Dissertation
Dissertation : Dissertation. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresne nécessaire transformation du réel. Enfin, nous nous interrogerons sur ce qui fait l'originalité et la valeur d'une œuvre théâtrale ; sa capacité à s'écarter de l'imitation du réel pour accéder à une vision du monde plus universelle qui permet aux spectateurs de donner plus de sens à leur existence à travers les destins emblématiques auxquels ils sont confrontés.
I. Le théâtre est un miroir fidèle qui renvoie aux spectateurs leur propre image
1. Le théâtre met en scène des situations, des sentiments qui ont une dimension universelle L'amour, par exemple, qui est bien sûr le plus souvent contrarié puisque l'action dramatique repose essentiellement sur le conflit. C'est la cause de tragédies, comme celle de Racine qui peint en Phèdre une amoureuse incandescente qui se consume d'un amour impossible pour son beau-fils Hippolyte et connaît les affres de la jalousie quand elle apprend qu'elle a une rivale en la jeune Aricie ; ou comme celle de Shakespeare dont les jeunes héros, Roméo et Juliette, incarnent parfaitement les amours contrariées par des querelles familiales : Roméo Montaigu a eu le bonheur mais aussi le malheur de connaître le coup de foudre en découvrant un soir de bal la belle Juliette, fille des Capulet, une famille ennemie de la sienne. Combien de spectateurs peuvent vibrer avec lui quand il s'exclame : « Mon cœur a-t-il aimé avant ce jour ? Mes yeux, jurez que non. Jamais avant ce soir je n'avais vu la vraie beauté ! » Combien aussi ont ressenti la même souffrance d'être séparé de l'être aimé, dont témoigne la nourrice de Juliette qui répond à la question de Roméo : « Que dit ma secrète épouse de nos amours proscrites ? – Oh, elle ne dit rien Monsieur, elle pleure et pleure encore, elle s'effondre sur son lit, puis d'un coup se redresse,[…] elle crie Roméo et elle retombe ensuite à nouveau. » Les drames ou les comédies romantiques bien sûr font de l'amour malheureux leur thème privilégié, comme celles de Musset. Nombre de spectateurs peuvent se reconnaître dans le badinage amoureux auquel se livrent Camille et Perdican, qui finissent par s'y perdre et perdre l'innocente Rosette qu'ils entraînent dans ce jeu dangereux où l'orgueil se dispute à l'amour, qui finit par triompher mais à quel prix ! Ils apprendront à leurs dépens qu'« on ne badine pas avec l'amour ». Le titre en forme de proverbe, de vérité générale, ne peut que nous interpeller ! Mais le théâtre nous renvoie aussi fréquemment notre image quand il confronte ses héros à la mort, autre situation conflictuelle universelle puisque cette issue inéluctable se heurte à notre désir de vivre. Dans sa pièce Le roi se meurt, Ionesco nous montre un personnage qui ne peut se résoudre à mourir, qui crie son désarroi à son peuple, l'appelle « au secours », espérant être sauvé, et exprime sa peur : « Ce n'est pas possible, j'ai peur. Ce n'est pas possible. » La reine Marguerite ironise : « Il s'imagine qu'il est le premier à mourir. » Or, le commentaire de la compatissante reine Marie souligne bien l'universalité du sentiment qui l'étreint : « Tout le monde est le premier à mourir. » C'est ce que doit se dire aussi le spectateur, témoin de son agonie. C'est pourtant la reine Marguerite qui lui apprendra à mourir, à « abdiquer », en lui donnant la force d'expulser la vie hors de lui et de s'immobiliser sur son trône, dans une posture sereine : « Et voilà, tu vois, tu n'as plus la parole, ton cœur n'a plus besoin de battre, plus la peine de respirer. C'était une agitation bien inutile, n'est-ce pas ? Tu peux prendre place. » Le héros de la pièce de Laurent Gaudé, Le Tigre bleu de l'Euphrate, publiée en 2002, n'est autre que le grand conquérant Alexandre de Macédoine, or celui-ci, à l'inverse de Béranger, consent à sa mort et dialogue avec elle : « Il est temps de mourir,/ je le sens. Je ne reculerai pas » ; il choisit significativement d'être « nu, sans tunique, ni diadème », c'est-à-dire de se dépouiller de ce qui faisait sa puissance royale pour n'être plus que « l'homme qui meurt ». Il rejoint ainsi Béranger en incarnant tout homme dans cette situation on ne peut plus universelle. C'est cette force du théâtre qu'analyse Ionesco dans son essai, Notes et contre-notes : « C'est moi-même qui meurs avec Richard II. Richard II me fait prendre une conscience aiguë de la vérité éternelle […] : Je meurs, tu meurs, il meurt. » C'est nous-mêmes qui mourons avec Béranger, avec Alexandre, que nous résistions ou que nous nous abandonnions à cette perspective. Nous nous retrouvons aussi dans l'interrogation angoissée, angoissante du prince Hamlet, autre héros de Shakespeare, dans son fameux monologue : « Être ou ne pas être, telle est la question… » et plus tard lorsqu'il médite sur le crâne déterré par le fossoyeur, du bouffon Yorrick : « Hélas, pauvre Yorrick, […] ici pendaient ces lèvres que j'ai baisées je ne sais combien de fois. Où sont vos plaisanteries maintenant ? vos escapades ? vos chansons ? […] Quoi ! plus un mot à présent pour vous moquer de votre propre grimace ? plus de lèvres ? […] Je t'en prie Horatio, dis-moi une chose. Crois-tu qu'Alexandre ait eu cette mine-là dans la terre ? » Le bouffon et le grand conquérant sont promis au même sort et rien ne les distinguera plus alors. Les didascalies répétées « prenant le crâne » nous permettent d'imaginer le face-à-face de Hamlet tenant ce crâne, méditant sur son propre devenir, comme ne peut manquer de le faire le spectateur. Mais davantage et mieux que le roman ou la poésie, le théâtre a cette capacité de nous tendre un miroir fidèle de notre condition d'homme, parce qu'il n'est pas seulement un texte écrit mais débouche sur la représentation.
