Médée
Dissertation : Médée. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresdiscours trop long pour une épître : il me suffit qu’elles sont autorisées ou par la vérité de l’histoire, ou par l’opinion commune des anciens. Elles vous ont agréé autrefois sur le théâtre ; j’espère qu’elles vous satisferont encore aucunement sur le papier, et demeure, 1
Monsieur, Votre très humble serviteur, Corneille.
Examen
Cette tragédie a été traitée en grec par Euripide, et en latin par Sénèque ; et c’est sur leur exemple que je me suis autorisé à en mettre le lieu dans une place publique, quelque peu de vraisemblance qu’il y ait à y faire parler des rois, et à y voir Médée prendre les desseins de sa vengeance. Elle en fait confidence, chez Euripide, à tout le chœur, composé de Corinthiennes sujettes de Créon, et qui devaient être du moins au nombre de quinze, à qui elle dit hautement qu’elle fera périr leur roi, leur princesse et son mari, sans qu’aucune d’elles ait la moindre pensée d’en donner avis à ce prince. Pour Sénèque, il y a quelque apparence qu’il ne lui fait pas prendre ces résolutions violentes en présence du chœur, qui n’est pas toujours sur le théâtre, et n’y parle jamais aux autres acteurs ; mais je ne puis comprendre comme, dans son quatrième acte, il lui fait achever ses enchantements en place publique ; et j’ai mieux aimé rompre l’unité exacte du lieu, pour faire voir Médée dans le même cabinet où elle a fait ses charmes, que de l’imiter en ce point. Tous les deux m’ont semblé donner trop peu de défiance à Créon des présents de cette magicienne, offensée au dernier point, qu’il témoigne craindre chez l’un et chez l’autre, et dont il a d’autant plus de lieu de se défier, qu’elle lui demande instamment un jour de délai pour se préparer à partir, et qu’il croit qu’elle ne le demande que pour machiner quelque chose contre lui, et troubler les noces de sa fille. J’ai cru mettre la chose dans un peu plus de justesse, par quelques précautions que j’y ai apportées : la première, en ce que Créuse souhaite avec passion cette robe que Médée empoisonne, et qu’elle oblige Jason à la tirer d’elle par adresse ; ainsi, bien que les présents des ennemis doivent être suspects, celui-ci ne le doit 2
pas être, parce que ce n’est pas tant un don qu’elle fait qu’un payement qu’on lui arrache de la grâce que ses enfants reçoivent ; la seconde, en ce que ce n’est pas Médée qui demande ce jour de délai qu’elle emploie à sa vengeance, mais Créon qui le lui donne de son mouvement, comme pour diminuer quelque chose de l’injuste violence qu’il lui fait, dont il semble avoir honte en lui-même ; et la troisième enfin, en ce qu’après les défiances que Pollux lui en fait prendre presque par force, il en fait faire l’épreuve sur une autre, avant que de permettre à sa fille de s’en parer. L’épisode d’Egée n’est pas tout à fait de mon invention ; Euripide l’introduit en son troisième acte, mais seulement comme un passant à qui Médée fait ses plaintes, et qui l’assure d’une retraite chez lui à Athènes, en considération d’un service qu’elle promet de lui rendre. En quoi je trouve deux choses à dire : l’une, qu’Egée, étant dans la cour de Créon, ne parle point du tout de le voir ; l’autre, que, bien qu’il promette à Médée de la recevoir et protéger à Athènes après qu’elle se sera vengée, ce qu’elle fait dès ce jour-là même, il lui témoigne toutefois qu’au sortir de Corinthe il va trouver Pitthéus à Trézène, pour consulter avec lui sur le sens de l’oracle qu’on venait de lui rendre à Delphes, et qu’ainsi Médée serait demeurée en assez mauvaise posture dans Athènes en l’attendant, puisqu’il tarda manifestement quelque temps chez Pitthéus, où il fit l’amour à sa fille Aethra, qu’il laissa grosse de Thésée, et n’en partit point que sa grossesse ne fût constante. Pour donner un peu plus d’intérêt à ce monarque dans l’action de cette tragédie, je le fais amoureux de Créuse, qui lui préfère Jason, et je porte ses ressentiments à l’enlever, afin qu’en cette entreprise, demeurant prisonnier de ceux qui la sauvent de ses mains, il ait obligation à Médée de sa délivrance, et que la reconnaissance qu’il lui en doit l’engage plus fortement à sa protection, et même à l’épouser, comme l’histoire le marque. Pollux est de ces personnages protatiques qui ne sont introduits que pour écouter la narration du sujet. Je pense l’avoir déjà dit, et j’ajoute que ces personnages sont d’ordinaire assez difficiles à imaginer dans la tragédie, parce que les événements publics et éclatants dont elle est composée sont connus de tout le monde, et que s’il est aisé de trouver des gens qui les sachent pour les raconter, il n’est pas aisé d’en trouver qui les ignorent pour les entendre ; c’est ce qui m’a fait avoir recours à cette fiction, que Pollux, depuis son retour de Colchos, avait toujours été en Asie, où il n’avait rien appris de ce qui s’était passé dans la Grèce, que la mer en sépare. Le contraire arrive en la comédie : comme elle n’est que d’intrigues particulières, il n’est rien si facile que de trouver des gens qui les ignorent ; mais souvent il n’y a qu’une seule personne qui les puisse expliquer : ainsi l’on n’y manque jamais de confidents quand il y a matière de confidence. 3
