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Saperlipopette

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le futurisme italien, la source de la réflexion des artistes russes des années 1910-1915 ; avec l'abstraction radicale de Malevitch, il leur fournit un vocabulaire riche de nouvelles formes plastiques. Mais ce langage se base sur des principes trop idéalement esthétiques : l'analyse cubiste de Picasso, si agressive et si destructrice du « figuratif », n'est qu'un moment de sensibilité proprement « picturale », un style qui en se refusant l'abstraction est limité au seul champ des sensations « rétiniennes » (Marcel Duchamp).

L'essor du mouvement constructiviste est étroitement lié à l'œuvre de deux sculpteurs russes – Vladimir Tatline (1885-1953) et Naum Gabo. La rapide évolution des idées artistiques de Tatline semble due à son voyage parisien au cours de l'été 1913. Quoique fasciné par l'œuvre de Picasso, Tatline prend le contre-pied de l'esthétique cubiste. Non intéressé par la décomposition analytique d'une forme vue sous différents angles, il réalise de toutes pièces (débris de matières « non artistiques ») des assemblages qui sont des sculptures d'un nouveau type, les premières sculptures abstraites. En assemblant des morceaux hétéroclites – bois, clous, cordes, tôle –, il réussit la construction d'un objet qui n'a aucun lien avec la réalité figurative. La question de la délimitation de l'œuvre le préoccupe. En 1914 il supprime le cadre et construit des « contre-reliefs » qui non seulement mettent radicalement en question la notion d'« œuvre d'art », mais tentent de détruire le préjugé de la nécessité de la pesanteur dans la sculpture : les « contre-reliefs » de Tatline sont destinés à être suspendus. En 1915-1916, les sculptures de Gabo sont dans un esprit très proche de celui de Tatline, mais s'expriment encore dans un langage d'apparence réaliste ; ses personnages sont construits uniquement avec des plans découpés et réunis dans l'intention d'éviter toute idée de volume. Comme Gabo le dira plus tard, il essayait alors de détruire le volume et de donner de la profondeur.

Au cours des années qui précèdent la révolution d'Octobre 1918, les milieux de Moscou et de Pétersbourg foisonnent d'idées futuristes, mais pour les artistes russes il ne s'agit pas d'une simple copie du romantisme superficiel d'un Marinetti. Pour eux, la réalité à construire est matérielle, ce n'est pas une image métaphorique, sans aucune utilité sociale. À partir de 1918, les artistes russes critiquent ouvertement le futurisme.

Les manifestes Cette nouvelle volonté constructiviste, encore non formulée théoriquement, se manifeste dans les œuvres de Malevitch, Pougny, Rodchenko, Brik et Yakoulov. C'est l'époque des tumultueuses expositions « Tramway V » et « 0,10 » qui eurent lieu à Saint-Pétersbourg. Dans les discussions agitées qui les accompagnent se précise l'idée d'un art de l'avenir qui doit rester réaliste et résolument moderne, assimiler les nouveaux moyens de la peinture abstraite et les mettre au service de l'idéologie matérialiste. Associé dans ses débuts avec le mouvement marxiste de la Révolution, le constructivisme semble être l'expression idéale de cette doctrine qui entend construire une nouvelle société. Le mot « construction » est un des mots les plus fréquemment employés à l'époque.

La première prise de position esthétique du constructivisme est celle de Gabo et de son frère Pevsner qui, dans le Manifeste réaliste (1920), définissent une volonté anti-esthétique et formulent les exigences d'un art lié à une production qui refuse la sémantique superficielle des futuristes. « La vraie modernité c'est la production. » En proclamant la primauté du rythme « cinétique » et la profondeur spatiale, ils renoncent au volume statique (plein) et à la ligne. Deux notions purement constructivistes apparaissent dans ce texte : tektonika : « l'unité de l'idéologie et du formel » (le principe dynamique de l'œuvre – la construction) ; faktura : « la condition du matériel » (la base matérielle). Le Manifeste constructiviste d'Alexéi Gan (1920) proclame la gloire de la technique contre l'« activité spéculative de l'art ». Le slogan « L'art est mort » indique les difficultés du nouvel État socialiste qui essaie de créer de toutes pièces une société ; ainsi le constructivisme se définit comme un « procès d'assemblement d'éléments différents ». Ilia Ehrenbourg qui, à partir de 1922, est associé au mouvement, publie à Berlin la revue Viechtch-Objet-Gegenstand qui propose aux artistes ce programme : « Travail. Clarté. Organisation. »

