus fréquentes dans les pays en développement, mais la localisation des IDE remet en cause l'idée d'une présence mondiale des FTN en même temps qu'elle pose la question de l'attractivité des territoires. Dès lors, peut-on se contenter d'affirmer que les stratégies des FTN consistent exclusivement à délocaliser leur production pour bénéficier de bas coûts de production? N'existe-t-il pas de stratégies alternatives?

Nous verrons donc que si l'histoire et les théories traditionnelles peuvent expliquer une partie de la stratégie des FTN dans un cadre mondialisé (I), de nouvelles formes stratégiques voient le jour, plus difficile à définir, mais qui sont mieux adaptées au monde contemporain (II).

  1. Les explications traditionnelles des effets de la mondialisation sur les stratégies de firmes...

  1. Les stratégies d'internationalisation au XIXe siècle.
  • La première mondialisation (Suzanne Berger, Notre première mondialisation, 2003) se situe sur la période 1860-1914. Elle est permise au départ par l'abaissement des tarifs douaniers (accords bilatéraux comme celui de la Grande-Bretagne et de la France en 1860) et des coûts de transport; (utilisation des chemins de fer ou des steamers) et elle est caractérisée par le développement de flux commerciaux très importants. Les divers travaux de Paul Bairoch montrent que les pays européens enregistrent une croissance annuelle de 2% pour leur production agricole, de 3 % pour leur production industrielle et de 4 % pour leurs exportations. La part de la production européenne qui fait l'objet d'une exportation est inférieure à 2% en 1815 mais atteint 14% en 1913. Pour l'ensemble du monde, le volume du commerce est multiplié par 25 et la valeur des échanges internationaux, estimée à 2 milliards de dollars vers 1830, atteint 40 milliards en 1913.
  • La croissance des flux commerciaux s'accompagne du développent d'une division internationale du travail. En fonction de la théorie ricardienne des avantages comparatifs, les pays européens produisent et exportent des produits manufacturés alors que le reste monde fournit à l'Europe des matières premières, des produits agricoles, des minerais, etc. Grâce aux innovations technologiques, temps de transport diminuent et les tonnages s'accroissent: le marché devient mondial et les entreprises occidentales implantent des filiales destinées à leur fournir des matières premières dans les pays en développement de l'époque.
  • Mais, comme l'indique Suzanne Berger, les stratégies menées alors sont plus souvent spéculatives que productives. La valeur du stock de capitaux placés à l'étranger passe de 1 milliard de dollars vers 1820 à 48 milliards en 1913, l'essentiel des transferts étant réalisé à partir de 1880. Les capitaux européens sont dominants (90% des capitaux exportés début XXe siècle). Plus des trois quarts de ces capitaux sont des investissements de portefeuille. Les entreprises (les banques notamment) cherchent à prêter aux États où les capitaux sont utilisés dans le développement des réseaux de transport qui doivent faciliter l'exploitation des terres nouvelles. Après avoir développé les échanges de marchandises, le capitalisme selon Lénine exporte des capitaux et devient impérialiste, «stade suprême du capitalisme».
  1. La recherche de bas coût.
  • Alors que la théorie ricardienne de l'échange international est fondée sur l'immobilité des facteurs de production (et notamment du capital, car David Ricardo fait confiance aux entrepreneurs anglais afin qu'ils n'aillent pas produire au Portugal), les entreprises occidentales investissent de plus en plus à l'étranger. Certaines FTN délocalisent une partie de leur production en raison de la concurrence, qui les oblige à rompre avec leurs stratégies traditionnelles d'approvisionnement (FTN primaires) ou de développement commercial (pénétrer les nouveaux marchés), pour s'orienter vers des stratégies de réduction des coûts afin d'augmenter leur compétitivité prix.
  • Les FTN choisissent aussi de s'implanter à l'étranger pour se libérer de contraintes économiques ou sociales. Elles se tournent vers des pays où les salaires sont faibles, la réglementation peu contraignante et la protection sociale le plus souvent inexistante. Mais il ne suffit pas de comparer le coût salarial. Il est préférable d'utiliser le concept de coût salarial unitaire (CSU), rapport du coût du travail à la productivité du travailleur, pour mesurer la compétitivité. Exprimés en dollars pour l'ensemble des pays, les CSU permettent de comparer entre différents pays dans une même monnaie le coût en main-d'œuvre de la production d'une unité de bien. Par rapport à la France, le CSU (2006) est identique en Allemagne et en Angleterre, inférieur de 35% aux États-Unis. Il est trois fois plus faible en Chine et six fois plus faible en Inde. Mais les CSU chinois sont probablement beaucoup plus faibles qu'en France dans les secteurs intensifs en main-d'œuvre peu qualifiée, et relativement plus élevés dans les secteurs intensifs en main-d'œuvre qualifiée.
  • La recherche de compétitivité par les FTN se traduit par la création de filiales ateliers et la mise en œuvre d'une décomposition internationale de du processus productif (DIPP). Ceci donne lieu à un commerce intra firme, véritable commerce captif entre filiales. Ce commerce représente plus de la moitié des échanges entre les pays de l'OCDE et un tiers du commerce mondial. Les ventes de marchandises par les filiales des FTN sont devenues plus dynamiques que le commerce international classique. Une grande partie du commerce mondial est alors organisé hors marché, au sein des FTN qui se structurent en réseaux mondiaux pour obtenir une plus grande flexibilité de leurs opérations mondiales. Pour autant, les FTN ne sont pas indépendantes de leurs bases nationales car une partie importante du commerce intra firme consiste à rapatrier des produits vers les filiales de distribution nationales. Ce serait le cas de deux tiers des importations et de près d'un tiers des exportations intra firmes américaines à la fin des années 1990.

