Madame Du Chatelet, Femme Des Lumières
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Voltaire, « Préface historique », in I. Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, traduit du latin par feu la marquise Du Châtelet, Paris, 1759.
Passions et apprentissages
Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil naît à Paris le 17 décembre 1706. Son père, Louis Nicolas, est « Introducteur des Ambassadeurs » à la cour de Louis XIV. Il choisit de lui donner la même éducation qu’à ses deux frères aînés et fait venir au domicile familial des précepteurs qui lui enseignent le latin, les mathématiques, les langues étrangères, le cheval, la gymnastique, le théâtre, la danse, le chant… À 12 ans, elle lit couramment l’allemand, l’anglais, le grec, le latin. Trois ans plus tard, Locke, Descartes et Leibniz n’ont plus de secrets pour elle. Comprendre l’univers et ses lois est un dessein qu’elle formalise très tôt. Si sa première passion est pour l’étude, son deuxième grand amour sera pour les vêtements, les diamants, les pompons, les chaussures, le maquillage, qu’elle acquit lors de sa première visite à la cour de Versailles en 1722. Son père, amoureux des belles lettres, organise dans son hôtel parisien un petit cercle littéraire. Elle y côtoie, notamment, Fontenelle qui lui donne des leçons scientifiques. Et Voltaire, bien avant qu’il ne devienne la grande passion de sa vie, en 1733. Son mariage avec Florent Claude, marquis Du Châtelet, le 20 juin 1725, lui donne un rang élevé à la cour. Son mari est militaire. Ce mariage arrangé ne sera guère encombrant dans la vie d’Émilie. Elle aura trois enfants,
conservera une réelle amitié pour ce mari si différent d’elle et s’efforcera, tout au long de sa vie, de le ménager et de sauvegarder les apparences. En 1732, alors que son époux part pour la guerre de la Succession de Pologne, elle décide de quitter Semur-en-Auxois et s’installe à Paris. Elle prend alors des leçons de mathématiques avec le grand savant, Moreau de Maupertuis. Séduite dès leur première rencontre, elle devient sa maîtresse. Mais il se lasse de cet amour trop envahissant et laisse à son ami Clairaut, newtonien comme lui, le soin de compléter son éducation. Alexis Claude Clairaut est un grand mathématicien et physicien connu dans toute l’Europe. En 1743, il publie la Théorie de la figure de la Terre où il traduit en langage mathématique les lois de la mécanique céleste que Newton exprime en langage géométrique. Bon vivant, aimant les femmes, il trouve en Madame Du Châtelet une élève brillante et une protectrice utile. Ils collaboreront jusqu’à la mort d’Émilie. Madame Du Châtelet fréquente la cour par obligation. Elle ne tient pas de salon personnel et privilégie les tête-à-tête avec Clairaut ou Maupertuis. Elle se rend au café Gradot, célèbre café (situé quai des Écoles), interdit aux femmes. Émilie sera obligée de se déguiser en homme afin de participer aux conversations de ses amis.
Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) 1741 BNF, Estampes et photographie, N3
Mathématicien, astronome et physicien, Maupertuis devient membre de l’Académie des sciences en 1723. Après un court séjour en Angleterre, il rédige, en 1732, Sur les lois de l’attraction, où il présente pour la première fois aux Français les thèses de Newton et démontre en quoi la gravitation universelle est un principe physique qui n’admet pas d’exception. Dans son autre texte, Discours sur les différentes figures des astres, il s’oppose à la méthode de Descartes qui repose sur des postulats métaphysiques. Seules l’induction et l’expérience fondent la nouvelle méthode analytique. Afin de déterminer si la Terre est élargie à l’équateur ou aplatie aux pôles, l’Académie des sciences décide de mesurer un arc de méridien à l’équateur et au cercle polaire et de comparer les résultats. Le 2 mai 1738, Maupertuis part en expédition en Laponie afin de démontrer aux cartésiens que la Terre est aplatie aux pôles. Clairaut est aussi présent. En 1741, il demande à Daullé de réaliser une gravure le représentant en costume de Lapon, la main posée sur le pôle. Un quatrain de Voltaire l’accompagne : « Ce globe mal connu, qu’il a su mesurer, Devient un monument où sa gloire se fonde, Son sort est de fixer la figure du monde, De lui plaire et de l’éclairer. »
Madame Du Châtelet BNF, Arsenal, fol-H. 5044 (1)
Émilie et Voltaire
Le poète et la physicienne
