L'ILE DE GOREE : UNE EXPLOITATION DU PASSE ESCLAVAGISTE
Mémoire : L'ILE DE GOREE : UNE EXPLOITATION DU PASSE ESCLAVAGISTE. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Anne-Catherine Bolly • 25 Mars 2019 • Mémoire • 6 280 Mots (26 Pages) • 791 Vues
L'ILE DE GOREE : UNE EXPLOITATION DU PASSE ESCLAVAGISTE
INTRODUCTION
Plantée dans l’azur profond de l’océan atlantique, au creux de la baie de Dakar, l’île de Gorée se laisse découvrir après une traversée de vingt minutes en chaloupe depuis la côte sénégalaise. Les très nombreux touristes qui la visitent chaque année tombent facilement sous le charme de ses ruelles aux maisons colorées de vert, de jaune, d’ocre et de bleu.
Connue de par le monde comme le lieu emblématique par excellence de l’esclavage, elle constitue le passage obligé de tout qui souhaite faire l’exercice de la mémoire de cette période douloureuse…
Ayant eu la chance de visiter l’île de Gorée, j’ai été très touchée par ce qui m’y a été raconté, émue par le sentiment de fouler une terre qui avait recueilli la souffrance des esclaves. On y ressent vraiment une atmosphère chargée d’Histoire.
Il semblerait pourtant que Gorée ne fut pas l’endroit obscur d’où seraient partis la plupart des africains destinés à la traite négrière, entre ses débuts (vers 1678 sur l’île) et jusqu’à l’abolition de l’esclavage (en 1847). La très petite taille de l’île et le peu de ressources dont elle disposait, les faits vérifiés de l’époque viennent contredire les récits romanesques qui font aujourd’hui la renommée de cette île-mémoire.
Pourtant, à partir de l’époque coloniale, les autorités vont exagérer le rôle réellement tenu par Gorée pour le compte de la traite négrière. L’indépendance sénégalaise une fois acquise, l’Etat sénégalais prendra le relais de cette mouvance et, appuyé et légitimé par une reconnaissance internationale obtenue de l’UNESCO , continuera à étoffer « après coup » le passé prétendument sombre de l’île. C’est principalement par le biais de la célébrité de la Maison des Esclaves et de son plus illustre gardien, aujourd’hui décédé, Joseph N’Diaye que l’île va acquérir et asseoir sa réputation. Ce dernier, mondialement connu et reconnu a grandement contribué à installer dans les esprits que les histoires qu’il contait constituaient l’Histoire de Gorée, la vérité sur Gorée.
Gorée a-t-elle vraiment eu un rôle majeur dans le commerce triangulaire (voir chapitre 2) ? Était-elle vraiment un lieu si important de l’époque de l’esclavage ? Les pouvoirs qui se sont succédés à sa tête au fil des décennies n’ont-ils pas fantasmé ce rôle afin d’attirer un tourisme de mémoire ? N’ont-ils pas de la sorte exploité le douloureux passé de l’esclavage pour en faire un business florissant ?
Dans les pages qui suivent, Gorée va se dévoiler… Quelle est son histoire ? Qu’est-elle aujourd’hui ? Qu’était-elle dans le contexte de la période de l’esclavage ? Comment a-t-elle été poussée aux devants de la scène du tourisme de mémoire ? Quelles sont les vérités des uns et des autres à son propos ?
CHAPITRE 1: PRÉSENTATION DE L’ÎLE DE GORÉE
1.1. Caractéristiques
L’île de Gorée se situe au large des côtes du Sénégal, en face (à l’Est) de la capitale, Dakar. Elle est logée dans l’océan atlantique au creux de la baie de Dakar. D’origine volcanique, cette île rocheuse est formée de laves refroidies . D’une superficie de 18,2 hectares, elle compte 3 kilomètres de côtes (900 m de longueur et 300 de largeur). Elle est peuplée par 1100 personnes environ .
Le climat est du type sahélien. Il comporte une saison des pluies (de juin à octobre, que l'on appelle hivernage) et une saison sèche.
Gorée est une des dix-neuf communes du département de Dakar. Elle est gérée par un Conseil municipal démocratiquement élu tous les cinq ans avec à sa tête un maire choisi par les membres de ce Conseil. La commune est rattachée à l’arrondissement de Plateau-Gorée.
Economiquement, les principales ressources de l’île de Gorée sont le tourisme et le commerce qui y est lié .
1.2. L’île de Gorée à travers les âges
Ce sont des marins portugais qui découvrent cette île en 1444 sous le commandement de Denis Dias, navigateur et marin portugais connu pour avoir été le premier navigateur à dépasser « le pays de Maures et être arrivé au pays des noirs » . Les explorateurs portugais se serviront de l’île comme port d’escale pour des voyages plus longs vers les Amériques. L’île verra d’ailleurs passer le célèbre Vasco de Gama . Dès 1482, les portugais y construisent un fort, une église et un cimetière.
