Arrien, historien antique : vie, oeuvre et écriture
Cours : Arrien, historien antique : vie, oeuvre et écriture. Rechercher de 54 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar mattis gauvin • 3 Mars 2025 • Cours • 2 603 Mots (11 Pages) • 20 Vues
Arrien, de son nom complet Lucius Flauius Arrianus, a été un écrivain et homme politique romain. Il est né aux alentours de 85 après J.C. dans une famille de notables bithyniens qui jouissait de longue date d’une citoyenneté romaine. De fait, la vie d’Arrien et de sa famille est assez bien documentée : on retrouve jusqu’à 11 prosopographies (littéralement « description d’une personne », c’est-à-dire un article ou un ouvrage dans lequel les personnalités qui composent un milieu social sont inventoriées et classées à titre individuel) qui le nomme expressément ; nous avons aussi des sources littéraires qui parlent de lui, chez Lucien, Dion Cassius, peut-être Galien et dans le Digeste ; enfin on en a aussi une représentation physique supposée avec le double buste conservé à Athènes représentant Xénophon et Arrien, mais je reviendrai plus tard sur le lien entre ces deux auteurs. Malgré cette richesse de source, il subsiste quelques zones d’ombres sur certains moments de sa vie, où nous en sommes réduit à des conjonctures vis-à-vis de son parcours administratif ainsi qu’à la comparaison avec d’autres cursus mieux documentés. Pour en revenir aux éléments de sa vie, il est donc né à Nicomédie, alors capitale de la province de Bithynie en Asie Mineure. Il débuta rapidement un carrière publique dans sa cité, où il exerça la prêtrise de Déméter et Corè ; nous avons aussi toutes les raisons de croire qu’il y poursuivit toutes les étapes du cursus honorum municipal. Vers 108, il se rend à Nicopolis, ville d'Épire, région du nord-ouest de la Grèce, et y suit les cours du philosophe stoïcien Épictète ; on ignore si c’est la réputation déjà grande de ce philosophe – considéré à l’époque comme à la mode – qui le fit venir auprès de lui, ou bien plutôt si sa venue à Nicopolis serait davantage le fruit de tensions politiques dans la région durant lesquelles un notable comme l’était le père d’Arrien se serait vu contraint d’envoyer son fils dans une autre ville avec des lettres de recommandation ; on n’exclut pas non plus que cette rencontre put aussi être le fruit du hasard d’un voyage, fidélisant le jeune homme au philosophe dont il serait devenu le disciple assidu. Là, non content de suivre les cours de son maître, il se tourne vers la vie philosophique, comme le montre sans doute le qualificatif de « philosophe » qui est souvent accolé à son nom dans les citations de son œuvre. Il consigna d’ailleurs les leçons de son maître dans un ouvrage intitulé Entretiens – ou Diatribes –, qui est la première source que nous avons aujourd’hui des enseignements d’Épictète. Par ailleurs, ces notes n’étaient manifestement pas destinées initialement par Arrien à être publiées, comme en témoigne sa vive émotion lorsqu’il apprit qu’elles circulaient déjà d’un bout à l’autre de l’Empire sans qu’il en sache quoi que ce soit. On estime que c’est aussi en Grèce qu’il rencontra et se lia avec le futur empereur Hadrien. Son éducation philosophique accomplie, Arrien se lança dans une carrière politique au service de l’Empire. C’est par ailleurs cette double personnalité qui intéresse les sources qui l’évoque, comme par exemple ce passage de l’orateur Thémistius : « Puisse donc notre temps jouir du retour des circonstances que l’on connut sous Trajan, sous Hadrien, sous Marcus, sous Antonin, ces empereurs qui, ayant fait lever Arrien et Rusticus d’entre les livres, leur faisaient partager, en les associant à leur propre action, l’administration des affaires publiques, sans que ceux-ci aient cherché ni à changer les choses ni à introduire des nouveautés dans notre système politique ; bien au contraire ils imitaient les anciens Romains, au temps desquels les Scipion, les Varron, les Caton, tout en pratiquant la philosophie, participaient à la vie de la cité et exerçaient les plus hautes