Les Etats-Unis et la construction européenne de 1948 à 1992
Dissertation : Les Etats-Unis et la construction européenne de 1948 à 1992. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Fanny Boizeau • 7 Avril 2017 • Dissertation • 3 397 Mots (14 Pages) • 1 104 Vues
Les Etats-Unis et la construction européenne de 1948 à 1992
Le 12 mars 1947, le président des Etats-Unis Harry Truman énonce la doctrine du containment devant le Congrès, se plaçant à la tête du « monde libre » qu’il entend défendre contre l’extension toujours plus importante de la zone d’influence soviétique, donc notamment à la tête de l’Europe occidentale. Déjà pendant le conflit mondial, les diplomates américains ont compris la nécessité d’avoir un projet global pour l’Europe à la sortie de la guerre : après un début de siècle marqué par l’isolationisme, les Etats-Unis se décident à assumer leurs responsabilités mondiales et mettent en œuvre une politique active de construction européenne. En effet, seule une union des états européens grâce à un certain degré de fédéralisme pourrait permettre de sortir l’Europe de la logique de conflit dans laquelle elle se trouve engagée depuis le début du siècle, mais aussi de lutter contre l’avancée du communisme, et plus prosaïquement, une Europe unie et reconstruite leur permettrait d’assurer leur propre prospérité.
La mise en œuvre de ce projet fédéraliste pour l’Europe débute en 1948 avec le lancement effectif du plan Marshall le 3 avril ; et s’achève en novembre 1992 par la signature des pré-accords de Blair House entre les Etats-Unis et l’Union Européenne. La première et la dernière mesure politique des Etats-Unis vis-à-vis de la construction européenne sur cette période sont de nature économique, mais les intentions américaines sont totalement différentes : alors qu’en 1948 prévalaient les projets politiques de construction fédérale de l’Europe dans un cadre de Guerre Froide, en 1992 l’économie seule est au cœur des préoccupations américaines tandis que l’Europe se dote par elle-même des moyens d’une intégration politique par la signature du Traité de Maastricht.
Ainsi, on peut se demander comment, en l’espace de 44 ans, la politique américaine vis-à-vis de la construction européenne a pu changer aussi radicalement : comment les relations entre les Etats-Unis et l’Europe ont-elles évolué de 1948 à 1992 au point de transformer une relation d’aide et de soutien politique et économique à la construction européenne en une relation de rivalité et de concurrence commerciale ?
Dans un premier temps, les Etats-Unis ont tenté d’imposer un modèle fédéral à la construction européenne dont ils sont à l’origine (I) ; puis des années 60 aux années 70, devant le succès économique de l’Europe, la politique américaine se réoriente vers une tentative de redéfinition des relations transatlantiques à travers l’idée d’un partnership à égalité (II) ; enfin, des années 70 à 1992, la politique européenne des Etats-Unis est strictement destinée à rétablir les équilibres commerciaux avec l’Europe (III).
La construction européenne se fait d’abord sous l’influence directe des Etats-Unis : le coup de Prague est l’élément déclencheur de l’action américaine et influencera les bases même de la future construction européenne (A), qui prendra dans les années 50 des directions imposées par les Etats-Unis (B).
Le coup de Prague, en février 1948, permet la prise de conscience par la majorité du Congrès américain de l’urgence de la situation en Europe : si rien n’est fait, ce coup de Prague ne sera que le premier d’une longue série sur tout le continent, car même en Europe Occidentale, les communistes bénéficient d’une grande popularité. Le Congrès va donc voter en avril 1948 le European Recovery Program, c’est-à-dire le programme économique du plan Marshall d’un montant de 13 milliards de dollar. Pour se répartir cette somme, les états européens bénéficiaires de l’aide créent le 16 avril 1948 l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE), les Etats-Unis ne voulant pas être mêlés aux débats quand à la distribution de l’aide.
Cette première intervention directe des Etats-Unis est intrinsèquement liée à la construction européenne, qui voit naitre sa première institution avec l’OECE : en effet, dans une logique intergouvernementale, avec des décisions prises à l’unanimité, les états européens se concertent et se mettent d’accord pour la répartition, l’utilisation et le contrôle de cette aide de l’ERP. C’est la première fois qu’il y a un minimum de transparence qui rentre dans les rapports européens, et ce plan Marshall conduit à une solidarité de fait, à une unification des états et à un dialogue consensuel pour se répartir l’aide et lutter contre l’avancée du communisme. Cela amène donc à une sorte de nouvelle définition des états par eux-mêmes : la notion de vainqueur ou de vaincu tend à s’estomper face à la notion d’Europe libérale unie par ce plan, même si l’Allemagne reste stigmatisée si près de la fin de la guerre.