2. Le spectacle théâtral offre un miroir particulièrement fidèle de nous-mêmesLe théâtre ne prend toute sa dimension qu'à travers la représentation qui rend présente la situation mise en scène, à travers des comédiens, des êtres de chair et de sang comme nous, qui incarnent à travers leur voix, leur corps, leurs costumes, le décor dans lequel ils évoluent, les personnages de papier imaginés par les dramaturges. La scène nous permet, grâce au quatrième mur invisible, d'assister en direct à leur tragédie, à leur drame, de percevoir leurs émotions à travers leurs larmes, leurs cris, leurs gestes qui nous émeuvent d'autant plus qu'ils nous renvoient à nos propres émotions ! Ainsi, la représentation scénique du Roi se meurt dans la mise en scène de Georges Werler en 2005 avec Michel Bouquet dans le rôle-titre nous fait percevoir toute la force mimétique et évocatrice de ce spectacle, reposant sur la présence de Michel Bouquet-Béranger magistral, d'objets, d'un décor, d'effets visuels et sonores pour matérialiser l'angoisse de la déchéance et de la mort. Ainsi la pièce s'ouvre-t-elle sur le fracas d'un orage annonciateur de fin du monde, nous assistons à l'agonie d'un vieil homme dont les grimaces expriment autant la terreur que la déchéance, qui se sert de son sceptre comme d'une béquille pour se relever lorsqu'il tombe de son trône avant de choir bientôt dans un fauteuil roulant. Il finit, comme le personnage de Laurent Gaudé, dénudé de tous les attributs de la royauté, en chemise, seul sur scène dans un dernier cercle de lumière qui s'éteint finalement, nous laissant dans l'obscurité complète. Là, il nous semble réellement voir en face ce que sera notre propre mort. Mais la force d'identification mimétique agira d'autant plus que le spectacle théâtral dans sa totalité, texte et représentation, tendra vers la plus grande fidélité à l'univers des spectateurs.
3. L'approche réaliste de l'univers représenté est un enjeu majeur Il faut que le spectateur croie facilement à ce qui lui est montré, se laisse prendre par l'action et ressente de réelles émotions. Cela passe par le langage utilisé par les personnages qui doit lui parler, trouver des échos en lui, par le naturel du jeu des comédiens qui doit être proche de celui de la vie réelle, par le réalisme des décors, des objets, des costumes qui doit lui faire croire à l'existence de ces personnages qui évoluent sur scène et donc à l'authenticité de leurs sentiments. C'est ainsi que la prose du Dom Juan de Molière parle plus directement que les alexandrins du Tartuffe par exemple, parce que c'est le langage de la vie réelle et son discours de séducteur cynique a des accents de vérité capables de scandaliser le spectateur du xviie comme du xxie siècle si l'on en croit la fascination des metteurs en scène contemporains pour cette pièce qui parle de l'amour et de la religion avec une liberté réjouissante et pour ce personnage apôtre de l'inconstance : « Quoi, tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui et qu'on n'ait plus d'yeux, pour personne […] Non, non, la constance n'est bonne que pour les ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer… » Dom Juan parle comme un honnête homme de son siècle, fait la cour à une paysanne, Charlotte, qu'il séduit autant par sa mise que par ses belles manières et son beau langage tout comme le ferait un séducteur de la haute société parisienne de nos jours : « Quoi, une
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