Analyse de l'exposition de Ruy Blas
Commentaire de texte : Analyse de l'exposition de Ruy Blas. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar MoiEtMoi • 18 Décembre 2017 • Commentaire de texte • 2 500 Mots (10 Pages) • 1 384 Vues
✔ La fonction d'une exposition est d'abord d'informer (mise en place de l'intrigue, présentation des personnages, ancrage dans un lieu et une époque), mais aussi de séduire : il faudra étudier comment cette première scène s'articule autour de ce double objectif d'information et de séduction.
✔ Notons qu'en réalité l'exposition à proprement parler s'étend sur tout le premier acte : mise en place du motif de la vengeance de don Salluste contre la reine (I, 1) ; présentation de don César, antithèse de don Salluste (I, 2) ; découverte de l’amitié passée de don César et Ruy Blas et révélation de l’amour de ce dernier pour la reine (I, 3) ; rédaction du billet qui servira plus tard à don Salluste (I, 4) ; présentation au monde de Ruy Blas métamorphosé en don César (I, 5) .
✔ On notera enfin l'originalité de l'ouverture de ce drame : « classique » par certaines aspects, mais qui s'inscrit résolument dans la forme révolutionnaire du « drame romantique », exposée par Victor Hugo dans la préface de Cromwell.
Problématique : Dans quelle mesure cette scène d'exposition s'écarte-t-elle de la tradition classique ?
I) Une exposition qui par certains aspects se rapproche de la tradition classique
a) L'efficacité dramatique de l'exposition
– Force est de constater que l'exposition de Ruy Blas suit les préceptes classiques évoqués notamment par Boileau dans son Art poétique.
Que dès les premiers vers, l'action préparée
Sans peine du sujet aplanisse l'entrée.
Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer,
De ce qu'il veut, d'abord, ne sait pas m'informer,
Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue.
J'aimerais mieux encor qu'il déclinât son nom,
Et dît : « Je suis Oreste1, ou bien Agamemnon »,
Que d'aller, par un tas de confuses merveilles,
Sans rien dire à l'esprit, étourdir les oreilles.
Le sujet n'est jamais assez tôt expliqué.
– Ainsi notera-on la remarquable efficacité dramatique de cette ouverture qui introduit immédiatement les différents personnages présents sur scène (« Ruy Blas » nommé dès le premier vers, « Gudiel » dès le vers 4 et Don Salluste « chef de la maison de Bazan » vers 17) et hors scène (« la reine » - v10 - qui « vient de Neubourg »).
– Remarquable efficacité aussi dans la présentation de la situation de disgrâce de Don Salluste dès le vers 4 « - renvoyé, disgracié, chassé ! - ». Quelques vers suffisent à Hugo pour évoquer le passé : « pour une amourette » (v6) / « Ordre de l'épouser. Je refuse. On m'exile ! » (v13) [notez la phrase nominale juxtaposée à deux phrases très brèves qui résument dans une formule condensée les événements passés : économie remarquable du récit]
– Les didascalies qui décrivent les costumes des personnages participent aussi à cette efficacité : d'emblée, le spectateur est à même de deviner le statut social des différents personnages (p. ex. « Toison d'or » / « riche manteau » / « épée » / « chapeau » : autant de signes distinctifs de la noblesse de Don Salluste ; même remarque pour Ruy Blas et Gudiel dont le statut social est apparent dans les vêtements)
b) La reprise du procédé classique de la scène de confidence
– Reprise du procédé classique de la scène de confidence pour la présentation de l'essentiel de l'intrigue (voir, par exemple, Racine au début de Phèdre qui s’ouvre sur un dialogue entre Hippolyte et son précepteur Théramène, ou Molière dans l’exposition des Fourberies de Scapin qui débute par un échange entre Octave et Sylvestre, ou encore Le Cid de Corneille avec le dialogue entre Chimène et sa gouvernante Elvire) => Hugo s'inscrit dans la tradition en ouvrant sa pièce par une scène convenue.
