L'Art Soigne, Mais Qu'Est Ce Qui Soigne Dans l'Art ?

siècle. Il développe très jeune des talents artistiques, mais suivra des études de droit suite aux conseils de sa famille et gardera le dessin et la peinture comme loisir. Au début des années 1940, il est victime d'une grave infection pulmonaire qui lui impose deux années de convalescence durant lesquelles il s'intéresse à l'histoire de la philosophie, à la musique romantique, continuant à peindre et à dessiner. C'est au terme de cette période qu'il se tourne définitivement vers l'art.

Creu I R, 1975

L’image, un pouvoir mystérieux

De nombreuses iconographies lors des époques de grandes épidémies montrent assez bien l'importante relation entre art et soin. En effet, on remarque que les thèmes utilisés sont la plupart du temps la maladie, le malade ou le médecin. Ceci témoigne de l'écoute des artistes aux souffrances et aux espoirs de guérison des populations frappées par la peste, la lèpre... Ce phénomène rend compte de l'aspiration de l'artiste pour le réconfort, prémisse d'une volonté thérapeutique.

La peste dans un tableau de Nicolas Poussin

M. Fréchuret explique que la preuve du contenu soignant de l'oeuvre est encore à démontrer, mais qu'il est une réalité qu'elle guérit. La puissance que l'image exercerait sur les esprits et sur le corps le soignerait. En effet, Les miracles produits par une certaine peinture s'expliquerait par sa force intrinsèque, son énergie, son aura provenant de sa beauté et provoquerait la fascination du regardeur, duquel le corps se mettrait en mouvement et provoquerait sa guérison. En fin de compte, l'image aurait un pouvoir mystérieux, une vitalité et ne se résumerait pas à ce qui est montré. L'artiste n'est pas le producteur des forces mystérieuses et surnaturelles que l'image contient. Il produit l'image, non le soin. C'est entre le producteur et son produit que se glisse, s'infiltre le secret du soin. Quelques temps plus tard, il en sera autrement.

L'artiste ou le chaman ?

Au Xxème siècle, l'artiste s'attribue les pouvoirs soignants. Le soin peut devenir une volonté, une intention de l'artiste responsable de ses oeuvres. Le soin est maintenant signé.

Les trois peintres que nous avons choisi illustrent bien ce phénomène car attribuent à leurs oeuvres des pouvoirs curatifs. Par exemple Henry Matisse prêtait ses toiles à ses amis malades pour les aider à se rétablir tout comme Sam Francis qui lui, assigne à la couleur des valeurs thérapeutiques particulières et explique : « J’ai fait une grande peinture, un grand espace de jaune et d’orange avec un carré blanc au milieu, le jaune et l’orange très brillants. Et je la lui ai portée et je l’ai mise dans sa chambre et je lui ai dit : je t’en prie, regarde ce tableau tous les jours et médite sur la couleur. Et son état s’est amélioré merveilleusement. ». Enfin, M. Fréchuret rapporte une anecdote sur Antoni Tàpies (que ce dernier a confirmé) ; celle d’un homme terrassé par un infarctus qui tombe à terre et perd connaissance dans le musée de Cuenca. Dans un demi coma il aperçoit une oeuvre de Tàpies accrochée au mur et, fixant son regard sur elle, éprouve un sentiment de calme et d’apaisement. L'artiste considère ainsi son oeuvre comme un objet magique et sa vie comme un destin. Matisse : « Mon rôle, je le crois, est de donner de l’apaisement. Parce que, moi, j’ai besoin d’apaisement. » Francis continue : « Je suis blessé. Soigner m’a toujours intéressé. Je soignais les animaux, je leur venais en aide quand quelque chose n’allait pas. Je ne sais pas pourquoi. C’est mon destin. Une structure archétypale. » Tandis que pour Tàpies, son but est de : « transformer un tableau en un objet magique qui aurait des pouvoirs curatifs en entrant en contact avec ton corps ou en le posant dessus, et qui exerce la même influence qu’un talisman. » Bref, nous pouvons finalement nous demander si c'est l'oeuvre qui est soignante ou l'artiste qui est guérisseur.

