Le Voyage de Bougainville, discours du vieux Tahitien
Dissertation : Le Voyage de Bougainville, discours du vieux Tahitien. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar DIS.39Rblomet • 24 Mars 2020 • Dissertation • 2 372 Mots (10 Pages) • 1 529 Vues
DISCOURS DU VIEUX TAHITIEN
PBQ : Comment Diderot fait-il dans ce texte la critique des Européens tout en contribuant à construire le mythe du bon sauvage ?
Dans l'introduction, présente les deux particularités de cet extrait :
- C'est un discours (il va falloir étudier l'art oratoire du Tahitien au fil du texte).
- Son registre est épidictique : à la fois blâme des Européens et éloge des Tahitiens.
Mouvements du texte.
Ils sont assez difficile à dégager car la critique des Européens et la louange des Tahitiens sont étroitement imbriquées dans le passage. Il faudra le dire.
Néanmoins, on peut distinguer :
a) une mise en opposition du comportement des hommes de Bougainville et des mœurs tahitiennes.
(l.1 à 13)
b) une remise en question du droit des Européens à se rendre maîtres de Tahiti. (l. 13 à 27)
c) un éloge des Tahitiens. (l. 27 à 33)
Analyse linéaire
1er mouvement.
C'est un réquisitoire dans lequel les crimes des Français sont exposés. Il se caractérise par une opposition constante entre le comportement de ses hommes et celui des Tahitiens. Cette opposition est marquée par l'emploi de phrases à rythme binaire et parfois ternaire.
Le vieux Tahitien s'adresse au discours direct à Bougainville par une apostrophe brutale et insultante qui exprime sa colère : « Et toi, chef des brigands ». Le terme « brigands » dévalorise immédiatement les membres de l'expédition française et fait porter au navigateur l'entière responsabilité des exactions qu'il va dénoncer puisque ces brigands lui « obéissent ».
L'apostrophe est suivie, dans la même phrase, de l'injonction de partir à l'impératif : « écarte ton vaisseau » renforcée par l'adverbe « promptement ».
L'explication est donnée via une asyndète (absence de lien grammatical tel « car » ou « parce que ») La juxtaposition des deux éléments de la phrase et la ponctuation (deux points) traduit un lien de causalité incontestable et impérieuse, L'ordre de partir est ainsi justifié de façon plus incontestable par les causes qui vont suivre. Le lien grammatical, s'il avait été exprimé, aurait été la conjonction de subordination « puique ».
La suite du discours se fait à l'aide de phrases à rythme binaire comprenant l'anaphore de « et » en introduction du deuxième élément. Ces phrases opposent les pronoms de deuxième personne « tu » ou « toi » et « nous » qui désigne tous les Tahitiens.
D'emblée, le déséquilibre des forces et l'injustice des intentions colonisatrices des Européens est manifeste. Un homme veut imposer sa loi à tout un peuple dont l'unité est mise en évidence par le pronom collectif « nous ».
« nous sommes innocents, nous sommes heureux » ; et tu ne peux que nuire à notre bonheur » première phrase à rythme binaire avec l'antithèse « heureux » ≠ « nuire à notre bonheur »
La deuxième accusation est plus grave : les hommes de Bougainville ont tenté de porter atteinte à l' « âme » des Tahitiens, c'est-à-dire à leur nature profonde. Or, ceux-ci vivent selon « le pur instinct de nature ». Par ces mots, le vieux Tahitien se réclame de la nature, autrement dit de l'ordre originel du monde.
La deuxième met en évidence leur organisation sociale et politique, la communauté des biens _ évoquée par « tout est à tous », avec un jeu sur le pronom indéfini _ opposée au principe de la propriété individuelle que le porte-parole des Tahitiens traduit par deux pronoms possessifs : le « tien » et le « mien ». Ce principe lui est incompréhensible, comme le montre le modalisateur « je ne sais ». Diderot rejoint ici Jean-Jacques Rousseau pour qui la propriété individuelle est à l'origine de la corruption de l'homme.
Cette réflexion est illustrée par un exemple de méfait du principe de propriété. Sur cette île, la communauté des biens concerne en effet les rapports sexuels entre hommes et femmes. Une femme n'est pas la « propriété » d'un seul homme. En les partageant avec les étrangers, les Tahitiens ont donné une preuve de leur hospitalité. Or, le comportement de l'équipage a suscité des « fureurs inconnues » chez les femmes du pays. Ce mot signifie « folie violente et dangereuse », idée reprise ensuite par le qualificatif « folles ».
