Les Paysages De L'agriculture En Mutation
Mémoire : Les Paysages De L'agriculture En Mutation. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresqui singularisent les territoires et à prendre soin des ressources (eau, sol, air, biodiversité). Si les préoccupations soulevées par la transformation des paysages ruraux ne sont pas nouvelles en soi, elles trouvent dans le contexte rural actuel une résonance particulière. La campagne a en effet acquis un statut privilégié dans les représentations contemporaines. Objet de contemplation, symbole de nature et de tranquillité, espaces à vivre, les valeurs véhiculées par la campagne font aujourd’hui l’objet d’un large consensus1. Toute atteinte à ces valeurs suscite dès lors de fortes mobilisations. Devant l’implantation d’une nouvelle porcherie, la coupe d’un espace boisé ou l’abandon des granges traditionnelles, des voix s’élèvent pour dénoncer les pratiques agricoles contemporaines. À travers les changements générés par l’agriculture, c’est cette campagne, érigée en patrimoine collectif, que l’on altère. Ces changements font de la question du paysage, oubliée des politiques agricoles, un élément central du débat. Entre les craintes d’un abandon massif des terres agricoles et les inquiétudes face à l’industrialisation de l’agriculture, les enjeux des paysages ruraux qui interpellent l’agriculture sont multiples. Ces enjeux sont indissociables des transformations actuelles des territoires, de
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leurs spécificités ainsi menacées mais également de l’évolution des perceptions de ces territoires et des pratiques agricoles modernes. À côté de l’archétype du paysage rural, champêtre et bucolique, les paysages où l’agriculture moderne s’est concentrée tranchent à bien des égards. Peu valorisés sur le plan patrimonial, souvent associés à un environnement dégradé, à des paysages banalisés, les questions qui les animent semblent loin des enjeux de sauvegarde et de maintien qui touchent généralement les paysages emblématiques ou identitaires2. Le présent texte s’attardera sur ces espaces, qui cristallisent bon nombre des débats indissociables de la crise que l’agriculture traverse aujourd’hui. De manière à actualiser l’image des pratiques qui façonnent les paysages ruraux, ce texte entend d’abord dresser un bilan des principales transformations survenues dans la physionomie de l’écoumène agricole. Un certain nombre d’études québécoises se sont penchées sur l’évolution générale de l’espace rural3, sur les transformations de la ferme familiale4, sur les impacts sociaux des mutations agricoles5, ou sur les impacts environnementaux de l’agriculture moderne6. Si les travaux menés dans le Haut-Saint-Laurent7 ont fait ressortir certaines tendances lourdes en regard des dynamiques d’occupation des sols en lien avec l’évolution des pratiques agricoles, il reste à voir comment ces tendances se sont déployées spatialement à l’échelle régionale et provinciale. À cette fin, les deux premières parties de ce texte s’appuient sur une analyse spatiale des recensements agricoles de 1951 et 2001 pour révéler l’ampleur des transformations de l’agriculture et des territoires et ce, municipalité par municipalité8. Ce faisant, il s’agit de mieux comprendre comment l’évolution de l’agriculture a touché les régions de manière inégale et de quelle façon ont émergé les espaces d’intensification agricole. Une première section s’attarde ainsi sur les variables qui rendent compte de l’évolution générale de l’agriculture et de ses impacts sur l’écoumène agricole (superficie totale des fermes, nombre de fermes, superficie des terres mises en valeur par l’agriculture). Dans un second temps, des variables plus spécifiques (pâturages, types de culture et productions animales) sont analysées de manière à faire ressortir plus finement les impacts différenciés de cette mutation du secteur agricole sur les territoires. Dans une troisième section, à partir d’un secteur représentatif, ce texte révèle les transformations profondes subies par les territoires au sein des espaces d’intensification agricole. Couplé aux différentes données des recensements agricoles et à leur analyse spatiale, cet exemple de cas permet de bien cerner l’ampleur des enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontées les zones d’intensification agricole en terme de paysage.
