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Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes

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Par   •  19 Février 2020  •  Fiche de lecture  •  2 759 Mots (12 Pages)  •  694 Vues

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Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Jean-Jacques Rousseau.

Cet ouvrage de Rousseau répond à la question proposée par l’académie de Dijon « Quelle est la source de l’inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle » ou, comme le dit Rousseau, il s’agit « de marquer dans le progrès des choses le moment où le droit succédant à la violence, la nature fut soumise à la loi ». Le livre se divise en deux parties: la première se propose de reconstituer très minutieusement ce qu’est l’homme sauvage, à l’état de nature ; la deuxième est une exploration des racines de l’inégalité.

Dès l’exorde Rousseau distingue deux types d’inégalités: l’inégalité naturelle, dont le nom seul montre qu’il est vain d’en chercher l’origine ; et l’inégalité sociale, instituée par l’homme. C’est elle dont il faut trouver la source.

De surcroît, Rousseau porte un regard critique sur les philosophes ayant examiné la question des fondements de la société et de la nature de l’homme sauvage: il leur impute une conception fautive de l’homme sauvage: « ont transporté à l’état de nature des idées qu’ils avaient prises dans la société. Ils parlaient de l’homme sauvage, et ils peignaient l’homme civil. »

Même si Rousseau présente la distinction amour de soi / amour-propre bien avancée la première partie et dans sa quatorzième note, je trouve pertinent d’en parler dès maintenant.

L’amour de soi renvoie à l’instinct naturel de conservation ou l’effort par lequel chacun tend à se conserver dans son être. L’amour-propre, lui, n’est qu’un sentiment relatif, factice et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre ; c’est une relation à soi qui enveloppe une relation à autrui en raison des comparaisons et du désir de la première place. C’est une lutte de prestige.

Le premier concerne l’homme sauvage et l’homme civilisé ; le deuxième ne concerne, cependant, que l’homme civilisé. Le passage de l’amour de soi à l’amour-propre se fait par la prise de conscience de soi et la comparaison.

Dans la première partie, Rousseau propose une éthopée de l’homme sauvage vivant dans l’état de nature - étape divisée en deux, mais laissons ça pour plus tard -, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles se trouvaient les hommes avant le pacte social. Il décrit l’homme sauvage comme étant moins fort et moins agile que les autres espèces. Cependant, il affirme qu’il est « organisé le plus avantageusement [de tous] ». À ce stade, le corps est le seul outil et la seule arme dont dispose l’homme. Dépourvu de la raison qui l’abrite en puissance et qui n’est pas censée se développer, ses opérations sont simples ; ses besoins, peu nombreux, ne vont pas au-delà de la faim, la soif et le repos, facilement satisfaits par la mère nourricière qu’est la nature. Ses seuls maux sont la faim ou la douleur. La vie de l’homme sauvage est donc dominée par l’ataraxie (ά- (= sans), -ταραχή (= trouble)).

Comme nous pouvons le constater, ce portrait de l’homme sauvage ne coïncide point avec l’idée doxale, selon laquelle l’homme sauvage serait une bête féroce mue par les passions les plus basses et vivant dans un état de guerre permanent - telle étant la position de Hobbes, par exemple. Au contraire, Rousseau soutient une position paradoxale par rapport à l’homme sauvage et, indirectement, de l’homme civilisé. Son propos est de démontrer que l’état de nature est plus souhaitable que l’état civil ; que l’homme sauvage, livré « au seul sentiment de son existence actuelle », vit mieux que l’homme civilisé, rongé par l’amour-propre et vivant dans les fers, et que « tout semble éloigner de l’homme sauvage la tentation et les moyens de cesser de l’être ». Ensuite, il introduit le concept de perfectibilité et s’en sert pour tracer la ligne de démarcation entre l’animal et l’homme. Ainsi, il désigne la faculté de l’homme à s’auto-déterminer - l’homme n’est pas, il devient -, contrairement à l’animal qui est et ne devient pas. Cette perfectibilité est rendue possible grâce à la conscience réflexive de l’Homme et à la liberté qui en découle, et consiste à faire des choix. Or, la liberté n’est pas synonyme d’un bon usage de celle-ci. Autrement dit, alors que l’animal est protégé de mauvais choix par son instinct, l’Homme peut faire, et c’est le cas le plus souvent, des mauvais choix: « Pourquoi l’Homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? » ; « cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l’Homme ; que c’est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c’est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature. ». Il soutient donc une thèse doublement paradoxale: 1) au sein de l’Illustration, son époque, caractérisée par l’amour du progrès ; puis 2) au sein de l’histoire de la philosophie en générale, où la conscience est conçue comme le privilège propre de l’Homme.