Cette intervention américaine a permis de mettre en place une base importante de la construction européenne : la transparence. On trouve déjà par ailleurs la mise en place d’éléments de l’organisation européenne à venir, notamment au niveau monétaire (création de l’Union Européenne des paiements en 1950) et de la libéralisation des échanges (mise en place de réductions de barrières douanières).
Si dans un premier temps les Etats-Unis ne sont pas intervenus pour imposer leur propre vision de la construction européenne, il n’en sera pas de même par la suite : en effet, alors même qu’il existe les moyens de faire vivre une Europe inter gouvernementale (l’OCDE, un état major militaire dans l’Union Occidentale et un conseil de l’Europe intergouvernemental sont déjà mis en place), les Etats-Unis vont faire pression sur les européens pour qu’ils instaurent des institutions supranationales, seule solution possible selon eux pour assurer la paix dans une Europe divisée entre des états nations guidés par leurs intérêts nationaux. Il faut donc mettre en place des structures fédérales qui leur imposeraient la voie à suivre, et les Etats-Unis reçoivent une sorte de « preuve » que leur projet est le plus adapté quand éclate le conflit franco-allemand en 1950.
En effet, en 1949, la RFA demande à retrouver sa plénitude sur la Sarre et à gérer la Ruhr sans autorité internationale, ce qui déclenche des réactions françaises négatives. Cependant, dans un contexte de Guerre Froide, les Etats-Unis demandent fermement à Schumann, le ministre français des affaires étrangères, de changer sa politique a l’égard de l’Allemagne lors de sa visite à Washington en mars 1950 : on souhaite éviter toute division au sein même du camp occidental, d’où la demande américaine de maintenir l’unité du camp à travers une coopération, quelle que soit sa forme, coopération qui doit être préparée avant le sommet de l’OTAN en mai 1950 à Londres. Le projet de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) porté par Schumann permet ainsi d’envisager la fin de l’autorité internationale sur la Ruhr et de régler définitivement la question sarroise en donnant à la France un droit de regard. C’est pour cela que l’on a pu parler d’une « origine américaine » du plan Schumann : même si c’est une idée française, elle n’aurait surement pas été mise en œuvre sans la pression des Etats-Unis pour calmer les tensions entre la France et l’Allemagne. On voit donc que les Etats-Unis, même s’ils n’apportent pas de solutions toutes prêtes aux européens, permettent la mise en œuvre de la construction européenne par leur pression constante sur la politique des états du bloc. De plus, pour soutenir l’idée de supranationalité des institutions qui leur est chère, les Etats-Unis accordent un prêt de 100 millions de dollar à la CECA : on voit leur investissement direct et concret dans cette première construction européenne supranationale.
On peut aussi voir l’intervention des Etats-Unis dans la construction européenne à travers leur appui pour la création d’une communauté européenne de défense (CED) promue par le plan Pleven en 1950, dans laquelle la RFA réarmée doit avoir sa place. Le plan proposé par Pleven aux membres de la future CECA consiste à mettre en place une armée européenne dirigée par un ministre européen de la Défense, sous commandement suprême de l'OTAN. Symbole fort de réconciliation entre les Européens, le traité instituant la CED est conclu le 27 mai 1952 à Paris. Cette idée d’armée européenne reçoit le plein et entier soutien des Etats-Unis : ainsi, le secrétaire d’état américain Dean Acheson déclare le 12 septembre 1950 « Je veux des Allemands en uniforme pour l’automne 1951 », tandis que le secrétaire d’état suivant, John Foster Dulles, considère que le projet d’une armée fédérale européenne constituerait les prémisses d’un état fédéral européen sur le modèle américain et en fait sa priorité absolue, au point de menacer ouvertement la France de « agonizing reappraisal » (révisions déchirantes) en cas de non ratification du traité, c’est-à-dire un retrait des troupes américaines d’Europe. Au lieu de rester un projet militaire, la CED est devenue un projet politique, puisque Dulles pense trouver là une solution aux guerres européennes, mais aussi un moyen de priver l’Europe d’une défense souveraine puisque le chef de cette armée serait le commandant en chef de l’OTAN, donc en pratique un américain. Cependant, ce projet n’aboutit pas à cause d’un rejet français, mettant en lumière le fait qu’une implication trop visible des Etats-Unis dans la construction européenne peut leur faire du tort : les Etats-Unis vont donc adopter une nouvelle approche européenne.
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