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L'Ile Des Esclaves

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ôle tenu par la demoiselle La Lande CLÉANTHIS, rôle tenu par la demoiselle Silvia TRIVELIN, rôle tenu par le sieur Dominique Des habitants de l'île.

La scène est dans l'île des Esclaves.

Le théâtre représente une mer et des rochers d'un côté, et de l'autre quelques arbres et des maisons.

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SCÈNE PREMIÈRE

IPHICRATE s'avance tristement sur le théâtre avec ARLEQUIN. IPHICRATE, après avoir soupiré. ARLEQUIN ! ARLEQUIN, avec une bouteille de vin qu'il a à sa ceinture. Mon patron.. IPHICRATE. Que deviendrons-nous dans Cette île ? ARLEQUIN. Nous deviendrons maigres, étiques, et puis morts de faim : voilà mon sentiment et notre histoire. IPHICRATE. Nous sommes seuls échappés du naufrage ; tous nos camarades ont péri, et j'envie maintenant leur sort. ARLEQUIN. Hélas ! ils sont noyés dans la mer, et nous avons la même commodité. IPHICRATE. Dis-moi : quand notre vaisseau s'est brisé contre le rocher, quelques-uns des nôtres ont eu le temps de se jeter dans la chaloupe ; il est vrai que les vagues l'ont enveloppée, je ne sais ce qu'elle est devenue ; mais peut-être auront-ils eu le bonheur d'aborder en quelque endroit de l'île, et je suis d'avis que nous les cherchions. ARLEQUIN. Cherchons, il n'y a pas de mal à cela ; mais reposons-nous auparavant pour boire un petit coup d'eau-de-vie : j'ai sauvé ma pauvre bouteille, la voilà ; j'en boirai les deux tiers, comme de raison, et puis je vous donnerai le reste. IPHICRATE. Eh ! ne perdons point de temps, suis-moi, ne négligeons rien

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pour nous tirer d'ici ; si je ne me sauve, je suis perdu, je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes dans l'Île des Esclaves. ARLEQUIN. Oh, oh ! qu'est-ce que c'est que cette race-là ? IPHICRATE. Ce Sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis cent ans sont venus s'établir dans une île, et je crois que c'est ici : tiens, voici sans doute quelques-unes de leurs cases ; et leur coutume, mon cher Arlequin, est de tuer tous les maîtres qu'ils rencontrent, ou de les jeter dans l'esclavage. ARLEQUIN. Eh ! chaque pays a sa coutume ; ils tuent les maîtres, à la bonne heure, je l'ai entendu dire aussi, mais on dit qu'ils ne font rien aux esclaves comme moi. IPHICRATE. Cela est vrai. ARLEQUIN. Eh ! encore vit-on. IPHICRATE. Mais je suis en danger de perdre la liberté, et peut-être la vie ; ARLEQUIN, cela ne te suffit-il pas pour me plaindre ?. ARLEQUIN, prenant sa bouteille pour boire. Ah ! je vous plains de tout mon coeur, cela est juste. IPHICRATE. Suis-moi donc. ARLEQUIN siffle. Hu, hu, hu.. IPHICRATE. Comment donc, que veux-tu dire ? ARLEQUIN, distrait, chante. Tala ta lara. IPHICRATE. Parle donc, as-tu perdu l'esprit, à quoi penses-tu ? ARLEQUIN, riant. Ah ! ah ! ah ! Monsieur Iphicrate, la drôle d'aventure ;

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je vous plains, par ma foi, mais je ne saurais m'empêcher d'en rire. IPHICRATE, à part les premiers mots. Le coquin abuse de ma situation, j'ai mal fait de lui dire où nous sommes. ARLEQUIN, ta gaieté ne vient pas à propos, marchons de ce côté. ARLEQUIN. J'ai les jambes si engourdies. IPHICRATE. Avançons, je t'en prie. ARLEQUIN. Je t'en prie, je t'en prie ; comme vous êtes civil et poli ; c'est l'air du pays qui fait cela. IPHICRATE. Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieue sur la côte pour chercher notre chaloupe, que nous trouverons peut-être avec une partie de nos gens ; et en ce cas-là, nous nous rembarquerons avec eux. ARLEQUIN, en badinant. Badin, comme vous tournez cela. Il chante. L'embarquement est divin. Quand on vogue, vogue, vogue, L'embarquement est divin Quand on vogue avec Catin . IPHICRATE, retenant sa colère. Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin. ARLEQUIN. Mon cher patron, vos compliments me charment ; vous avez coutume de m'en faire à coups de gourdin qui ne valent pas ceux-là, et le gourdin est dans la chaloupe. IPHICRATE. Eh ! ne sais-tu pas que je t'aime ? ARLEQUIN. Oui, mais les marques de votre amitié tombent toujours sur