De 1726 à 1729, Voltaire est en Angleterre ; il s’est montré impertinent avec le chevalier de Rohan et a dû s’exiler pour un temps. Lorsqu’il revient en France, il n’est plus le même, les idées nouvelles de Bacon, Newton et Locke l’ont profondément bouleversé. Il publie, en Angleterre, les Lettres philosophiques qui annoncent le triomphe du système newtonien sur la physique de Descartes. Ces vingt-cinq lettres sont un véritable reportage sur les institutions politiques et économiques, sur la vie intellectuelle et religieuse en Angleterre. C’est une condamnation implicite de la monarchie française, avec tous ses archaïsmes et interdits, ce que le parlement de Paris comprend sans peine. Le livre est condamné à être lacéré et brûlé. Ce qui n’empêche pas l’ouvrage de remporter un succès international. C’est pendant cette tourmente de 1733 qu’Émilie se rend chez la duchesse de SaintPierre, où elle rencontre Voltaire. Devenus inséparables, ils fréquentent l’Opéra,
les cabarets, les théâtres, et se présentent ensemble aux audiences royales à la cour, oubliant les règles de bienséance. Ils s’aiment tant que rien ne les arrête. En 1735, Voltaire doit quitter Paris précipitamment, sous la pression policière, et Madame Du Châtelet lui propose un refuge dans le vieux château de Cirey, alors en Lorraine. Coupés de tout, ils y vivront pendant quatre ans, comme des « philosophes voluptueux », travaillant jour et nuit sur des problèmes physiques ou métaphysiques, allant de temps en temps se promener, à la chasse, recevant les châtelains des environs. Mais leurs meilleurs compagnons seront les compas et les livres. Et ils s’aimeront de tout l’amour possible, loin des salons et des mondanités, loin des regards jaloux et des médisances.
Francesco Algarotti Il Newtonianismo per le dame, ovvero Dialoghi sopra la luce BNF, Arsenal, 4-S-1095
Surnommé par Voltaire le « cygne de Padoue », ce scientifique italien est invité à Cirey en 1735 alors qu’il rédige son ouvrage Le Newtonianisme pour les dames. Il se sert des entretiens de son hôtesse avec Voltaire pour rendre accessible la théorie de la lumière et des couleurs. Une vulgarisation sous forme de conversation galante que la jeune femme trouve trop légère. Elle sera déçue que l’ouvrage ne lui soit pas dédicacé, même si son portrait apparaît avec Algarotti sur le frontispice.
Expériences scientifiques au château de Cirey
Le château de Cirey BNF, Estampes et Photographie, VA 52, folio, t. 1
C’est à ses frais que Voltaire rénove le château, alors très délabré. Émilie est fière de ses bibliothèques et de son « assez beau cabinet de physique, des télescopes, des quarts de cercle, des montagnes de dessus lesquelles on jouit d’un vaste horizon », et s’entoure d’instruments de tout genre, mathématiques, physiques, chimiques, astronomiques, mécaniques… Après une journée de travail, le soir venu, lorsque les invités ont fini de dîner, proposition leur est faite de jouer une pièce de théâtre. Madame de Graffigny, qui se rend au château entre décembre 1738 et mars 1739, raconte dans ses lettres la frénésie théâtrale des habitants de Cirey. Les visites et les correspondances entretenues avec les savants contemporains (Samuel Kœnig, Christian von Wolf, Leonhard Euler, Charles Marie de La Condamine, le père François Jacquier) font de Cirey le centre du parti newtonien.
Vous me demandez si j’habite encore Cirey : en pouvez-vous douter ? Je l’aime plus que jamais. Je l’embellis tous les jours et je n’en veux sortir que pour aller dans le pays de la philosophie et de la raison.
Lettre de Madame Du Châtelet à Algarotti, 2 février 1738
Le château de Cirey est aussi le lieu de véritables expérimentations. Lorsqu’en 1737, l’Académie des sciences lance un concours sur la nature du feu et sa propagation, Voltaire s’inscrit. Il reprend la théorie des quatre éléments d’Aristote. Comme le feu est une substance matérielle, il a du poids. Pour le démontrer, Voltaire se rend aux forges voisines de Cirey et réalise des expériences. Il fait peser des quantités de plus en plus importantes de fer en fusion. Mais lors d’une pesée, après refroidissement, il se rend compte que le poids est toujours le même. Lors d’une deuxième série d’expérimentations sur de la fonte en fusion, la conclusion surprenante est que la fonte refroidie est plus lourde que la fonte chaude. L’hypothèse de Voltaire pour résoudre ce problème est à la croisée des théories qui vont s’affronter jusqu’à la fin du siècle sur la nature du feu : celle du phlogistique, fluide imaginé pour expliquer la combustion, défendue par Stahl, et celle de l’oxygène, que Lavoisier établira trente-cinq ans plus tard. Émilie assiste à toutes les expériences et n’est pas convaincue par les
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