charges […] ». En 129, Arrien devint consul suffect, ainsi qu’il ressort de fragments de briques retrouvés à Ostie et à Rome. Après cette fonction rare pour un bithynien, Arrien atteint Cappadoce en tant que légat impérial propréteur. On sait qu’il occupât ce poste de 131 à au moins 137 comme l’atteste une inscription à Sébastopolis : il s’agit d’une carrière longue, surtout pour cette région au nord de la frontière orientale de l’Empire, sujette aux invasions barbares. On sait que son successeur prit ses fonctions en 138, soit l’année de la mort d’Hadrien, date à laquelle on perd sa trace pendant plusieurs années, jusqu’à ce que deux inscriptions l’identifie comme archonte éponyme d’Athènes entre 145 et 146 : c’est principalement pendant cette période de retraite dans l’Attique qu’on estime qu’Arrien se concentra le plus sur ses écrits. On ignore totalement la date de sa mort, même si plusieurs sources tendent à le faire mourir assez âgé, certainement entre 166 et 180. Arrien a été un auteur très prolifique dont on a conservé en partie son œuvre ; par son importance, on la distingue de manière usuelle entre son œuvre philosophique, son œuvre historique et ses opuscules portant sur des sujets variés. Le cas le plus simple est celui de l’œuvre philosophique, qui n’englobe que les Diatribes d’Épictète ainsi que le Manuel. On sait que, du vivant même d’Hadrien, le jeune Marc-Aurèle se passionna de philosophie stoïcienne et suivit notamment les enseignements de Rusticus. C’est à ce titre qu’il évoque plus tard dans ses Pensées l’exemplaire des Ὑπομνήματα d’Épictète que son maître lui avait alors présenté. Le titre donné par Marc Aurèle correspond à celui qui apparaît dans des lettres de la main d'Arrien ; c'est la reprise d'un terme employé par Platon pour désigner les "Notes" que rédigeait Euclide dès son retour chez lui chaque fois qu'il venait de Mégare à Athènes pour écouter Socrate. Grâce à cette anecdote, on peut dater de manière assez précise le fait que des exemplaires des Diatribes circulaient dans Rome dans les dernières années de règne d'Hadrien. On sait aussi grâce à Aulu-Gelle que le texte circulait jusqu’à Athènes aux alentours de 140. Le Manuel est quand à lui formé d’extraits des Entretiens et ne fut rédigé qu’après la mort d’Hadrien. Il semble qu’il était précédé d’une biographie d’Épictète, perdue depuis. Parmi les écrits d’Arrien datables d’avant la mort d’Hadrien, on retrouve Le Périple du Pont Euxin. Ce texte décousu a longtemps interpeller sur son authenticité ou non. On juge désormais qu’il s’agirait sans doute d’une superposition de différents textes, notamment des adaptation en langue grecque de lettre en latin en adressées à l’empereur par Arrien alors qu’il venait de prendre ses fonctions en tant que légat propréteur à Cappadoce. La première lettre amène le lecteur dans l’antique cité de Trapézonte, où Arrien devait examiner l’état d’avancement de monuments mis en chantier par Hadrien lors de son passage dans la ville. Celle-ci était aussi un port, point de départ pour Arrien vers d’autres destinations qu’il décrit dans les pages suivantes. La seconde lettre relate cette navigation vers le pied du Caucase ; dans cette lettre, Arrien orne son rapport de péripéties et de digression, certainement le fruit d’ajout littéraire a posteriori. Vient ensuite une sorte de carnet de route d’un navigateur anonyme. La troisième partie du Périple concerne un rapport adressé à Hadrien sur la mort de Cotys II, roi du Bosphore Cimmérien. Le reste de l’ouvrage porte sur les étapes du trajet menant de Panticapée au Bosphore. On comprend avec ce rapide tour de vue de cet ouvrage comment Arrien considérait son rôle auprès de l’Empire romain, en rapportant à Hadrien une description minutieuse des routes les plus lointaine de son Empire, et en mettant en page de manière littéraire ces rapports pour le grand public. Dans la même période, Arrien élabora plusieurs écrits tactiques en rapport avec les opérations en Cappadoce. Le Laurentiamus est un recueil postérieur qui regroupe divers ouvrages byzantins