LES TRANSFORMATIONS RÉCENTES DE L’ÉCOUMÈNE AGRICOLE L’évolution des qualificatifs qui ont servi à désigner l’unité de production agricole, « ferme », « exploitation », « entreprise », « industrie », traduit à elle seule les mutations qu’a connu le secteur au cours des cinquante dernières années. Concentration, spécialisation et intensification, constituent les trois phénomènes reconnus pour rendre compte de cette mutation récente de l’agriculture9. Concentration puisqu’il y a eu au cours de cette période, augmentation constante de la taille des fermes et son corollaire, la diminution de leur nombre. Spécialisation puisque,
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fortement soutenues par les politiques et programmes agricoles, les exploitations se sont orientées vers un nombre restreint de productions dont les formes les plus extrêmes sont aujourd’hui les élevages hors-sol et la monoculture. Intensification finalement puisque grâce à l’utilisation croissante d’engrais et de pesticides, à l’amélioration des techniques culturales et à la mécanisation des pratiques les rendements ont fortement augmenté. Les fermes traditionnelles associant culture et élevage ont ainsi disparu au profit de fermes moins nombreuses, plus grandes et spécialisées dans un type de production. Caractéristique des pays industrialisés, l’inégale intégration des fermes au cours de cette mutation du secteur agricole est reconnue pour avoir largement contribué à modifier le visage des zones rurales10. Quels ont été les impacts de cette mutation sur l’écoumène agricole du Québec ? Ces impacts se sont-ils déployés uniformément sur le territoire ? Du tournant des années 1950 marqué par les premières mesures favorisant le passage d’une agriculture traditionnelle à une agriculture marchande diversifiée, à l’apogée de l’agriculture spécialisée au cours des années 1970-198011 et jusqu’à la crise actuelle12, il s’agit ici de faire ressortir les tendances générales d’évolution en regard de la répartition spatiale de l’agriculture et des transformations de la physionomie de l’écoumène agricole.
De la régression à l’expansion agricole, une évolution contrastée des territoires
La chute considérable de la superficie totale des fermes demeure le fait le plus marquant de l’évolution récente de l’agriculture québécoise. Illustrant la disparition quasi-totale des exploitations sur de larges pans de territoire, la superficie des fermes va passer de 6,8 millions d’hectares en 1951 à 3,4 millions en 200113. Par ailleurs, passant de134 000 en 1951 à un peu plus de 32 000 en 2001, le nombre de ferme a également connu une chute majeure qui correspond dans les faits à la disparition de 5 à 6 exploitations par jour et ce, tout au cours de ces cinquante ans. Les fermes qui ont survécu ont elles-mêmes subi des modifications importantes, la principale étant le doublement de leur taille moyenne : de 51 ha en 1951 celle-ci est passée à 106 ha en 2001. Les exploitations de petites tailles puis de tailles moyennes ont ainsi largement disparu au profit des plus grandes14. Si la réduction très significative (76 %) du nombre de fermes et la diminution marquée (50 %) de leur superficie totale constituent les tendances de base, ces données masquent l’inégale répartition spatiale des transformations. Bien que se manifestant sur l’ensemble du territoire, leur ampleur n’a effectivement pas été la même partout. Ainsi, sur les dépôts rocailleux de Saint-Irénée (Charlevoix) 86 fermes occupaient plus de 90 % du territoire en 1951 alors qu’en 2001, leur nombre n’était plus que de 22 et leur superficie ne comptait plus que pour 35 % du territoire. À un autre extrême, la municipalité de Saint-Judes, représentative de la région de Saint-Hyacinthe et d’une part importante des basses-terres, a vu la part de son territoire occupée par les fermes augmenter, passant de 75 % à plus de 90 %, et ce même s’il ne restait en 2001 que 57 des 138 fermes recensées en 1951. Si, comme le montrent ces exemples, la concentration de l’agriculture
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au sein de fermes de moins en moins nombreuses est une tendance qui se manifeste sur tout le territoire, l’évolution des superficies totales n’a quant à elle pas diminué partout. Sur ce plan, deux tendances majeures se dégagent. La première est caractérisée soit par l’expansion soit par une régression faible (perte de moins de 25%) des superficies totales (Figure 1). Localisée principalement dans les basses-terres, plus de 150 municipalités sont touchées par cette tendance. La seconde est quant à elle caractérisée par une régression modérée (perte de 25 à 50 %) ou forte (perte de plus de 50 %) des superficies totales (Figure 1). La régression modérée concerne près de 200 municipalités essentiellement situées soit à la périphérie des basses-terres, soit aux pourtours des municipalités marquées par une régression faible. La régression forte touche quant à elle la plus grande part de l’écoumène agricole et se traduit par la disparition d’un grand nombre de fermes (plus de 75 %) et l’abandon quasi-généralisé des terres. Elle touche bien sûr les centres urbains mais surtout les régions périphériques : Gaspésie, Côte-Nord,
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