II. ... peuvent être complétées par de nouvelles analyses qui sont plus adaptées au monde contemporain.

  1. Des analyses intègrent les spécificités des firmes et de leur marché initial...

  • La condition essentielle qui permet à une entreprise de s'internationaliser est son ancrage local. En effet, il faut posséder une base nationale suffisante pour partir conquérir des nouveaux marchés. Grâce à cette base, l'entreprise possède un savoir-faire et commence à réaliser des économies d'échelle qui la rendent concurrentielle à l'étranger. L'internationalisation est alors conçue comme une extension du marché d'origine. Elle est facilitée par l'existence d'accords internationaux qui limitent les droits de douane (OMC, ACR) ou par les aides que certains Etats peuvent accorder à leurs entreprises exportatrices. Mais l'internationalisation est aussi une stratégie nécessaire face à l'évolution du cycle de vie des produits. Selon Raymond Vernon (The Product Life Cycle, 1966), les entreprises commencent par exploiter un avantage spécifique sur leur territoire initial, puis l'entreprise exporte pour utiliser son avantage sur un marché étranger. Elle peut alors être concurrencée par des firmes étrangères, ce qui nécessite de faire baisser les coûts en produisant sur des territoires étrangers où les coûts salariaux sont faibles. L'implantation à l'étranger se substitue alors aux exportations.

