Le roman est un miroir que l'on promène le long des chemins.

n époque. En effet, Erich Auerbach constate que le sens de certains passages échappe si l’on ne connait pas la situation politique et sociale des dernières années de la Restauration. De plus, Stendhal n’a cessé d’affirmer la prééminence des faits, les droits du réel. Il a été jusqu’à placer la devise de Danton « La vérité, l’âpre vérité » en épigraphe du Rouge et le Noir. Et dire de même, dans La vie de Henry Brulard : « Etre vrai et simplement vrai, il n’y a que cela qui tienne. »

Comme autre exemple, nous pouvons aussi parler de Balzac. En effet, celui-ci affirmait la volonté de ne pas raconter des faits imaginaires, mais de s’appuyer sur la vie réelle contemporaine telle qu’elle se présente sous tous ses aspects et en tous lieux. Les réalistes approuveront même le fait d’avoir été attentif à l’entourage de ses personnages mais aussi à la dépendance de celui-ci à son milieu social. Il souhaite dépasser la simple description de la société. C’est un observateur du détail.

Aussi, pour rédiger son roman, l’auteur n’hésite pas à utiliser différents à sa disposition pour rendre le réel, comme la science ou même le vécu de l’écrivain. Nous pouvons citer comme exemple la méthode de travail de Zola, dont il disait lui-même : « Ma façon de procéder est toujours celle-ci : d'abord je me renseigne par moi-même, par ce que j'ai vu et entendu ; ensuite, je me renseigne par les documents écrits, les livres sur la matière, les notes que me donnent mes amis ; et enfin l'imagination, l'intuition plutôt, fait le reste. Cette part de l'intuition est chez moi très grande, plus grande, je crois, que vous ne la faites. Comme le disait Flaubert prendre des notes, c'est être simplement honnête ; mais les notes prises, il faut savoir les mépriser. » En effet, Zola s'appuyait sur une solide documentation, ainsi que sur des enquêtes pour lesquelles il se déplaçait dans les régions qu'il souhaitait décrire. Le romancier voulait absolument s'imprégner de l'ambiance d'un lieu pour y capter le détail véridique. C'est dans cet esprit qu'il partit par exemple, visiter le Valenciennois pendant pour Germinal, ou qu'il produisit trois cents pages d'observations sur les Halles pour Le Ventre de Paris, pour ne citer qu’eux.

Nous pouvons aussi ajouter comme idée, l’épisode de la bataille de Waterloo dans les Misérables de Victor Hugo. A sa lecture, nous constatons que l’auteur s’est documenté avec précision. En effet, tous les éléments, que ce soient les vêtements, les lieux, les personnages ou même les techniques de guerre, renvoient à un épisode connu du lecteur contemporain. Et cela permet de rendre authentique le récit et de lui donner une certaine autorité.

De plus, le romancier dit réaliste cherche avant tout à ce que son lecteur se reconnaisse dans l’histoire racontée. En effet, l’histoire est ancrée dans une réalité connue du lecteur grâce à l’utilisation de noms de personnages connus ou de lieux qui authentifient la fiction, ou même par des références à des connaissances du lecteur. Le romancier réaliste vise à produire l’illusion du réel en multipliant des faits vrais qui ne changent pas l’intrigue mais au contraire, qui la rende plus naturelle. Par exemple, il n’était pas rare que Zola note des expressions populaires qu’il incérait dans ses romans pour que toutes les catégories sociales puissent se reconnaitre à travers ses écrits. Aussi, les personnages de ses romans sont accablés par le poids de la maladie, du travail fastidieux et pénible. On y retrouve des lieux noirs et connus du lecteur comme l’hôpital et l’asile qui rappellent à la réalité et enlève la part d’imaginaire, d’embellissement de la réalité que font certains romans. Les misères sociales sont présentes pour la captatio benevolentiae.