Dans la narration que fait Nérine au quatrième acte, on peut considérer que quand ceux qui écoutent ont quelque chose d’important dans l’esprit, ils n’ont pas assez de patience pour écouter le détail de ce qu’on leur vient raconter, et que c’est assez pour eux d’en apprendre l’événement en un mot ; c’est ce que fait voir ici Médée, qui, ayant su que Jason a arraché Créuse à ses ravisseurs, et pris Egée prisonnier, ne veut point qu’on lui explique comment cela s’est fait. Lorsqu’on a affaire à un esprit tranquille, comme Achorée à Cléopâtre dans la Mort de Pompée, pour qui elle ne s’intéresse que par un sentiment d’honneur, on prend le loisir d’exprimer toutes les particularités ; mais avant que d’y descendre, j’estime qu’il est bon, même alors, d’en dire tout l’effet en deux mots dès l’abord. Surtout, dans les narrations ornées et pathétiques, il faut très soigneusement prendre garde en quelle assiette est l’âme de celui qui parle et de celui qui écoute, et se passer de cet ornement, qui ne va guère sans quelque étalage ambitieux, s’il y a la moindre apparence que l’un des deux soit trop en péril, ou dans une passion trop violente pour avoir toute la patience nécessaire au récit qu’on se propose. J’oubliais à remarquer que la prison où je mets Egée est un spectacle désagréable, que je conseillerais d’éviter ; ces grilles qui éloignent l’acteur du spectateur, et lui cachent toujours plus de la moitié de sa personne, ne manquent jamais à rendre son action fort languissante. Il arrive quelquefois des occasions indispensables de faire arrêter prisonniers sur nos théâtres quelques-uns de nos principaux acteurs ; mais alors il vaut mieux se contenter de leur donner des gardes qui les suivent, et n’affaiblissent ni le spectacle ni l’action, comme dans Polyeucte et dans Héraclius. J’ai voulu rendre visible ici l’obligation qu’Egée avait à Médée ; mais cela se fût mieux fait par un récit. Je serai bien aise encore qu’on remarque la civilité de Jason envers Pollux à son départ : il l’accompagne jusque hors de la ville ; et c’est une adresse de théâtre assez heureusement pratiquée pour l’éloigner de Créon et Créuse mourants, et n’en avoir que deux à la fois à faire parler. Un auteur est bien embarrassé quand il en a trois, et qu’ils ont tous trois une assez forte passion dans l’âme pour leur donner une juste impatience de la pousser au-dehors ; c’est ce qui m’a obligé à faire mourir ce roi malheureux avant l’arrivée de Jason, afin qu’il n’eût à parler qu’à Créuse ; et à faire mourir cette princesse avant que Médée se montre sur le balcon, afin que cet amant en colère n’ait plus à qui s’adresser qu’à elle ; mais on aurait eu lieu de trouver à dire qu’il ne fût pas auprès de sa maîtresse dans un si grand malheur, si je n’eusse rendu raison de son éloignement.
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J’ai feint que les feux que produit la robe de Médée, et qui font périr Créon et Créuse, étaient invisibles, parce que j’ai mis leurs personnes sur la scène dans la catastrophe. Ce spectacle de mourants m’était nécessaire pour remplir mon cinquième acte, qui sans cela n’eût pu atteindre à la longueur ordinaire des nôtres ; mais à dire le vrai, il n’a pas l’effet que demande la tragédie, et ces deux mourants importunent plus par leurs cris et par leurs gémissements, qu’ils ne font pitié par leur malheur. La raison en est qu’ils semblent l’avoir mérité par l’injustice qu’ils ont faite à Médée, qui attire si bien de son côté toute la faveur de l’auditoire, qu’on excuse sa vengeance après l’indigne traitement qu’elle a reçu de Créon et de son mari, et qu’on a plus de compassion du désespoir où ils l’ont réduite, que de tout ce qu’elle leur fait souffrir. Quant au style, il est fort inégal en ce poème : et ce que j’y ai mêlé du mien approche si peu de ce que j’ai traduit de Sénèque, qu’il n’est point besoin d’en mettre le texte en marge pour faire discerner au lecteur ce qui est de lui ou de moi. Le temps m’a donné le moyen d’amasser assez de forces pour ne laisser pas cette différence si visible
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