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Mémoires Gratuits : Cata'0Oa. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoireses, le temps qu’elles mettent pour se manifester d’un pays à un autre, s’implanter ou créer des réactions. L’âge de la littérature baroque européenne, au sens le plus large, comprenant ce que les Français préfèrent appeler les siècles «classiques», de 1580 à 1790 environ, ne constitue pas une ère monolithique: il conviendra d’y distinguer des différences selon les temps et les régions. La littérature baroque européenne est, comme l’Europe, une mosaïque: une vision restrictive fait perdre les lignes générales d’orientation et de composition; une vision globale fait perdre de vue les particularités de la facture, faite d’un amoncellement de pièces détachables.
[pic] L’élaboration du concept: approche formelle et approche historique
Le mot «baroque» a eu sa période préhistorique: utilisé comme terme technique de joaillerie, d’origine portugaise, il a dérivé, dans certains pays, notamment en France, dans le sens de l’irrégularité, de l’insolite ou du barbarisme. Il n’en a pas été de même dans d’autres pays, notamment en Allemagne ou en Espagne, où le terme a défini l’art d’une période historique, sans jugement de valeur. Pourtant, les premiers analystes du baroque, comme Jacob Burckhardt (1818-1897), y ont vu une forme de dégénérescence de la Renaissance. Cette conception flattait les pays où le baroque était perçu comme invasion étrangère: la théorie des siècles d’or, idée ancienne réactualisée par Voltaire dans Le Siècle de Louis XIV , voit entre ces deux sommets que sont le siècle des Médicis et celui du Roi-Soleil, un creux de civilisation qu’aucune langue ne trouve utile de nommer. Cette image en creux est renforcée au XXe siècle par tous les tenants du classicisme, et par des auteurs qui réagissent idéologiquement, ou associent le baroque à des périodes de déclin qui valent pour un pays ou une région, mais ne sont pas généralisables à l’ensemble de l’Europe: ce fut le cas pour Benedetto Croce (1866-1952). Il s’agissait en fait d’une double confusion, élucidée ultérieurement: confusion entre le baroque et le maniérisme post-renaissant, et mauvaise interprétation du maniérisme lui-même, qui est seulement la période postmoderne de cette modernité appelée la Renaissance. Le baroque est tout le contraire d’une dégénérescence: il est profondément dynamisé par une volonté de régénération, qui s’établit dans le sillage de la reprise en main générale des communautés sociales, politiques et idéologiques, par les états et les églises, sur des bases renouvelées qui mettent en avant les principes d’unité et d’autorité. Il procède d’autre part de ce qu’on peut appeler la conscience de la fracture ou de l’écart entre le souhaitable et l’existant, qui aboutit à la constitution d’un univers duel à tous les niveaux de perception.
La première tentative de mise en situation du baroque, dans les arts qui concernent l’organisation et le rendu de l’espace, peut être attribuée à Heinrich Wölfflin (1864-1945). L’analyste procède, dans ses Principes fondamentaux de l’histoire de l’art , à l’établissement d’une série d’antithèses qui confrontent deux types d’esthétique. L’esthétique dite classique se caractériserait par la linéarité, le découpage de l’espace en plans séparés, la circonscription des formes et la prévalence du dessin. L’esthétique dite baroque privilégie la continuité, la matière colorée, le dynamisme des formes plus que l’harmonisation des lignes. Le classique a pour objectif une utopie de la perfection formelle, obtenue par la fermeture à l’extérieur et l’harmonisation interne des parties au tout: ce serait un espace qui renvoie à une image traditionnelle du cosmos, centré, fermé, un. Le baroque ne fait qu’indiquer des directions, créant un champ de forces ouvert et conflictuel, où tout est énergétique et in-défini, il-limité, in-terminable. Le classique a le culte de l’unité, qui est pour lui préalable et impose ses règles. Le baroque vit dans la diversité et la luxuriance, et oppose à l’unité indivisible des classiques une «unité multiple» par mise en résonance d’affinités. La quatrième opposition concerne les rapports de l’ombre et de la lumière: le classique éprouve une fascination pour un absolu de clarté, tandis que le baroque privilégie les contrastes en faisant ressortir la lumière d’une ombre qui a sa propre consistance.