La phrase à rythme binaire « Elles sont devenues […] entre les leurs » est construite sur un parallélisme qui souligne les effets pernicieux du comportement des Français, à la fois sur ceux-ci et sur des femmes paisibles et innocentes. Même procédé dans la phrase suivante : « Elles ont commencé […] pour elles ». En effet, le désir d'exclusivité et la jalousie ont abouti à des crimes. Le lexique devient soudainement très violent. On relève un champ lexical du meurtre : « haïr », « égorgés », « sang » dans un image particulièrement fortes « teintes de votre sang ». la dénonciation du système de la propriété individuelle est donc violemment dénoncé. Les allitérations en [s] (« féroces », « commencé à se haïr », « sont » « sang » font entendre les sifflements de colère du vieil homme. Le registre devient de plus en plus polémique.
2ème mouvement
On peut distinguer un second mouvement du texte de la ligne 12 à la ligne 25, même si la limite avec ce qui précède n'est pas nette. En effet, les accusations du vieux Tahitien se poursuivent, mais il développe longuement maintenant la plus importante , celle de l'injustice de la volonté de conquête des Français.
La première phrase à rythme binaire continuant l'anaphore de « et » fait ressortir comme précédemment, l'opposition entre les protagonistes. Cette opposition est mise en évidence par une antithèse entre « libres » et « esclavage ».
Bougainville est plus personnellement concerné par cette accusation. En effet, c'est bien lui, en tant que représentant du roi de France, qui peut concrétiser la conquête de Tahiti à l'aide de documents officiels, des « titres « . ??? Je ne sais si l'enfouissement de ce titre était une pratique usuelle chez les conquérants ou s'il s'agit d'une image montrant l'emprise symbolique sur une terre.
Le ton du patriarche est de plus en plus virulent. Il va se livrer à une argumentation très serrée visant à dénier à Bougainville tout droit sur leur pays.
Premier argument : il n'est qu'un homme, « ni un dieu ni un démon ». Il le place ainsi sur un pied d'égalité avec lui. La question rhétorique (« qui es-tu donc ? ») relève de l'art oratoire et engage plus fortement la polémique car le Tahitien interroge sans y mettre de formes.
Il demande peu après à un autre Tahitien, Orou, de lui servir d'interprète pour informer ses compatriotes. En réalité, la situation d'énonciation ne changera pas. Ce sera toujours à lui de parler, En faisant appel à Orou, il crédibilise ses propos devant on peuple par le témoignage d'un des leurs. La déclaration « Ce pays est à nous » est une formulation approximative mais plus compréhensible et provocatrice pour les Tahitiens que l'inscription réelle de Bougainville, telle que nous pouvons l'imaginer
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La reprise du tutoiement à l'intérieur de deux phrases courtes fortement ponctuées : exclamative et interrogative, traduit l'indignation du vieil homme. Habilement, il va réduire à néant la légitimité de la conquête de son pays par les Français. De façon très adroite, il interroge Bougainville en répondant lui-même à la question par une subordonnée causale « parce que tu y as mis le pied » qui ridiculise évidemment les prétentions dominatrices du navigateur.
A l'aide de deux subordonnées hypothétiques commençant par « Si » et « que » (quand deux propositions subordonnées de même nature et de même fonction sont coordonnées par « et » comme c'est le cas ici, on ne répète pas la conjonction de subordination dans la deuxième : on utilise « que »)
Il inverse ensuite les rôles pour amener son interlocuteur à changer de point de vue et admettre l'injustice de sa conquête.
Le conditionnel présent « penserais » a une valeur potentielle. Il fait envisager une situation susceptible de se réaliser.
Il énonce ensuite une autre justification possible de la conquête de Tahiti par les Français, mais sans outil de causalité ce qui accélère encore le rythme du jeu des questions – réponses auquel il se livre.
« Tu es le plus fort ! ». Cette raison rabaisse le conflit à une dispute infantile. La force n'est pas le droit. Elle ne légitime pas les actes accomplis par ce motif. Le philosophe Diderot s'exprime indirectement par la voix de cet habile argumentateur.
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