Le constructivisme en dehors de l'U.R.S.S. Parallèlement aux nouvelles initiatives russes la notion de « structure » apparaît dès 1914 dans les projets de Le Corbusier (Maison Dom-Ino). Il définit clairement une nouvelle conception de l'architecture. Libérée de la masse pesante du « bâtiment », elle devient une « construction », déterminée uniquement par une structure intérieure et des murs-rideaux. Comme chez Tatline et Gabo, ce n'est plus le volume ou la ligne qui concrétise la construction mais une structure dynamique. L'éternelle opposition entre l'espace intérieur et l'espace extérieur est abolie aussi bien chez Le Corbusier que dans les projets de Walter Gropius, qui applique (à partir de 1919) dans ses gratte-ciel le principe constructiviste de la structure dynamique (son « ossature métallique ») et des murs en verre.

Mais c'est en Hollande que se constitue le premier groupe pro-constructiviste. Autour de Théo Van Dœsburg et Piet Mondrian qui, à partir de 1917, publient à Leyde la revue De Stijl sont réunis des peintres et architectes : G. T. Rietveld, Cor Van Eesteren, J. J. P. Oud. Les idées du groupe traduisent la même volonté d'austérité formelle que celle du milieu russe : donner une application pratique au nouveau langage de l'abstraction géométrique, créer un nouveau style, correspondant aux exigences de la société industrielle. Pour eux, « le cube et le parallélépipède sont les formes essentielles de l'espace infini ». De Stijl prend la relève de nombreux groupes qui depuis le début du siècle se sont proposé de régénérer les arts appliqués. À partir de 1911, Gropius poursuit le même but dans ses projets de meubles, automobiles et locomotives. Ainsi, dès ses débuts, le constructivisme veut créer un nouveau cadre d'esthétique rationnelle, correspondant à la civilisation de la machine. Conscient de l'inévitable évolution industrielle de notre société, il essaie de créer des formes plastiques adaptées à cette nouvelle réalité.

L'évolution du milieu russe Les nombreuses prises de position esthétiques dans les années 1918-1920 et les discussions publiques à l'école d'art Vhutemas sont l'expression d'une lutte acharnée entre les tendances « idéaliste » et « matérialiste » au sein de l'avant-garde russe. Un groupe marxiste s'oppose à l'esthétique antimatérialiste des admirateurs de Kandinsky et de Malevitch. Le titre d'une des nombreuses discussions au cours desquelles se formaient alors les théories artistiques est très significatif de l'esprit de l'année 1918 ; en novembre, le critique Pounine, ardent défenseur de Tatline, parle sur le thème « Sanctuaire ou Fabrique ? ». Tatline et Rodchenko mènent la lutte contre le suprématisme de Malevitch. Dans ses Slogans pour le constructivisme, Alexéi Gan proclame une « guerre inconditionnelle à l'art ». Tatline prône la limitation de l'activité artistique au seul domaine pratique et se nomme « productiviste ». Son slogan « L'art est mort ! Vive l'art de la machine » ne doit pas être interprété comme un reflet du dadaïsme nihiliste « à l'occidentale », mais en tant que vraie mise en œuvre des idées sociales du moment : Tatline, Rodchenko aussi bien que Malevitch s'emploient à la production de modèles de céramique, de vêtements d'ouvriers et de meubles pour les clubs de travailleurs. Aux yeux de l'avant-garde soviétique, le constructivisme apparaît comme la seule activité artistique conciliable avec les dures conditions socio-politiques du moment. En 1924, Malevitch publie un manifeste où il déclare que « le suprématisme déplace son centre de gravité vers l'architecture ». Cette déclaration est accompagnée d'un grand nombre de projets et de maquettes stéréométriques dont l'importance pour le développement du langage architectural du xxe siècle est encore à découvrir.

Les projets d'architecture Contrairement à l'idéalisme philosophique des premières théories picturales de Malevitch, ses projets d'architecture sont des exemples de sobriété. Mais dans les ateliers des autres architectes le romantisme révolutionnaire inspire des projets d'une démesure fantastique. Contrebalançant la rude réalité quotidienne, les architectes soviétiques des années vingt créent de nombreux projets qui a priori sont destinés à rester sur le papier. L'enthousiasme devant les nouvelles possibilités qu'ouvre l'idée d'une architecture dynamique se traduit par le projet optimiste de Tatline (1920) pour le bâtiment-monument à la IIIe Internationale. Trois formes « élémentaires » – cube, cône et cylindre – sont inscrites à l'intérieur d'une gigantesque spirale de 400 mètres qui, de surcroît, devait tourner sur son axe

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