Les Conféssions De j j Rousseau
Mémoire : Les Conféssions De j j Rousseau. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresheurs, par vos entrailles, et au nom de toute l’espèce
humaine, de ne pas anéantir un ouvrage unique et utile, lequel
peut servir de première pièce de comparaison pour l’étude des
hommes, qui certainement est encore à commencer, et de ne pas
ôter à l’honneur de ma mémoire le seul monument sûr de mon
caractère qui n’ait pas été défiguré par mes ennemis. Enfin, fussiez-
vous, vous-même, un de ces ennemis implacables, cessez de
l’être envers ma cendre, et ne portez pas votre cruelle injustice
jusqu’au temps où ni vous ni moi ne vivrons plus, afin que vous
puissiez vous rendre au moins une fois le noble témoignage
d’avoir été généreux et bon quand vous pouviez être malfaisant
et vindicatif : si tant est que le mal qui s’adresse à un homme qui
n’en a jamais fait ou voulu faire, puisse porter le nom de vengeance.
J.-J. Rousseau.
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Livre I
Intus et in cute.
Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont
l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables
un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme
ce sera moi.
Moi, seul. Je sens mon coeur et je connais les hommes. Je ne
suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait
comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au
moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le
moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger
qu’après m’avoir lu.
Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra,
je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain
juge. Je dirai hautement : « Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai
pensé, ce que je fus. J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise.
Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s’il m’est
arrivé d’employer quelque ornement indifférent, ce n’a jamais été
que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire
; j’ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l’être, jamais
ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus ; méprisable
et vil quand je l’ai été, bon, généreux, sublime, quand je
l’ai été : j’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même. Être
éternel, rassemble autour de moi l’innombrable foule de mes
semblables ; qu’ils écoutent mes confessions, qu’ils gémissent de
mes indignités, qu’ils rougissent de mes misères. Que chacun
d’eux découvre à son tour son coeur aux pieds de ton trône avec la
même sincérité ; et puis qu’un seul te dise, s’il l’ose : Je fus meilleur
que cet homme-là. »
Je suis né à Genève en 1712, d’Isaac Rousseau, citoyen, et de
Suzanne Bernard, citoyenne. Un bien fort médiocre à partager
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entre quinze enfants ayant réduit presque à rien la portion de
mon père, il n’avait pour subsister que son métier d’horloger,
dans lequel il était à la vérité fort habile. Ma mère, fille du ministre
Bernard était plus riche ; elle avait de la sagesse et de la beauté
; ce n’était pas sans peine que mon père l’avait obtenue. Leurs
amours avaient commencé presque avec leur vie : dès l’âge de
huit à neuf ans ils se promenaient ensemble tous les soirs sur la
Treille ; à dix ans ils ne pouvaient plus se quitter. La sympathie,
l’accord des âmes affermit en eux le sentiment qu’avait produit
l’habitude. Tous deux, nés tendres et sensibles, n’attendaient que
le moment de trouver dans un autre la même disposition, ou plutôt
ce moment les attendait eux-mêmes, et chacun d’eux jeta son
coeur dans le premier qui s’ouvrit pour le recevoir. Le sort, qui
semblait contrarier leur passion, ne fit que l’animer. Le jeune
amant, ne pouvant obtenir sa maîtresse, se consumait de douleur.
Elle lui conseilla de voyager pour l’oublier. Il voyagea sans fruit,
et revint plus amoureux que jamais. Il retrouva celle qu’il aimait
tendre et fidèle. Après cette épreuve, il ne restait qu’à s’aimer
toute la vie, ils le jurèrent, et le ciel bénit leur serment.
Gabriel Bernard, frère de ma mère, devint amoureux d’une
des soeurs de mon père ; mais elle ne consentit à épouser le frère
qu’à condition que son frère épouserait la soeur. L’amour arrangea
tout, et les deux mariages se firent le même jour. Ainsi mon
oncle était le mari de ma tante, et leurs enfants furent doublement
mes cousins germains. Il en naquit un de part et d’autre au
bout d’une année ; ensuite il fallut encore se séparer.
Mon oncle Bernard était ingénieur : il alla servir dans
l’Empire et en Hongrie sous le prince Eugène. Il se distingua au
siège et à la bataille de Belgrade. Mon père, après la naissance de
mon frère unique, partit pour Constantinople, où il était appelé,
et devint horloger du sérail. Durant son absence, la beauté de ma
mère, son esprit, ses talents, lui attirèrent des hommages.
M. de la Closure, résident de France, fut des plus empressés à lui
en offrir. Il fallait que sa passion fût vive, puisqu’au bout de trente
ans je l’ai vu s’attendrir en me parlant d’elle. Ma mère avait plus
que de la vertu pour s’en défendre, elle aimait tendrement son
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mari ; elle le pressa de revenir : il quitta tout et revint. Je fus le
triste fruit de ce retour. Dix mois après, je naquis infirme et malade
; je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le premier de
mes malheurs.
Je n’ai pas su comment mon père supporta cette perte, mais
je sais qu’il ne s’en consola jamais. Il croyait la revoir en moi, sans
pouvoir oublier que je la lui avais ôtée ; jamais il ne m’embrassa
que je ne sentisse à ses soupirs, à ses convulsives étreintes, qu’un
regret amer se mêlait à ses caresses : elles n’en étaient que plus
tendres. Quand il me disait : « Jean-Jacques, parlons de ta
mère », je lui disais : « Hé bien ! mon père, nous allons donc
pleurer », et ce mot seul lui tirait déjà des larmes. « Ah ! disait-il
en gémissant, rends-la-moi, console-moi d’elle, remplis le vide
qu’elle a laissé dans mon âme. T’aimerais-je ainsi si tu n’étais que
mon fils ? » Quarante ans après l’avoir perdue, il est mort dans
les bras d’une seconde femme, mais le nom de la première à la
bouche, et son image au fond du coeur.
Tels
...