relevant de la science militaire, ancien comme contemporain. Grâce à cette collection, nous disposons aujourd’hui de deux textes d’Arrien d’une longueur inégale : L’Ordre de bataille contre les Alains et le Tactique. Dans L’Ordre de bataille, Arrien reprend le ton qu’employait déjà Onasandros dans son Stratègikos dédié à Quintus Veranius sous la forme d’un bréviaire du parfait général en listant les ordres qu’il est susceptible de donner à ses troupes sur le terrain réel en fonction de la situation qu’il aurait devant lui. Arrien reprend lui aussi l’impératif dans son ouvrage, avec une première partie qui fixe l’ordre de marche qu’il assigna à l’armée de Cappadoce, et une seconde dans laquelle il décrit l’ordre de bataille qu’elle devrait adopter en cas d’attaques ennemis ici les Alains, un peuple qui menaçait les frontières orientales de l’Empire. Notre auteur conserve l’idée générale donnée par Onasandros, selon laquelle le général doit se comporter comme un médecin en présence de maladies et s’adapter à l’adversaire qu’il lui faut affronter. On peut songer pour ce texte aussi qu’il fut à l’origine un rapport militaire adressé à Hadrien, puis traduit en grec et remis en forme après sa mort pour le publier. L’un des faits remarquables de ce texte est qu’Arrien y développe et recommande des tactiques militaires très peu voir pas du tout répandues parmi l’ordre guerrier romain, tel que le recours aux cris guerriers pour inspirer la terreur chez l’adversaire tout en l’attaquant au pas de course, qu’il nomme ἀλαλαγμός (c’est-à-dire « interjection devenue cri de guerre ») ; en effet, si l’on en juge d’après César, les légions romaines étaient d’ordinaire silencieuses. Concernant la Tactique, ce texte est daté directement par Arrien puisqu’il fut offert à Hadrien pour la célébration de ses vingt ans de règne le 13 décembre 136, après la victoire qu’il remporta sur les Alains. Sa première partie est une sorte de bibliographie de tout ce que l’on savait du fonctionnement des phalanges grecques et macédoniennes. La seconde décrit les manœuvre de la cavalerie romaine telles qu’elles se pratiquaient encore sous l’Empire. Les nombreuses concordances de sa Tactique avec celle d’Élien laisse à penser que cette première partie historique n’était en rien originale, et reprenait certainement les données d’un autre ouvrage perdu dont on ignore l’auteur. À ce titre l’helléniste Alphonse Dain donnait cette formule : « Ils se sont l’un et l’autre appliqués à l’exercice d’école, enseigné d’abord par les stoïciens, qu’on appelle retractatio. Le procédé est très connu : il consiste à faire une œuvre nouvelle en partant d’un traité ancien ». Les sources que cite Élien dans son propre ouvrage, de même que cette citation, « tu verras ici la doctrine appliquée dans les batailles par le Macédonien Alexandre », nous laisse tout le loisir de voir dans cette Tactique le prélude pour Arrien de son Anabase d’Alexandre, son œuvre majeure, peut-être alors déjà en projet, et que j’introduirai plus amplement plus tard. L’installation d’Arrien à Athènes coïncide avec sa première lancée dans la rédaction de ses écrits historiques majeurs. On y retrouve un Cynégétique, qui revient sur l’art de la chasse et son évolution dans le monde grec notamment avec l’introduction de nouvelles races de chiens, ainsi que des Bithyniaques portant sur la région d’origine de l’auteur portant le même nom ; on relève aussi des biographies consacrées à Dion et à Timoléon, aujourd’hui perdues. Tous ces textes renvoient invariablement à l’Anabase déjà citée, et comportent en eux l’idée nouvelle qu’Arrien se faisait de sa place à Athènes. La rédaction de l’Anabase d’Alexandre semble avoir pris vingt ans à l’auteur, chose qu’explique cette remarque à propos d’Arrien : « alors que dès le début, dès le moment où il avait été capable d’écrire, il avait voulu se mettre à l’ouvrage et traiter le sujet, le travail préparatoire avait allongé les délais en raison de ses propres insuffisances. C’est en effet la raison que lui-même donne de sa lenteur à ce propos. » On