Denis Dias décide de baptiser ce bout de terre « Palma ». Dans des documents d’époque, on nomme l’île également « Beseguiche » tandis que les populations locales l’appelaient, elles, « Bir » ou « Ber ».
Objet de bien des convoitises, Gorée va changer une quinzaine de fois de nationalités : tour à tour sénégambienne, normande, portugaise, hollandaise, française, anglaise, de nouveau française avant de devenir enfin définitivement sénégalaise.
Ainsi, après la domination portugaise initiale, en 1588, c’est au tour de la marine hollandaise devenue très puissante de s’emparer de l’île. Les hollandais la baptisent alors « Goede reede » ce qui signifie « bonne rade », et c’est de là que provient le nom de Gorée .
Après l’avoir occupée, les Hollandais l’achètent aux Portugais en 1617 et y construisent les châteaux d’Orange et de Nassau, ainsi qu’une forge et des magasins. Gorée devient alors une étape pour les navires de la Compagnie néérlandaise des Indes sur la route de Java.
En 1677, Louis XIV, Roi de France, en guerre contre la Hollande envoie l’Amiral Jean d’Estrées à la conquête de Tobago aux Antilles. En route, ce dernier s’empare de Gorée. Le traité de paix de Nimègue (actuels Pays-Bas) signé le 10 août 1678 entre les Provinces-Unies et la France met fin à la guerre de Hollande et attribue Gorée à la France. Colbert, conseiller et principal ministre sous Louis XIV confie la gestion du commerce de l’île (pacotille, armes, alcool, esclaves) à la toute jeune Compagnie du Sénégal . Sont envoyés par Colbert sur l’île de Gorée, une cinquantaine de soldats et de marins et vingt-cinq manœuvres pour construire les forts et les bâtiments de la Compagnie, un gouverneur et des commis.
Les constructions des fortifications sont toujours en cours lorsqu’éclate la guerre de la ligue d’Augsbourg . C’est alors que Gorée tombe aux mains des Anglais en 1693.
L’année suivante, elle est reprise par les Français. Au gré des conflits entre la France et l’Angleterre, l’île sera ainsi prise et reprise et passera six fois sous pavillon britannique entre 1693 et 1816.
Ces tergiversations cessent en 1817 et dès lors, l’île restera française jusqu’à l’indépendance du Sénégal en 1960 où l’île devient définitivement sénégalaise.
CHAPITRE 2 : GORÉE ET L’ESCLAVAGE
2.1. La traite négrière
Le commerce triangulaire, appelé aussi traite atlantique ou traite occidentale, a débuté en 1441. Il s’agit d’une traite négrière faite d’échanges entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique.
Ce commerce avait pour but de fournir des esclaves noirs, que l’on appelait « bois d’ébène » aux colonies du Nouveau Monde, c’est-à-dire le continent américain y compris les Antilles, en échange de marchandises.
2.1.1. L’axe Europe-Afrique
Les ports principaux européens actifs dans la traite sont :
• au Royaume-Uni : Londres et Bristol ;
• en France : Nantes, La Rochelle, Le Havre et Bordeaux ;
• enfin dans les Provinces-Unies (actuel Pays-Bas) : Amsterdam.
Les navires utilisés au bénéfice de cette traite appartiennent à des compagnies d’armateurs financées par des familles aisées de la noblesse ou de la bourgeoisie européenne. Le tout se fait avec le soutien des autorités politiques.
Les marchandises au départ de l’Europe sont principalement : le tabac, l’eau de vie, les tissus bon-marché et très colorés et de la verroterie. Il y a également des armes à feu qui sont acheminées par bateau vers les côtes ouest-africaines : au Sénégal ou dans le golfe de Guinée. C’est là que se fait l’échange entre ces marchandises appréciées et le fameux « bois d’ébène ». Derrière cette expression l’on trouve des hommes, des femmes, des enfants et même des personnes âgées que l’on destine au dur travail dans les champs de coton ou de canne à sucre situés aux Antilles et en Amérique.
Sur certaines de ces côtes étaient établies des esclaveries, prisons-forteresses, où l’on entassait les esclaves en attente de les envoyer avec le prochain convoi vers les Amériques et les Antilles. Cela permettait d’éviter aux navires de devoir faire de trop nombreuses escales pour faire le plein d’esclaves. Ces lieux sordides n’étaient rien d’autre que des sortes de commerce de gros où il n’y avait plus qu’à faire son petit marché.
La
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