– Ce procédé s'inscrit dans le respect de la règle de la vraisemblance, chère aux classiques (cf. Boileau : « Jamais au spectateur n'offrez rien d'incroyable / Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable. »). Il s'agit en effet de légitimer et de rendre vraisemblable l'apport des informations essentielles à la compréhension du spectateur. C'est donc la double énonciation qui est à l'oeuvre (les propos échangés le sont surtout pour l'information du public). C'est le cas lorsque don Salluste évoque sa grandeur passée, déjà connue de son confident (v. 15-20). Il s'agit là d'un artifice, quelque peu convenu, mais néanmoins nécessaire à la dramaturgie.
– Vraisemblance encore dans la disproportion de la parole qui traduit la distance sociale entre Don Salluste (56 vers) et Ruy Blas (4vers) ou Gudiel (2 vers), entre un grand d'Espagne (même en disgrâce ici) et ses deux domestiques (confident pour Gudiel, simple exécutant pour Ruy Blas).
c) l'installation d'un univers proche du théâtre classique par certains aspects
– L'univers de la pièce semble proche de celui de la tragédie par certains aspects :
– une cour royale (« le palais du roi à Madrid »),
– des personnages de haut-rang (le roi « Charles II », la « reine », un grand d'Espagne qui porte la « toison d'or »),
– la thématique du pouvoir (cf. champ lexical du pouvoir : « règne » v3, « ambition » v15, « président » v16, « pouvoir » v19, « charges, emplois, honneurs » v21, « mes états » v38, « le maître » v42),
– la mise en place du motif de la vengeance implacable et inexorable (voir la valeur des futurs catégoriques « Je me vengerai », répétés par deux fois, et qui annoncent la perte inéluctable de la reine).
– En outre, remarquons que le couple maître-valet est un motif récurrent dans la tradition du théâtre classique (cf. notamment les pièces de Molière : Dom Juan, Les Fourberies de Scapin, ...)
II) Une exposition qui répond à un double objectif d'information et de séduction
a) l'ancrage spatio-temporel
– le lieu :
– « le salon de Danaé dans le palais du roi, à Madrid »
– la description précise du décor et des costumes dans la didascalie liminaire permet de se représenter un palais royal espagnol.
– l'époque / le moment :
– didascalie initiale « Madrid. 169. » = fin du XVII siècle
– la « cour du temps de Charles II », roi d'Espagne de 1665 à 1700 (roi faible et maladif qui mourra sans descendance)
– mention de « Neubourg » (v10) : Charles II avait en effet épousé en secondes noces Maria de Neubourg.
– v2 « le jour va naître » : la scène se déroule à la pointe du jour (l'aube, encore noyée de pénombre, prend une dimension symbolique en faisant écho au champ lexical de l'ombre qui traverse la scène et évoque les sombres machinations de Don Salluste : « Don Salluste est vêtu de velours noir », « Gudiel est en noir », v15 « travaux nuit et jour », v29 « une sape profonde, obscure et souterraine », v34 « l'ombre », v36 « la profondeur du puits » )
b) les personnages et l'intrigue
– Les personnages :
– Don Salluste :
– le Grand d'Espagne, le maître : son statut se traduit dans la richesse de son costume (cf. didascalie). Notez les nombreux impératifs qui soulignent son pouvoir et la domination qu'il exerce ( v1« Fermez la porte » / « ouvrez la fenêtre », v45 « Va faire nos apprêts, et hâte-toi. – Silence ! / Tu pars avec moi. Va. », v « Écoutez » v49, « soyez-là » v52, v55 « Faites-lui », v58 « voyez-donc », v60/61 « Ne vous éloignez pas./ Faites le guet ») ainsi que le lexique du pouvoir présent dans son discours (vers 3, 15, 16, 19, 21, 38, 42).
– Orgueil, colère, mépris pour les autres : ses exclamations très nombreuses (v3, 4, 5, 7, 8, 13, 14, 22, ...), son discours haché (notez par exemple la syntaxe heurtée des vers 3, 4, 5, 6 ...), ses formules méprisantes (« une fille de rien » v8, « la donzelle » v9, « cette créature » v11, « traîné son enfant » v12, le « drôle » v40) montrent à la fois sa colère et son mépris des femmes et des autres.
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