  • La condition sine qua non de l'internationalisation est donc l'existence d'un avantage spécifique supérieur aux coûts de l'internationalisation. En effet, toute firme qui s'implante à l'étranger subit un désavantage (en termes d'image, de connaissance des habitudes locales, de coûts d'implantation, etc.) qui doit être compensé par un avantage spécifique. Cette compensation a été théorisée par Oliver Williamson à travers la théorie des coûts de transaction : une firme qui doit se fournir en matières premières ou en produits intermédiaires a intérêt à se détourner des marchés et à internaliser ses productions si les coûts de transaction sont trop importants et si les coûts de contrôle sont faibles. L'augmentation des coûts de transaction conduit donc à des modes d'internationalisation de plus en plus forts : les exportations, puis les modes de production internationaux sans participation au capital comme les licences, les franchises, et en dernier les IDE, qui aboutissent à l'internationalisation de la production ou des ventes.
  • La théorie éclectique ou paradigme «OLI» de John H. Dunning (Explaining International Production, 1981) synthétise les explications justifiant l'internationalisation des firmes. Selon lui, l'internationalisation des firmes s'explique par trois avantages : l'avantage spécifique de la firme (ownership spécifie advantage), l'avantage à la localisation (locational advantage), qui explique le choix d'une localisation sur le marché international pour la réalisation d'activités spécifiques de la FMN, et l'avantage à l'internalisation (internalisation advantage), qui est lié à l'organisation des activités de la FTN à une échelle internationale à l'intérieur d'une structure multinationale. Dans ce cadre théorique, une firme qui possède un avantage productif spécifique et un avantage à l'internalisation s'implantera sous forme d'IDE si elle perçoit dans un pays un avantage à la localisation. S'il n'y a pas d'avantage à la localisation, la firme gardera la maîtrise de la pénétration du marché étranger en y exportant. Si l'entreprise ne possède qu'un avantage spécifique, elle effectuera alors une vente de licence auprès d'une entreprise locale.
  1. ... tandis que d'autres mettent l'accent sur les innovations et les effets de la crise contemporaine.
  • En effet, la part des filiales étrangères dans les dépenses de R&D aux États-Unis, inférieure à 10% en 1985, atteignait 14% en 1990 et 16% en 2007. En France, cette proportion a augmenté de plus de 60% entre 1986 (11 %) et 1996 (18%), puis plus modérément pour atteindre 21 % en 2007. Si cette tendance existe dans la plupart des pays de l'OCDE, les pays ne sont pas touchés de la même manière : la part des filiales étrangères dans la R&D représente seulement 5 % au Japon et 40 % au Royaume-Uni. L'origine d'une telle différence tient au fait que les activités de R&D des FTN étrangères sont liées à leurs activités de production dans le pays d'accueil. Or, peu d'entreprises produisent au Japon. Selon Frédérique Sachwald («Les facteurs de localisation des centres de R&D à l'étranger: le cas de l'Europe», Economies et sociétés, n° 41 2007), les années 2000 sont marquées par la transformation de la localisation des activités de R&D. Alors que les FTN positionnaient essentiellement leur activité de recherche dans les pays à hauts revenus, de nombreuses firmes européennes s'implantent dorénavant en dehors de l'UE sous l'effet d'une double dynamique : la forte croissance des marchés et les investissements réalisés dans la formation et la recherche dans les pays émergents. Le cas de la Chine est emblématique de cette situation. Jusqu'en 2000, les centres de recherche implantés en Chine ont permis de mieux connaître les consommateurs chinois et l'environnement culturel et scientifique du pays. Cela a permis aux FTN implantées de mettre au point des produits adaptés au marché chinois (peu coûteux et résistant à certains climats). Puis, depuis les années 2000, cette capacité d'innovation s'est révélée bénéfique à l'échelle mondiale et le nombre de brevets déposé par les filiales des FTN s'est accru depuis le territoire chinois, marquant le début de l'implantation de filiales de R&D inventives. Ces filiales s'intègrent alors dans un réseau global d'innovation mis en place par les FTN à l'échelle mondiale.
  • La crise récente a marqué une pause, plus qu'une rupture, dans la stratégie d'internationalisation des firmes, à la suite de la chute historique du commerce mondial (12,2 % en volume et 22,6 % en valeur). Les flux d'IDE ont quant à eux diminué de 32 % (Cnuced, 2010) pour reprendre légèrement en 2011 (Cnuced, 2011). Ce recul des échanges s'explique par le fait qu'ils dépendent essentiellement du rythme de l'activité et des financements disponibles. Quand les deux s'effondrent, le commerce et les IDE suivent le même mouvement. Comme l'indique Agnès Benassy-Quéré dans La Lettre du CEPII n° 291 (2009), la sur-réaction du commerce international par rapport au PIB pendant la crise s'explique en partie par la fragmentation internationale liée à la DIPP, qui conduit mécaniquement à des variations des flux commerciaux plus amples que celles de la production. Si le commerce mondial s'effondre, les échanges intra firmes chutent considérablement. Mais ce n'est pas la seule explication possible. Pour Lionel Fontagné (Working Paper Séries, n° 1245, Banque centrale européenne, 2010), les FTN se sont repliées sur leur cœur de métier, ce qui les a conduites à diminuer le nombre de biens produits et les flux commerciaux. Dans ce contexte international morose, les pays émergents semblent une oasis de croissance et drainent alors les IDE des FTN. La Chine, en particulier, a largement contribué à la reprise du commerce mondial en 2010, ses exportations ayant augmenté de 28 % en volume et ses importations de plus de 22 % (Cnuced, 2010), mais le Brésil et l'Inde sont aussi les nouveaux moteurs de la croissance mondiale et donc des IDE. Comme ces pays sont devenus les ateliers du monde, les FTN implantées localement, mais menant une stratégie de décomposition du processus productif, ont un rôle majeur dans les importations de ces pays, puis dans les exportations. Ainsi, les entreprises étrangères en Chine sont responsables de près de la moitié des importations chinoises en 2007, deux fois plus que dix ans auparavant.

Les stratégies des FTN ont évolué au fil du temps et des évolutions économiques. Au départ, les firmes multinationales étaient primaires et obéissaient à des impératifs d'approvisionnement des usines localisés dans les pays d'origine. Puis elles se sont implantées dans d'autres pays pour bénéficier d'une meilleure compétitivité. Mais cet impératif ne suffit plus à expliquer les échanges et les localisations des FTN. Actuellement, elles se sont constituées en réseaux pour profiter au mieux d'une décomposition des processus productifs qui leur permet de limiter les coûts aux différentes étapes de leur production. En même temps, elles s'implantent de plus en plus dans les pays dans lesquels la croissance est la plus forte afin de bénéficier d'un marché porteur.

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