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Les Mines D'Argent Du Potosi

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Pape est le Pape et que le Roi (d’Espagne) est le monarque du Monde » ; pour Cervantès, l’auteur du Don Quichotte publié en 1615, l’expression « es un Potosi » se traduit en français par « c’est le Pérou », « c’est un bon filon ». L’enthousiasme de ces contemporains du début de l’exploitation du Potosi n’est pas si exagéré ni si injustifié que cela, notamment au vu des études quantitatives d’un Hamilton ou d’un Chaunu ou qualitatives d’un Tandeter (cf. bibliographie).

Ainsi, je vous propose de nous pencher sur la problématique suivante : Quelle est la place de l’argent du Potosi dans le mécanisme économique et social de l’Empire colonial espagnol, aux XVIe et XVIIe siècles ?

Nous y répondrons en 2 parties. La première déterminera le processus et les modalités de l’exploitation du Cerro Rico ; la seconde analysera l’évolution du marché de l’argent et de ses conséquences financières pour la Couronne espagnole.

Processus et modalités de l’exploitation du Cerro Rico (3-11’)

a) Evolution des innovations techniques

Comme nous l’avons brièvement abordé dans l’introduction, l’exploitation de l’argent du Potosi ne s’est pas faite intensivement dès la découverte du filon, mais en plusieurs étapes ou cycles.

Le premier, comme dans les Iles et au Mexique au début de la colonisation espagnole, c’est le drainage des métaux précieux. Elle dure brièvement sur le dos des Indigènes qui doivent livrer tout l’argent qu’ils ont collecté par hasard durant des siècles.

La seconde étape relève de l’exploitation superficielle du Cerro, avec les techniques ancestrales de fusion dans des fourneaux. La main-d'œuvre locale est utilisée pour exploiter les filons proches de la surface et plutôt riches en argent. Le métal est ainsi exporté en barres, mais la production ne décolle pas.

Il faut attendre les années 1570 pour qu’un nouveau procédé d’origine allemande soit instauré, après avoir fait ses preuves dans les mines mexicaines : c’est l’affinage par amalgame. J’ai toujours été nul en chimie, mais en gros : il s’agit de réduire le minerai d’argent en poudre en y ajoutant du mercure (qu’on extrait de la mine de Huancavelica à 1000km de là) et d’attendre que la distillation du mercure permette de séparer l’argent solide et presque pur des autres métaux du minerai. Cela permet d’utiliser beaucoup plus de minerai en profondeur même s’il est plus pauvre. Il suffit alors de faire fondre l’argent traité pour pouvoir frapper monnaie à la Casa Real de la Moneda bâtie en 1572. Il s’agit principalement de pièces de 8 reales (photo de la pièce d’un real).

Enfin, car cela joue un rôle, certes indirect, mais nécessaire pour bien exploiter la mine, la ville de Potosi a subi d’importantes transformations urbaines également à partir de 1570. On y a construit des églises, des moulins, des réservoirs à eau et des habitats pour pouvoir accueillir les commerçants qui acheminent nourriture et autres marchandises indispensables à la vie à plus de 4000 mètres d’altitude, pour accueillir jusqu’à 40000 Espagnols en 1610, mais surtout la main d’œuvre minière. Selon Arzans (cf. Bibliographie), celle-ci se compose au début du XVIIe d’environ 4% de Noirs, de 30% de Créoles venus des quatre coins des Amériques espagnoles, mais les 2/3 sont des Indiens locaux, soumis à la mita (Graphique en camembert).

b) Le système de la Mita

Usant de leur statut de colonisateur, les Européens n’hésitent pas à utiliser la population locale pour extraire les ressources souterraines. Pour ce faire, le système de l’encomienda (l’attribution d’un lot d’Indiens à civiliser en échange d’un tribut en nature et en services) est, dans un premier temps, largement appliqué à Potosi. En effet, avec la rumeur des richesses du Cerro Rico, beaucoup d’Espagnols affluent vers le Pérou en espérant devenir encomendero. On en compte 130 dans la région à la fin du XVIe siècle bien que cela se borne peu à peu à un simple titre aristocratique.