Deux réalités de soin

Comme nous l'avons expliqué précédemment, ces trois artistes ont chacun été de grands malades et ont trouvé dans l'art le moyen de se soigner. Ils sont artistes parce que l'art les a soigné. Autant, leurs affirmations sur le fait que leurs oeuvres sont capables de soigner peuvent nous laisser perplexes, autant leurs témoignages de malades se soumettant à une discipline artistique qui les soigne sont convaincants. Le malade a vérifié sur lui-même le soin que procure la pratique artistique. On a donc deux propositions soignantes simultanément exprimées par les mêmes personnes. La première est celle de l'artiste-soignant prétendant que ses oeuvres sont capables de soigner alors que la seconde est celle de la personne malade qui dit s'être soigné par la pratique de l'art. Comment d'homme malade devient ont artiste-soignant ? Cela irait de soie de penser qu'un artiste qui s'est fait soigné grâce à sa pratique d'un art, propose à ses proches malades le même remède. Or, le paradoxe est qu'au lieu de leur révéler qu'il faudrait pratiquer l'art pour se soigner, il leur propose ses propres oeuvres. Dès lors, force est de

constater que les deux propositions sont nettement séparées, indépendantes l'une de l'autre. Il existe alors peut-être deux réalités de soin, l'une expérimentée et l'autre fantasmée. Ce passage de l’intuition soignante de l'art vers l'intention réparatrice correspond en fait à un « glissement fétichiste » selon Raymond Galle : déplacement d'une expérience du soin vers l'illusion d'une oeuvre qui soigne.

Le glissement fétichiste

Les images crées par ces trois artistes ne sont que « des projections, des fétiches objectivant un processus vécu ayant produit un soin dont l'artiste à été bénéficiaire mais qui reste magique car impensé et refoulé. » Le pseudo-pouvoir de ces oeuvres n'a donc rien à voir avec le soin contenu dans la pratique qui les a fait naître. Ceci est la source d'une illusion soignante. L'artiste semble finalement souhaiter maintenir le spectateur dans une fascination d'objets à réputation curative.

Le soin serait donc dans la pratique

Ainsi, le soin se trouve ailleurs que dans l'oeuvre. Si l'art contient du soin, c'est dans la pratique régulière de cette activité qu'au final on le trouve. Après tout, le rapport soignant entre oeuvre d’art et pratique artistique doit être repensé. Une oeuvre spécifique peut émouvoir le malade et lui donner cette envie de peindre. Mais cette pratique qui lui apportera un soin certain n’aboutira pas nécessairement sur une oeuvre à proprement parlé.

L'artiste-guérisseur n'est pas art-thérapeute

Bien que la pratique d'un art par un malade soit une partie importante du travail d'un artthérapeute, elle n'est pas tout. L'art-thérapeute est un professionnel sérieusement formé à cette méthode. Il entretien un travail psychique sur lui-même en lien avec un superviseur expérimenté et lorsqu'il travail avec le malade, il doit laisser ses soucis de maîtrise de côté au risque de stériliser la rencontre. Le semblant, le fictionnel (grâce à l'art) doit être réappris par le patient, ou plutôt doit être différencié de ce qui est évident, réel. Le désir est la clé du soin ici, car il est familier dès l'enfance d'après Anzieu.

Différence importante du trouble

Alors que nos trois peintres étaient atteint d'invalidité, de tuberculose... les patients d'un artthérapeute sont plutôt malade psychologiquement. Selon Winnicott, la capacité créatrice de la psyché dépend du premier porte-parole (souvent la mère) de l'enfant et de sa capacité à l'animer psychiquement grâce à des jeux, rires, sous-

entendus.