La Rébellion Contre L'héritage Des Poètes Précédents Est-Elle Indispensable À La Création Poétique ?

fier d’impressionniste. Différemment, la poésie en prose permet au poète de se libérer des contraintes de la versification. Dans le poème "Un Rêve" extrait de Gaspard de la nuit, Aloysius Bertrand relate dans une atmosphère à la fois mystique et tragique trois épisodes distincts où le rêveur prend la place d’un condamné qui subit le supplice de la roue. On a bien montré que la contrainte imposée par un héritage poétique parfois lourd, à travers la rébellion contre celle-ci, peut stimuler la création poétique.

Le poète, par essence, porte en lui ce ferment de révolte. Saint-John Perse peint le poète : «Poète est celui-là qui rompt avec l’accoutumance. »

La plupart des poètes cherchent à s’affranchir de l’autorité de leurs prédécesseurs et se réalisent dans la révolte. Plus sensible que l’homme commun, questionneur du monde, «il vit la vie à côté» (Charles Cros) et son statut de marginal dans la vie n’est en fait que le reflet de sa nature de rebelle. Les "poètes maudits" ont fait une vie à l’image de leur art : Verlaine était à la fin de sa vie un SDF et Rimbaud se comportait en goujat, scandalisant son entourage par ses manières peu raffinées.

Plus profondément, c’est sans doute la nature même de la poésie qui porte en elle le germe de la rébellion. La poésie apparaît comme un espace d’évasion ou de liberté, que symbolise le personnage du bohémien nomade, thème récurrent de nombreux poèmes : Verlaine, Apollinaire ou Aragon. Or toute évasion suppose la rupture, le déchirement avec le monde dont on veut s’évader.

Si l’on en croit les faits dont témoigne l’histoire littéraire. L’évolution poétique, est scandée de ces ruptures et de ces révoltes, parfois violentes. Ainsi, les romantiques sont nés de leur contestation des « règles classiques», jugées trop rigides et contraignantes : Hugo, dans "Réponse à un acte d’accusation" extrait des Contemplations, se présente comme le héros révolutionnaire du vers ou comme la Liberté guidant le peuple poétique. Mais il pouvait déjà alors sentir la rébellion naissante des Parnassiens, agacés par les élans lyriques de ces jeunes poètes qui exhalent tout au long de leurs vers leur "mal du siècle". Puis, très vite, fatigués des beautés hiératiques de l’Art pour l’Art prôné par Théophile Gautier, Baudelaire et Rimbaud se profilent déjà pour renverser ces principes. On a ainsi montré que la création poétique naît souvent d’une rébellion contre l’héritage des poètes précédents, rébellion influencée par le rejet de contraintes liée au genre ou innée du fait de la nature particulière du poète. Tout poète s’est, un jour inspiré d’un prédécesseur.

Dans cette partie, nous verrons comment l’héritage des poètes précédents peut jouer un rôle dans la création poétique.

Les œuvres plus ou moins anciennes constituent pour le créateur une source inépuisable d’inspiration. Tout d’abord, le jeune poète, se cherchant, peut, pour faire ses premières armes une sorte d’imitation d’un grand auteur, en effet, on ne bâtit pas sur rien, les artistes les plus révoltés et provocateurs ont commencé par imiter leurs pères. Rimbaud, à 16 ans, écrivit, "Les Effarés", un très beau poème, ressemblant à s’y méprendre à du Hugo, où Rimbaud évoque avec réalisme la vie des enfants des rues. Mais, l’entraînement n’est pas le seul dessein de l’imitation. Le poète, peut aussi composer par admiration une oeuvre à part entière, comme une véritable création poétique. L’hommage, l’aveu de la valeur du modèle qui mérite d’être imité, peut conduire quelquefois à des œuvres un peu satiriques, ou de parodie. C’est ainsi que Malraux dit «Tout grand art commence par le pastiche». Certains poètes travaillant même explicitement autour du pastiche. C’est le cas de Raymond Queneau, qui dans "Si tu t'imagines", poème extrait du recueil L’instant fatal, joue sur le langage en reprenant le thème du très célèbre "Ode à Cassandre" de Ronsard.

Néanmoins, la reprise de l’héritage des poètes précédents ne se cantonne pas à l’imitation, le poète peut reprendre des formes poétiques oubliées ou négligées. Il est vrai que la passé fourmille d’inventions pertinentes qui ne demandent qu’à être remises au goût du jour. Des inventions souvent décriées au moment de leur naissance mais que le regard du poète d’un autre siècle peut trouver génial. Victor Hugo intitule ainsi son recueil Odes et Ballades alors que ces formes étaient méprisées pendant deux siècles, ce recueil regroupe de très beaux poèmes comme "La Liberté", une ode où le poète donne un visage plein d’humanité à la liberté. Différemment, Apollinaire a reprit le "poème-dessin" en le renommant Calligramme mais c‘est Rabelais au XVIe siècle qui l’avait fait connaître avec sa "dive bouteille". Pendant si longtemps, ce magnifique outil était tombé en désuétude et le précurseur des surréalistes l’a remit au goût du jour notamment avec