En effet, l’encomienda est théoriquement remplacée par les ordonnances du Vice-roi du Pérou, Francisco de Toledo, lors de sa « visite » en 1572. Celui-ci reprend et instaure une institution préincaïque en voie de disparition et qui répondrait aux importants besoins de main-d'œuvre pour une exploitation intensive du Cerro Rico : c’est la mita. Il s’agit d’un système de répartition cyclique du travail forcé. Pour faire simple, on allait chercher des Indiens dans leurs villages (pueblo) jusqu’à 1500 km à la ronde et déléguait aux caciques (chefs indigènes) la responsabilité de sélectionner et d’envoyer 1/7 des hommes accomplir leur service. Ainsi (faire suivre avec le graphique), plus de 13 000 Indiens viennent chaque année travailler dans les mines du Potosi pour une période de 7 mois à un an, avant d’être relayés par une nouvelle vague de travailleurs, sachant qu’en 7 ans la rotation les fera revenir dans les galeries. De plus, les mineurs travaillent une semaine entière avant d’être relayés et de bénéficier de deux semaines de « repos » à moitié payées.

Ce système tournant permet aux mineros (les riches propriétaires et exploitants des filons, selon Chaunu, surnommés parfois « marchands d’argent », mercader de plata) d’avoir une main-d'œuvre locale (ce qui évite les frais excessifs d’import d’esclaves noirs à l’espérance de vie bien réduite par le trajet et le climat), une main d’œuvre renouvelable facilement, corvéable puisqu’il ne s’agit que d’une extension d’un devoir préexistant. En échange, cela offre aux mitayos (ceux qui participent à la mita donc) un salaire et leur assure des droits quant à la sécurité du travail, notamment.

Enfin, tout cela n’est que théorique, et comme avec le système évangélisateur de l’encomienda, beaucoup d’abus apparaissent rapidement - d’autant que les mineros détiennent généralement les hautes fonctions administratives et se permettent ainsi d’ignorer les instances royales - et les conséquences du travail forcé s’avèrent paradoxales : c’est le sujet de notre troisième sous-partie. Mais avant d’y venir, sachez que la mita minière ne disparaitra qu’avec l’Indépendance de la Bolivie au début du XIXe siècle.

c) Dérives et réalités du travail forcé

Le système de la mita impose aux Indiens un rythme de vie différent de la période précoloniale et ces changements ne sont pas sans conséquences, d’autant plus que les Européens les empirent pour leurs propres desseins.

Tout d’abord, on l’a effleuré précédemment, le mouvement de population indigène vers le Potosi a de graves impacts sur la vie des Indiens en général. En effet, les hommes partant aux mines, ce sont aux femmes, aux enfants et aux vieillards de s’occuper des travaux agricoles, bien difficiles pour eux. De plus, la focalisation européenne vers l’industrie minière met à mal l’agriculture locale, conduisant parfois à des disettes. Si les mitayos emmènent leur famille avec eux à Potosi pour y demeurer en tant que travailleurs libres ou s’ils décident de fuir vers des provinces non soumises à la mita, les conséquences en sont d’autant plus graves : on observe alors un dépeuplement important allant jusqu’à 75% dans certaines régions.

De plus, le salaire que perçoit le mitayo est à préciser tout comme la notion de travail forcé. Bien que de nombreux Indiens admettent apprécier leur vie de salarié libre, l’exploitation s’applique tout de même de manière subtile. Ainsi, on rémunère souvent les mitayos en nature (farine, viande, feuille de coca…) mais sans argent dans cette immense ville avec son marché, ses jeux et sa prostitution, il en vient à s’endetter notamment vis-à-vis de son employeur, qu’il doit rembourser en restant travailler pour lui. Autre subterfuge : la dobla. Le minero confie son filon à un ou plusieurs mitayos pour qu’ils extraient tout le week-end normalement jours de repos. Ainsi, ils donnent un tiers du minerai et gardent le reste. Mais ces mineurs n’ont généralement pas les fonds pour traiter ce minerai, lui faire subir l’amalgame pour obtenir l’argent fini : ils revendent alors au rabais le minerai extrait durant ces « heures supplémentaires » à leur employeur.

A la désertification, à la précarité et à l’exploitation informelle, il convient d’évoquer la plus importante des conséquences de cette mita du Potosi, et encore plus du Huancavelica : le massacre de 8 millions d’indigènes durant toute notre période. Le concile de Mexico, ne condamne-t-il pas, dès 1585, le « désir d’extraire de l’argent avec le sang de ces opprimés » ? A Potosi, bon nombre de facteurs écourtent l’espérance de vie des mineurs : le changement brutal de température entre les plateaux andins chauds et la montagne au climat venteux, froid et sec ; la raréfaction de l’oxygène pour de tels efforts ; l’insalubrité et l’exiguïté dans la mine quand il faut parfois y rester la semaine entière sans en sortir ; les écroulements de galerie ou l’ennoyage (inondation naturelle par infiltration de la pluie) ; et le plus douloureux : la silicose, une maladie qui ronge les poumons à force de respirer de la poussière dans les mines sans protection. Mais partir pour Potosi est pour beaucoup un moindre mal puisque l’espérance de vie à

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