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mes épaules, et cela est mal placé. Ainsi tenez, pour ce qui est de nos gens, que le ciel les bénisse ; s'ils sont morts, en voilà pour longtemps ; s'ils sont en vie, cela se passera, et je m'en goberge. IPHICRATE, un peu ému. Mais j'ai besoin d'eux, moi. ARLEQUIN, indifféremment. Oh ! cela se peut bien, chacun a ses affaires ; que je ne vous dérange pas. IPHICRATE. Esclave insolent ! ARLEQUIN, Riant. Ah ! ah ! vous parlez la langue d'Athènes, mauvais jargon que je n'entends plus. IPHICRATE. Méconnais-tu ton maître, et n'es-tu plus mon esclave ? ARLEQUIN, se reculant d'un air sérieux. Je l'ai été, je le confesse à ta honte ; mais va, je te le pardonne : les hommes ne valent rien. Dans le pays d'Athènes j'étais ton esclave, tu me traitais comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus fort : eh bien, Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi ; on va te faire esclave à ton tour ; on te dira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tu penseras de cette justice-là, tu m'en diras ton sentiment, je t'attends là. Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable, tu sauras mieux ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres. Tout en irait mieux dans le monde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi. Adieu, mon ami, je vais trouver mes camarades et tes maîtres. (Arlequin s'éloigne.) Iphicrate, au désespoir, courant après lui l'épée à la main. Juste ciel ! peut-on être plus malheureux et plus outragé que je le suis ? Misérable, tu ne mérites pas de vivre. ARLEQUIN. Doucement ; tes forces sont bien diminuées, car je ne t'obéis plus, prends-y garde.

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SCÈNE II

TRIVELIN avec cinq ou six insulaires arrive conduisant une Dame et la Suivante, et ils accourent à Iphicrate qu'ils voient l'épée à la main TRIVELIN. Arrêtez, que voulez-vous faire ? IPHICRATE. Punir l'insolence de mon esclave. TRIVELIN. Votre esclave ? vous vous trompez, et l'on vous apprendra à corriger vos termes. (Arlequin prend l'épée d'lphicrate et la donne à Arlequin.) Prenez cette épée, mon camarade, elle est à vous. ARLEQUIN. Que le ciel vous tienne gaillard, brave camarade que vous êtes. TRIVELIN. Comment vous appelez-vous ? ARLEQUIN. Est-ce mon nom que vous demandez ? TRIVELIN. Oui vraiment. ARLEQUIN. Je n'en ai point, mon camarade. TRIVELIN. Quoi donc, vous n'en avez pas ? ARLEQUIN. Non, mon camarade, je n'ai que des sobriquets qu'il m'a donnés ; il m'appelle quelquefois ARLEQUIN, quelquefois Hé. TRIVELIN. Hé, le terme est sans façon ; je reconnais ces messieurs à de pareilles licences : et lui, comment s'appelle-t-il ? ARLEQUIN. Oh ! diantre, il s'appelle par un nom, lui ; c'est le seigneur

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Iphicrate. TRIVELIN. Eh bien, changez de nom à présent ; soyez le seigneur Iphicrate à votre tour ; et vous, Iphicrate, appelez-vous ARLEQUIN, ou bien Hé. ARLEQUIN, sautant de joie, à son maître. Oh ! Oh ! que nous allons rire, seigneur Hé ! TRIVELIN, à Arlequin. Souvenez-vous en prenant son nom, mon cher ami, qu'on vous le donne bien moins pour réjouir votre vanité, que pour le corriger de son orgueil. ARLEQUIN. Oui, oui, corrigeons, corrigeons. IPHICRATE, regardant Arlequin. Maraud ! ARLEQUIN. Parlez donc, mon bon ami, voilà encore une licence qui lui prend ; cela est-il du jeu ? TRIVELIN, à Arlequin. Dans ce moment-ci, il peut vous dire tout ce qu'il voudra. (à Iphicrate.) ARLEQUIN, votre aventure vous afflige, et vous êtes outré contre Iphicrate et contre nous. Ne vous gênez point, soulagez-vous par l'emportement le plus vif ; traitez-le de misérable et nous aussi, tout vous est permis à présent : mais ce moment-ci passé, n'oubliez pas que vous êtes ARLEQUIN, que voici Iphicrate, et que vous êtes auprès de lui ce qu'il était auprès de vous : ce sont là nos lois, et ma charge dans la République est de les faire observer en ce canton-ci. ARLEQUIN. Ah ! la belle charge ! IPHICRATE. Moi, l'esclave de ce misérable ! TRIVELIN. Il a bien été le vôtre. ARLEQUIN. Hélas ! il n'a qu'à être bien obéissant, j'aurai mille bontés pour lui.

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IPHICRATE. Vous me donnez la liberté de lui dire ce qu'il me plaira, ce n'est pas assez ; qu'on m'accorde encore un bâton. ARLEQUIN. Camarade, il demande à parler à mon dos, et je le mets sous la protection de la République, au moins. TRIVELIN. Ne craignez rien. CLÉANTHIS, à Trivelin.

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