D’autre part, Rousseau se propose de réfléchir à la morale dans l’état de nature. Son point de départ est l’absence de relation entre les hommes, leur isolement: n’entretenant entre eux aucune relation, les hommes n’avaient par conséquent pas de rapports moraux - devoirs et droits. Des idées ou des valeurs comme la bonté et la justice, ou la méchanceté et l’injustice n’existaient pas pour l’homme sauvage. D’autres pensent comme Rousseau à ce sujet, Hobbes par exemple, et le penseur suisse lui en reconnaît le mérite. La conclusion qu’en tire Hobbes est « que pour n’avoir aucune idée de la bonté, l’homme soit naturellement méchant », différente de celle de Rousseau et jugée erronée par ce dernier. Pourquoi ? « Pour avoir fait entrer mal à propos dans le soin de la conservation de l’homme sauvage le besoin de satisfaire une multitude de passions qui sont l’ouvrage de la société, et qui ont rendu les lois nécessaires. » On en revient à l’idée d’une conception fautive de l’homme sauvage. Autrement dit, on pourrait dire que l’erreur de Hobbes est d’avoir confondu l’amour de soi avec l’amour-propre. Contrairement, chez Rousseau on a affaire à une neutralité morale de l’homme sauvage, où il n’est pas plus capable de faire le bien que le mal car « la même cause qui empêche les sauvages d’user leur raison, [...], les empêche en même temps d’abuser de leurs facultés ». Et c’est précisément cette ignorance du bien, ainsi que du mal, qui défend l’homme sauvage de commettre des méfaits: « Tanto plus in illis proficit vitiorum ignoratio, quam in his cognitio virtutis ». Mais, Rousseau ayant plus d’un tour dans son sac, vient compliquer ce raisonnement avec la pitié, qualité offerte à l’homme pour « [l’]adoucir », précédant toute réflexion - donc naturelle, intrinsèque et immédiate - et qui « tient lieu de lois, de mœurs, et de vertu » dans l’état de nature. Pourquoi « compliquer » ? D’une part parce que cette bonté naturelle est en contradiction avec la neutralité morale citée ci-dessus ; de l’autre parce que cette pitié est un « sentiment qui nous met à la place de celui qui souffre ». Cette identification s’avère problématique étant donné que l’homme sauvage est incapable de la moindre comparaison. Le dossier explique que cette contradiction peut être surmontée en distinguant deux formes d’identification: 1) passionnelle et immédiate, donc préalable à la distinction entre moi et autrui, et attestée dans le sauvage et dans l’animal, la pitié naturelle est un prolongement de l’amour de soi sur le monde extérieur et qui met en évidence une répugnance spontanée face à la souffrance d’un congénère ; 2) apparaissant avec les premières comparaisons et donc de la conscience de soi et de l’amour-propre, elle est plus éclairée et, en même temps, plus faible. Car, comme le remarque Rousseau dans l’Émile, elle s’accompagne du sentiment d’être soi-même épargné par la douleur.

Dans la seconde partie, Rousseau se propose de comprendre l’évolution qui a conduit l’Homme à passer de sa solitude existentielle à la dépendance sociale.

Dès l’ouverture de cette seconde partie, on voit le concept autour duquel Rousseau articulera les étapes évolutives des sociétés: la propriété privée: « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire: Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. » Ces étapes évolutives sont, comme le dit le dossier, les suivantes: a) la naissance des premières associations ou du « second état de nature » au cours duquel se nouent les premiers liens sociaux, et où émerge la condition psychologique de la propriété privée: l’amour-propre ; b) la dégradation de ce « second état de nature » jusqu’à l’état de guerre dont on ne sortira (momentanément) que par le pacte social ; c) la dégénérescence inéluctable des gouvernements issus de ce pacte depuis la démocratie jusqu’à la tyrannie.

Ce « second état de nature » trouve son origine dans les premières difficultés rencontrées par le genre humain face à la nature, et qui devaient être vaincues (Rousseau cite quelques exemples dans

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