comprend ainsi qu’Arrien avait formé très jeune le projet d’écrire l’histoire de sa patrie, comme les histoires locales étaient en vogue alors, mais il aurait été retardé par les difficultés de la documentation nécessaire à un tel projet, ce qui explique pourquoi il aurait publié entre temps d’autres livres qui néanmoins tendent vers cet effort historique. Avant d’étudier plus en détail cette Anabase, il convient de comprendre les raisons qui poussèrent Arrien dans cette visiblement pénible rédaction, et de cerner le projet et la vision qu’il nourrissait vis-à-vis de son œuvre. En effet, on a déjà pu faire le tour général qu’il avait suivi lors de sa carrière administrative, carrière exceptionnelle pour un homme d’origine bithynienne qui l’avait amené jusqu’aux charges consulaires. On comprend assez aisément la réputation qui devait être la sienne lorsqu’il se retira à Athènes, et c’est ainsi qu’il n’est pas étonnant outre mesure de constater qu’il se vit donner la charge d’archonte éponyme dans cette patrie d’adoption. La double-statue encore conservée à Athènes semble être un lègue de la marque de confiance et de respect qu’éprouvaient les Athéniens envers ce riche consulaire, influent ancien collaborateur d’Hadrien. Dans sa volonté déjà évoquée de livrer un écrit historique majeur, ajoutée à la place centrale qu’il prit dans la cité d’Attique, Arrien se retrouva étroitement lié à l’auteur Xénophon, dont il admirait déjà l’œuvre auparavant. C’est là le sens réel de cette double représentation statuaire. Dans ses ouvrages, notamment de réécriture d’anciens rapports, Arrien marque de multiples références à Xénophon comme on peut le constater à la lecture du Périple du Pont Euxin ; dans ce texte justement, il l’évoque comme « Xénophon l’Ancien », ce qui sous-entend l’existence d’un « Nouveau Xénophon » en sa personne, idée reprise dans sa postérité. Au début du Cynégétique, rédigé après son installation à Athènes, il déclare directement prendre la suite de Xénophon : pour ce texte comme pour l’Anabase, il semble en effet reprendre de lui le thème – ou du moins le centre d’intérêt – ainsi que le titre même de ses œuvres. Toujours dans le Cynégétique, Arrien tisse des liens entre sa vie et celle de son modèle : après avoir atteint l’âge d’homme, il semblait avoir traversé les trois mêmes passions que lui. La chasse est évoquée en premier lieu pour l’évidente raison que tel est le sujet du livre. Il évoque à la suite la σοφία, lien évident avec la sagesse pratique tirée du stoïcisme. Ce lien se trouve par ailleurs renforcé a posteriori, puisque les deux auteurs sont les seules sources que nous avons aujourd’hui de leur propre maître, n’ayant pour leur part rien écrit, Socrate pour l’un, Épictète pour l’autre. Ces deux sources sont d’ailleurs présentées comme directement issues des enseignements de leur maître, comme des notes rassemblées par leur proximité avec celui-ci. Le troisième lien est la στρατηγία, au sens que lui conférait Xénophon lui même dans sa Cyropédie, dans laquelle Cyrus et son père Cambyse dialoguent à propos de quel maître pourrait être le meilleur pour apprendre à un jeune homme l’art de commander. C’est avec tous ces éléments en tête que l’on peut désormais s’attaquer à l’Anabase d’Alexandre. Là encore, le titre comme la visée de l’œuvre tendent à imiter Xénophon et sa propre Anabase, texte célèbre dans lequel il raconte l’expédition des Dix-Mille contre Artaxerxès ; pour rappel, anabase signifie littéralement la montée vers l’intérieur des terres. Et voici les mots avec lesquels Arrien présentait lui-même sa reprise du thème et son application sur les conquête d’Alexandre, dans la conclusion de sa « Seconde Préface » : « Ce que j’inscris ici, c’est que les livres que voici sont la cité de mes pères, mon peuple et mes charges officielles, et qu’ils le furent dès que j’atteignis l’âge d’homme. Ce pourquoi je ne me juge pas indigne d’occuper le premier rang dans la pratique de la langue grecque si, comme il est vrai, Alexandre
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