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Anthologie: de la mélancolie au mal de vivre

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e n’ai plus que les os, un squelette je semble,

Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé,

Que le trait de la mort sans pardon a frappé ;

Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.

Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,

Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé.

Adieu, plaisant soleil, mon œil est étoupé,

Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.

Quel ami me voyant en ce point dépouillé

Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,

Me consolant au lit et me baisant la face,

En essuyant mes yeux par la mort endormis ?

Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,

Je m’en vais le premier vous préparer la place.

Pierre de Ronsard (1524-1585), Derniers Vers (1586)

L'astre qui fait le jour

L'astre qui fait le jour dort dans le sein des eaux,

Un silence profond règne en toutes les plaines,

Et les zéphyres seuls par de faibles haleines

D'un petit tremblement agitent les rameaux.

On n'oit plus dans les bois les concerts des oiseaux,

Et l'aimable enchanteur des soucis et des peines,

Le sommeil, au doux bruit des paisibles fontaines,

Charme de ses douceurs et bergers et troupeaux.

Je suis seul qui pressé d'une douleur cruelle

Vois fuir de mes yeux le sommeil que j'appelle,

Les veilles m'ont conduit au bord du monument.

À quel joug la nature en l'homme est asservie !

Il faut pour être heureux perdre le sentiment,

Et mourir chaque nuit pour conserver sa vie.

Antoine GODEAU (1605-1672), Sur les longues veilles

El Desdichado

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,

Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :

Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé

Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,

Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,

La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,

Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?

Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;

J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :

Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée

Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Gérard de Nerval (1808-1855), les Chimères (1854)

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,

Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,

Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,

S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.

Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,

Ni son peuple mourant en face du balcon.

Du bouffon favori la grotesque ballade

Ne distrait plus le front de ce cruel malade ;

Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,

Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,

Ne savent plus trouver d'impudique toilette

Pour tirer un souris de ce jeune squelette.

Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu

De son être extirper l'élément corrompu,

Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,

Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,

Il n'a su réchauffer ce cadavre hébété

Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.

Charles Baudelaire (1821-1867), Les fleurs du mal (1857)

À une heure du matin

Enfin! seul! On n'entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.

Enfin! il m'est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres! D'abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde.

Horrible vie! Horrible ville! Récapitulons la journée: avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l'un m'a demandé si l'on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île); avoir disputé généreusement contre le directeur d'une revue, qui à chaque objection répondait: "- C'est ici le parti des honnêtes gens", ce qui implique que tous les autres journaux sont rédigés par des coquins; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d'acheter des gants; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m'a prié de lui dessiner un costume de Vénustre; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m'a dit en me congédiant: "- Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z...; c'est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs, avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons"; m'être vanté (pourquoi?) de plusieurs vilaines actions que je n'ai jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j'ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle; ouf! est-ce bien fini?

Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m'enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Ames de ceux que j'ai aimés, âmes de ceux que j'ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise!

Charles Baudelaire (1821-1867), Le Spleen de Paris (1862)

Spleen

Les roses étaient tou-tes rouges,*

Et les lierres étaient tout noirs.

Chère, pour peu que tu te bouges,

Renaissent tous mes désespoirs.

Le ciel était trop bleu, trop tendre

La mer trop verte et l'air trop doux.

Je crains toujours,- ce qu'est d'attendre!

Quelque fuite atroce de vous.

Du houx à la feuille vernie

Et du luisant buis je suis las,

Et de la campagne infinie

Et de tout, fort de vous, hélas !

Paul Verlaine (1844-1896), Romances sans paroles (1873)/

Spleen d’été

L'orageux crépuscule oppresse au loin la mer

Et les noirs sapins. L'ombre, hélas ! revient toujours.

Ah ! je hais les désirs, les espoirs, les amours,

Autant

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