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Cependant, il ne faut pas oublier que cette réalité est une réalité transformée, modelée selon les envies et les besoin du romancier. Nous pouvons donc l’appeler « illusion réaliste ». En effet, plusieurs points de vue d’un même objet, d’un même évènement est possible. Prenons par exemple le cas de la Bataille de Waterloo. Celle-ci a été décrite par Victor Hugo et par Stendhal dans Les Misérables et la Chartreuse de Parme, mais par deux procédés différents. Hugo embrase la totalité de la bataille, il la contemple comme un gigantesque spectacle. Il a un regard qui englobe, il utilise un style épique qui rapproche la bataille aux grandes épopées mythologiques. Alors que, Stendhal, de son côté, n’embrasse pas la totalité du champ de bataille mais donne plus volontiers des éléments de l’action qui se déroule sous son regard, des actions partielles, découpées qui n’ont pas de liens entre-elles. Stendhal utilise ce que l’on appelle la « restriction de champ ». Il s’en tient à ce que voit, à ce que ressent le personnage qui ne comprend rien à ce qu’il se passe. Il exprime la bataille à travers des sensations d’un personnage alors qu’Hugo préfère rappeler au lecteur l’aspect monstrueux. Ici nous constatons bel et bien qu’un même grand évènement est raconté de deux manières opposées et que les deux lectures sont pour ainsi dire, complémentaires et permettent au lecteur d’avoir une vue globale de la bataille historique.

Nous pouvons aussi citer Maupassant. En effet, nous venons de voir que deux auteurs peuvent avoir deux points de vue différents d’un même élément. Maupassant, à lui seul, apporte deux points de vue différents d’un même fait divers dans une chronique : « Deux versions d’un fait divers. » Alors qu’un crime est commis, dans le premier récit, le point de vue s’oriente vers le crime préparé et voulu alors que dans le second récit le point de vue nous indique que le crime est un crime gratuit, Dans son premier extrait, Maupassant démontre ce que de telles histoires ont d’illusoire. Le réel est à la fois plus simple et déroutant, Maupassant nous montre la difficulté du romancier pour conserver sa face d’ombre et d’ambigüité et de ne pas être transparent à force d’explications comme le fait Emile Zola.

De ce fait, il serait juste de dire qu’un choix doit être fait de la part de l’auteur. Il est impossible que celui-ci raconte tout. Comme le dit Maupassant : « Un choix s’impose dans la multitude d’incidents insignifiants qui emplissent notre existence. » L’auteur ne peut pas tout décrire. Il ne peut pas raconter ce qu’il se passe à la fois dans un lieu et dans un autre, ce qu’il se passe dans l’esprit d’un personnage en même temps qu’un autre. Il y a toujours un décalage avec la réalité car l’Ecriture ne peut pas rendre l’instant. Tout raconter est impossible car il faudrait dans ce cas tout un tas de volumes pour une seule journée. Simplement, le choix de l’auteur met une barrière à la réalité, il la déforme en plus de ne sélectionner que ce qui l’intéresse, ce qu’il considère comme important et non insignifiant.

Ainsi, nous pouvons constater de la part de l’auteur un manque d’objectivité. Alors que dans un récit dit réaliste la voix de l’auteur devrait s’effacer, il n’en est rien. Chaque mise en scène, chaque personnage est une intervention, une volonté de l’auteur même si elle n’est pas directe. Dans le parti pris de peindre la réalité, les auteurs privilégient l’étude de certains thèmes et de lieux en oubliant ainsi de s’effacer au profit du narrateur qui pourrait conduire le récit. Aussi, comme le dit Champfleury dans Le réalisme à travers l’exemple de la photographie, on ne voit pas la réalité, on l’interprète. Il n’y aucune justesse, aucune objectivité quant au regard que nous portons sur ce qui nous entoure. Comme le dit de même Baudelaire vis-à-vis de Balzac, l’auteur n’est pas un observateur mais un interprète. En plus d’embellir la réalité, comme le fait Balzac, il donne son opinion sur ce qu’il voit. La vérité dans le roman réaliste n’existe pas car l’esprit de l’homme est fait pour modeler ce qui passe sous son regard.

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Nous sommes à présent dans la capacité de comprendre que la littérature réaliste est ainsi une alliance entre la fiction et la réalité et n’est pas simplement la vérité de ce qui se passe autour de l’auteur. Comme le dit Roman Jackobson dans Réalisme artistique, l’œuvre