La gestion publique de l'islam en france
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La revue internationale et stratégique, n° 52, hiver 2003-2004
La gestion publique de l’islam en France et en Allemagne. De l’improvisation de pratiques in situ à l’amorce d’un processus de régulation nationale
Claire de Galembert*
CLAIRE DE GALEMBERT
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La question de l’intégration de l’islam est plus que jamais inscrite à l’agenda politique dans nombre de pays européens. Si la France a précédé de près de dix ans l’Allemagne sur cette voie, les deux voisins européens se trouvent aujourd’hui engagés l’un et l’autre dans un processus de reconnaissance politique de cette nouvelle composante religieuse, essentiellement issue de l’immigration. Tandis que, en France, une étape symbolique importante a été franchie en mai 2003 avec la création du Conseil français du culte musulman (CFCM), les autorités allemandes n’ont cessé, depuis la réforme du droit de la nationalité, de plaider en faveur d’un alignement de l’islam sur les autres cultes. La déléguée fédérale allemande aux étrangers, Marie-Luise Beck, l’a encore réaffirmé en 2002 : le processus de « citoyennisation » (Einbürgerung) de l’islam est aujourd’hui irréversible. De fait, l’implantation de l’islam est un phénomène que les autorités publiques de part et d’autre du Rhin ont, nolens volens, été amenées à prendre en compte sous l’effet de l’enracinement d’une importante population de culture musulmane, estimée à 3 millions de personnes en Allemagne et à environ 4 à 5 millions de personnes en France1. On peut certes discuter la validité de l’équation qui ferait de toute personne issue d’un pays majoritairement musulman un fidèle de l’islam. Il n’en demeure pas moins qu’ont surgi dans les deux pays des acteurs et des groupes d’intérêts islamiques (personnalités, associations, fédérations) articulant des demandes religieuses diverses : demandes de permis de construire pour des lieux de culte, demandes d’organisation de production de viande halal, célébration des fêtes musulmanes et en particulier de la fête du sacrifice du mouton, cours d’éducation religieuse, aménagement de carrés
* Chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Groupe d’analyse de politiques publiques (École normale supérieure, ENS-Cachan). 1. Selon les estimations officielles présentées par le rapport du Haut Conseil à l’intégration (HCI) de novembre 2000, L’islam dans la République, Paris, La Documentation française, coll. « Rapports officiels », 2001 ; ainsi que dans la réponse du gouvernement de Gerhard Schröder à la grosse Anfrage de l’Union chrétienne démocrate (CDU), Deutscher Bundestag, « Antwort der Bundesregierung auf die große Anfrage der Fraktionen der CDU/CSU und FDP. Islam in Deutschland », Drucksache 14/4530. Disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.bmi.bund.de/Downloads/islam.pdf, consulté le 9 octobre 2003.
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LA REVUE INTERNATIONALE ET STRATÉGIQUE
LE LOCAL : LIEU D’INVENTION ERRATIQUE DE LA GESTION PUBLIQUE DE L’ISLAM
La mise à l’agenda politique de l’intégration de l’islam, observable en France depuis la fin des années 1980 et une décennie plus tard en Allemagne, ne fait que marquer le début d’une étape nouvelle dans l’histoire des relations entre acteurs publics et islamiques. L’émergence de la question de l’islam dans les arènes publiques nationales s’inscrit en effet dans la continuité des rapports plus ou moins denses qui se sont noués entre eux in situ, le plus souvent au niveau local. Les espaces locaux constituent au départ autant de scènes, sinon parfaitement cloisonnées du moins dis1. Si l’on s’en réfère du moins à la définition opératoire qu’en donne Jean-Gustave Padioleau, un mouvement social se présente (1) sous la forme d’acteurs périphériques à l’establishment de la société politique (2) qui appellent de leurs vœux des changements sociaux, et (3) entreprennent à cet effet une action collective. Jean-Gustave Padioleau, L’État au concret, Paris, PUF, coll. « Sociologies », 1982, p. 36.