Ces catégories, prises en elles-mêmes, ont une cohérence et une pertinence évidentes. Elles autorisent également une transposition dans le domaine littéraire. Analyse et synthèse, forme et force, fermeture et ouverture, multiplicité et unité, clarté et obscurité ont un sens dans le maniement littéraire du langage. Les tentatives d’étroite application qui en ont été faites, notamment dans des travaux universitaires américains, entraînent pourtant une certaine déception: mais les raisons en paraissent autres (systématisation mécanique, absence de prise en compte de la totalité de l’œuvre, qui ne se laisse mettre en catégorie que partiellement et artificiellement). C’est du côté de la spéculation esthétique générale que ces principes ont apporté la preuve de leur fécondité hors de leur domaine propre: Eugenio d’Ors (1882-1954) établit classique et baroque comme des constantes de civilisation, en y incluant des apports freudiens, et en établissant entre les deux catégories non une relation d’opposition, mais une oscillation qui les rend convertibles.
Les études effectuées par Marcel Raymond sont allées dans le sens d’une distinction entre le baroque et le maniérisme, et de l’établissement d’une thématique mise en rapport avec les caractéristiques formelles d’écriture. Parallèlement V. L. Tapié formulait les caractéristiques d’un baroque historique. Le livre fondamental de Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France: Circé et le Paon (1954), et l’Anthologie de la poésie baroque , qui a suivi, marquent l’apogée d’une période d’investigation, caractérisée par l’exploitation des catégories mises en place par les historiens de l’art et aménagées en fonction du mode spécifique d’expression de la littérature. Jean Rousset centre son étude autour de deux thèmes, le mouvement et l’apparence, comme marques distinctives de sensibilité. Le baroque est au centre d’un complexe dans lequel l’impossibilité d’atteindre à l’être est compensée par une immersion dans la fluidité de l’existence, où tout s’écoule et se métamorphose, et par les illusions spectaculaires de l’apparence, qui font de la vie une scène de théâtre.
Jean Rousset reviendra sur les bases à partir desquelles s’est constituée son étude, en particulier dans L’Intérieur et l’extérieur (1968). Ainsi s’amorce une récession dans l’utilisation de perspectives générales concernant le concept de baroque. Le livre de Pierre Charpentrat, Le Mirage baroque (1967), exprime un scepticisme ironique sur les vues synthétiques. La critique s’oriente vers des «micro-lectures», qui serrent de très près les textes, pour en faire ressortir des principes de fonctionnement, sans prétention à l’universalisation des principes. Cette critique prend le relais des méthodes élaborées en linguistique (Chomsky) et en informatique, et des modes d’investigation historique à partir du fait révélateur (Le Roy-Ladurie). L’investigation de Gérard Genette sur quelques documents de littérature baroque (Figures I et II , 1966 et 1969) prend appui sur l’approche technique pour la dépasser par une intégration dans une théorie générale de la production littéraire. Les thèmes de la fluidité et les détours du récit ne peuvent occulter une armature forte, et permettent de déceler «dans le vertige un principe de cohérence».
L’évolution historique de l’approche critique recouvre une logique: dans un premier temps, la critique littéraire se place sous la dépendance des principes énoncés par les historiens de l’art, et pose le baroque littéraire comme antithèse du classicisme. Dans une perspective d’histoire de la littérature française, le baroque apparaît comme un principe d’opposition à l’irrésistible montée d’un classicisme. Dans les pays où le baroque s’épanouit librement, c’est le classicisme, issu de France et se répandant en Europe au cours du XVIIIe siècle, qui sert de frein a ses débordements naturels. Dans un deuxième temps, qui est celui de l’affirmation d’une spécificité de la production littéraire, définissant la «littérarité», une approche technicienne approfondie permet de définir l’identité d’une œuvre par son organisation interne, ce qui brouille les pistes entre les antithèses abstraitement établies et le caractère exclusif des termes «baroque-classique». Actuellement se prépare une troisième phase, dans laquelle les études comparatistes, et l’adoption d’une perspective européenne devraient permettre de retrouver une forme de globalité.
Cette perspective amène à revenir sur la nature des relations entre baroque et classique. Le lien d’opposition révèle ses insuffisances et son caractère abstrait. On constate, par confrontation des structures internes d’œuvres arbitrairement classées suivant cette catégorisation, qu’il y a bien plus souvent indécision, ambiguïté ou superposition. Les deux notions sont étroitement imbriquées: la période du premier baroque français
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