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Du Nigeria au Soudan, des expériences contrastées
Marc-Antoine PÉROUSE DE MONTCLOS*
A l’évidence, la comparaison du Nigeria et du Soudan s’impose lorsque l’on veut soumettre les projets fédéraux à l’épreuve des dures réalités politiques, sociales et économiques de l’Afrique noire. Les caractéristiques de ces deux pays, avec un Nord à dominante musulmane et un Sud chrétien ou animiste, ont d’ailleurs attiré l’attention
* Politologue, chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), . 1) Elaigwu (1996), Woodward et Forsyth (1994), Tanda (1995). Pour une réflexion plus générale sur les mérites du fédéralisme ou de la partition, cf. Byman (2002), p. 173 ss.
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Le fédéralisme est-il la forme de gouvernement la plus adaptée pour répondre aux défis du multiculturalisme en Afrique ? D’aucuns semblent le penser lorsqu’il s’agit de gérer des grands ensembles étatiques, de décentraliser des pouvoirs autoritaires, d’apaiser des tensions internes ou de reconstruire des pays déchirés par des guerres civiles comme en Somalie1. Synonyme de transition démocratique, à défaut d’ouverture au multipartisme, l’adoption de systèmes fédéraux a suscité un regain d’intérêt au début des années 1990, notamment en Ethiopie. Les expériences contrastées du Nigeria et du Soudan laissent pourtant dubitatifs. Au Soudan, pays le plus important du continent par sa surface, la réorganisation fédérale de l’Etat, à partir de 1991, n’a pas convaincu les populations en rébellion dans le Sud, qui y ont vu une manœuvre de division du pouvoir central. Et au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, le décret instituant, en 1967, une fédération de douze Etats n’a pas empêché, trois jours après, la proclamation de l’indépendance du Biafra dans la région est. C’est seulement après-guerre qu’un tel cadre institutionnel a permis de calmer les appréhensions des minorités et de faciliter le processus de réconciliation nationale.
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Le fédéralisme au secours de l’Afrique ?
A leur manière, le Nigeria et le Soudan ont pu être des références l’un pour l’autre. De dictatures militaires en conflits armés, leur communauté de problèmes a, en tout cas, enrichi la réflexion sur les systèmes de gouvernements fédéraux. De la colonisation jusqu’aux grandes orientations politiques après la période des indépendances, l’article qui suit rappelle ainsi les conditions qui ont amené ces deux pays à opter pour de tels modèles, avec des succès divers. Une double lecture institutionnelle et pratique souligne notamment les limites intrinsèques d’opérations qui visaient initialement à consolider des unités nationales fragiles. Au final, il apparaît que les fédéralismes à la nigériane ou à la soudanaise révèlent bien autant de divergences que de similitudes.
2) Salih (1984), Hunwick (1992). 3) Au vu de l’échec des pourparlers à Abuja en novembre 2001, la diplomatie nigériane devait certes produire des résultats limités : le processus de paix entamé en Afrique de l’Est sous l’égide de l’Intergovernmental Authority on Development (IGAD) paraît beaucoup plus prometteur depuis la conclusion d’un cessez-le-feu entre Khartoum et les rebelles à Machakos au Kenya en juillet 2002.
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des chercheurs2. Les gouvernements nigérians et soudanais ne sont pas non plus restés insensibles au parallélisme des situations. En 1965, deux ans avant la crise biafraise, Lagos envoyait par exemple une délégation à la conférence de Khartoum pour observer les tractations à propos du Sud-Soudan. La fin de la guerre civile au Nigeria en 1970 et la reprise des hostilités dans le sud du Soudan en 1983 ont ensuite conduit les diplomates des deux pays à se concerter davantage. A la fin des années 1980, Francis Mading Deng, ancien ministre soudanais des Affaires étrangères, et Olusegun Obasanjo, chef de la junte militaire nigériane de 1976 à 1979, montaient ainsi une Initiative africaine pour la paix. A la tête de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), le président nigérian Ibrahim Babangida organisait pour sa part des négociations entre Soudanais à Abuja en mai-juin 1992 puis avril-mai 1993. Les discussions portèrent en particulier sur l’idée d’une confédération à laquelle les rebelles se rallièrent un moment et dans laquelle les Etats du Sud-Soudan auraient assuré leur propre sécurité. En décembre 1999, le général Babangida était cette fois l’envoyé spécial du président Olusegun Obasanjo, nouvellement élu, et il supervisait à Nairobi la signature d’un accord en vertu duquel Kampala et Khartoum s’engageaient à cesser d’appuyer les oppositions armées au Soudan et en Ouganda respectivement3.
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L’héritage colonial : une division institutionnalisée
Au départ, pourtant, les points communs sont nombreux. D’abord, les deux pays connaissent de forts clivages culturels, religieux et éducationnels, sans parler d’importants différentiels de développement régionaux. Les appareils étatiques du Soudan et du Nigeria, ensuite, sont construits à partir de modèles assez semblables, d’importation britannique. Des gouverneurs ont été en poste dans les deux pays successivement, à l’instar de James Robertson, qui a fait toute sa carrière au Soudan avant de partir au Nigeria gérer la transition vers l’indépendance entre 1956 et 19604. A la tête de l’Ouganda dans les années 1890, Frederick Lugard, notamment, a inspiré ses successeurs dans le sud du Soudan voisin, qu’il avait été un moment question de réunifier au sein d’une seule et même colonie5. Dans le nord du Nigeria, Lugard expérimenta ensuite son fameux mode d’"administration indirecte", qui consistait à faire relayer l’autorité de Londres par des chefs traditionnels à la tête de native authorities. Mode de colonisation au moindre coût, l’indirect rule, en l’occurrence, a largement contribué à perpétuer et figer les différences culturelles. Dans le nord du Nigeria et du Soudan, la hiérarchisation féodale des sociétés musulmanes permit au système de fonctionner efficacement avec des émirs et des cheikhs. Dans le sud du Nigeria et du Soudan, en revanche, les Britanniques s’évertuèrent à nommer des chefs coutumiers qu’ils durent parfois inventer de toutes pièces car les communautés locales obéissaient rarement à des pouvoirs permanents et coercitifs. Leurré par son expérience des maharadjahs en Inde, le gouverneur John Maffey, en poste de 1926 à 1933, eut ainsi quelque difficulté à ressusciter "des tribus perdues et des chefs disparus" dans le sud du Soudan6. De même dans le sud-est du Nigeria, la création de "chefs par décret", les warrant chiefs, n’alla pas sans mal et provoqua des révoltes en 1929. L’organisation de l’administration territoriale fut à l’avenant et institutionnalisa des régimes politiques à plusieurs vitesses. A partir de 1914, le Nigeria fut gouverné en deux entités Nord et Sud, cette dernière étant découpée en deux régions Est et Ouest en 1939. Avec Kaduna pour chef-lieu, le Nord était la plus grosse des trois régions, la seule, aussi, à disposer de véritables native authorities. En comparaison, les administrations de l’Est, à Enugu, et de l’Ouest, à Ibadan,
4) Robertson (1974). 5) Lugard (1893), Perham (1956), Burns (1978), Lugard (1928), Okafor (1981). 6) Holt et Daly (1988), p. 137.
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étaient beaucoup plus directes. Evangélisées, ces régions bénéficièrent des écoles des missionnaires et elles s’ouvrirent à la modernité occidentale grâce au développement du commerce maritime avec la métropole. Par contraste, les musulmans du nord, eux, continuèrent de suivre une éducation coranique et conservèrent un mode de vie très traditionnel. Au Soudan, les Britanniques divisèrent également
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