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islamiques dans les cimetières, prise en compte des interdits alimentaires dans les cantines scolaires. Cette mobilisation, qui n’est pas sans présenter les traits d’un mouvement social1, a porté dans l’espace public la revendication de reconnaissance de l’islam. À la croisée de ces demandes de reconnaissance religieuse et des incertitudes que suscitent auprès des acteurs publics et des sociétés d’accueil ce qui est perçu comme un processus de réislamisation des jeunes générations et la montée de l’islamisme, le fait islamique s’est imposé comme un incontournable « problème public », et ce, à double titre. En premier lieu, la présence et le devenir de l’islam provoquent des débats de société aux accents parfois extraordinairement violents de part et d’autre du Rhin, comme l’illustrent les différentes polémiques et controverses relatives aux objets symboliques tels que les mosquées et les voiles islamiques. D’autre part, il apparaît aujourd’hui évident que l’islam, devenu la deuxième religion après le christianisme, est redevable d’un traitement public officiel. On ne saurait certes sous-estimer l’impact des cultures politiques nationales sur la manière dont se configure le problème de l’islam en France et en Allemagne, ainsi que sur la manière dont il est pris en considération par les autorités publiques. Le présent article se concentrera toutefois sur les dynamiques communes que présente le processus d’émergence de l’islam dans les arènes publiques nationales. Les similitudes que présente ce processus en France et en Allemagne nous paraissent en effet d’autant plus significatives que ces deux pays sont souvent considérés comme deux modèles contrastés, tant en matière de gestion des cultes et de gestion de l’immigration que dans le régime d’action publique. On notera tout d’abord que cette émergence au niveau national ne constitue qu’une nouvelle phase dans les rapports entre les pouvoirs publics et les acteurs islamiques qui se sont noués avant tout dans l’espace local. On montrera ici comment, dans le cas français comme dans celui de l’Allemagne, la mise à l’agenda politique de la question de la reconnaissance de l’islam, qui implique son glissement de l’échelle locale à l’échelle nationale, répond, au-delà de ses enjeux symboliques, à un impératif de mise en cohérence des pratiques de gestion publique du fait islamique. Dans un cas comme dans l’autre, ce glissement d’échelle répond donc à un processus de mise aux normes nationales du fait islamique et de sa gestion. Il apparaît toutefois que, dans ses modus operandi, ce processus de mise aux normes diffère de part et d’autre du Rhin, laissant affleurer des styles politiques (policy styles) nationaux.
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1. Franck Frégosi, Jean-Paul Willaime (sous la dir.), Le religieux dans la commune : régulations locales du pluralisme religieux en France, Genève, Labor et Fides, 2001, p. 16-17. À ceci près que des questions telles que celle de l’implantation des lieux de culte, à en croire les tensions qu’elles suscitent, n’ont précisément rien d’une question « élémentaire ».
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tinctes et autonomes les unes des autres, sur lesquelles surgit la question de l’islam et s’improvisent des pratiques de gestion du fait islamique. Si l’on resitue la question de l’émergence de l’islam sur un axe diachronique, c’est en effet dans le cadre territorial des villes et des quartiers que se nouent in concreto les toutes premières interactions entre musulmans et acteurs publics, et que se négocient les conditions et les modalités de présence de l’islam dans les sociétés européennes. C’est là que s’articulent les premières demandes et mobilisations religieuses résultant de la transformation du rapport à la société d’accueil qu’implique la sédentarisation. Le cadre local, et en particulier communal, est en conséquence l’arène où se jouent, sinon toutes du moins de nombreuses négociations et transactions initiales entre autorités publiques et acteurs (individus, groupes, associations) porteurs de demandes d’islam (lieux de culte, cimetières, viande halal, cours de religion). Cela s’explique non seulement en raison du fait que les objets mêmes sur lesquels se cristallisent les toutes premières demandes
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