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Littérature classique - L'île des esclaves, Marivaux. Et l'utopie.

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Par   •  26 Décembre 2016  •  Dissertation  •  4 289 Mots (18 Pages)  •  2 562 Vues

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« Je confesse aisément qu’il y a chez les utopiens une foule de choses que je souhaite voir établies dans nos cités. Je le souhaite plus que je l’espère »  Ce sont les derniers mots du livre Utopie de Thomas More. C’est à ce dernier que nous devons le mouvement littéraire « l’utopia ». Le mot utopie vient du grec et signifie un lieu qui n’existe pas, c’est aussi la représentation d’une réalité idéale et sans défaut, cela se traduit dans les écrits par un régime politique idéal, une société parfaite ou encore une communauté d’individus vivant heureux et en harmonie. Thomas More décrit une île merveilleuse, un lieu fictif avec une société idyllique. Ainsi nombreux sont les auteurs à s’être inspiré de ce concept. Marivaux en fait partie : tout d’abord avec son roman les effets surprenants de la sympathie, puis avec des pièces comme l’île des esclaves et la colonie. C’est à la première que nous allons nous intéresser. Nous pouvons nous demander si nous pouvons qualifier l’île des esclaves d’utopique ? Dans quelle mesure l’est-elle ? Nous verrons dans un premier temps que la pièce est conforme aux principales caractéristiques de l’utopie ; ensuite que Marivaux n’étant ni révolutionnaire ni insurrectioniste adapte l’utopie dans sa pièce, par conséquent l’utopie n’est pas totalement respecter ; enfin il ne s’agit pas plus d’une pièce utopique, qu’humaniste, l’île des esclaves a aussi été qualifiée de pièce des lumières, cela va au-delà de l’utopie.

        Pour qualifier une pièce d’utopique, il faut dans un premier temps un lieu imaginaire et inaccessible. C’est parfaitement le cas dans l’île des esclaves. Marivaux utilise en effet ce que l’on appelle l’utopie d’espace. L’île mise en scène par Marivaux n’a pas de véritable nom, elle ne fait l’objet d’aucune localisation, d’aucune description. Ni les didascalies ni les propos des personnages nous permettent de nous faire une idée d’où la localiser géographiquement. N’oublions pas qu’utopie veut dire : Nulle part. L’île représente un lieu clos, à l’écart de la société policée où tout projet nouveau est possible au moins par l’imagination. La didascalie initiale : « Le théâtre représente une mer et des rochers d’un côté, et de l’autre quelques arbres et des maisons. » confirme que nous sommes face à un décor symbolique, presque abstrait, comme le souligne souvent les apologues ou les fables. Le lieu scénique entre lieu naturel et lieu civilisé est l’illustration d’un lieu transitoire considéré comme une sorte de « sas » qui suggère la nudité et le dépouillement. L’insularité est significative, son caractère inaccessible est symbole d’enferment pour les maîtres qui y séjournent pour une sorte de thérapie morale, et de paradis pour les esclaves qui peuvent changer de condition.  Le lieu est bien entendu lui-même utopique mais l’espace, le temps le sont aussi. Nous sommes censés être dans la Grèce Antique, mais de nombreux anachronismes sont présents dans la pièce notamment dans la scène 3 ou Cléanthis dresse le portrait d’Euphrosine, il s’agit plus là d’un miroir des salons et de la société du XVIIIème siècle que de la société antique. Mais la critique sociale par la fiction des voyages est courante à l’époque (fiction orientale pour Montesquieu et ses lettres persanes ou encore Haïti pour Diderot et le supplément au voyage de Bougainville.) Enfin le temps est quelque peu irréel, si Trivelin informe ses prisonniers que le cours d’humanité « dure trois ans » et que les nouveaux maîtres ont « huit jours pour se réjouir » rien dans la pièce ne confirme de telles durées. On a plutôt l’impression d’une grande rapidité.  L’utopie est donc dans un premier temps parfaitement illustrée par le temps (rapidité des actions), par l’espace (imprécis et anachronique) et par le lieu (une île inconnue et sans aucune précision).
        L’utopie c’est aussi la construction d’une société idéale. Les héros victimes d’un naufrage découvrent une société régie par des lois différentes de celles du monde d’où ils vivent. Ils apprennent la fondation et l’histoire de cette société par Tirvelin.
L’île des esclaves participe à la tendance égalitaire de l’utopie : en effet, on y a supprimé l’esclavage et tous les habitants bénéficient d’une « occupation convenable » dans le sens qu’elle convient aux aptitudes de chacun. Cette société idéale, a pour but que l’on en tire des conclusions. C’est un séjour qui sert de « thérapie ». Les personnages de la pièce comprennent rapidement leurs défauts. Les maîtres se repentent et les esclaves chasse le ressentiment, leur victoire se fait dans le pardon. Une mise en scène de l’utopie se fait dès la scène 2 : c’est l’immoralité des maîtres qui est fustigée. L’annonce initiale : « Ne m’interrompez point, mes enfants. » souligne bien cette dimension d’un discours moral : le « père » s’adressant à ses « enfants » pour leur donner quelques conseils avisés. Cette morale passe par la dénonciation du « mal » : de la cruauté à l’injustice, le constat est flagrant. Il y a une « immoralité » des maîtres, et cette immoralité des maîtres appelle une forme de vengeance, de la part des esclaves. Cette immoralité des maîtres appelle en fait, l’air de rien, une profonde moralité des « esclaves ». Le ressentiment laisse place en effet à cette profonde moralité : « (…) nous ne prenons que trois ans pour vous rendre sains, c’est-à-dire humains, raisonnables, et généreux pour toute votre vie. » On a bien l’impression que c’est Marivaux qui parle à travers Trivelin. Il expose son idéale, son souhait. Une société qui apprend de ses erreurs. Et qui assimile des valeurs, qui accepte la raison et le progrès. Ce « discours théâtral », et théâtralisé, est le moyen dont se sert en fait Marivaux pour adresser, on le suppose, une critique à une classe aristocratique qui se croit certainement, à l’époque, propriétaire de ses privilèges.

          « En France est marquis qui veut ; et quiconque arrive à Paris du fond d’une province avec de l’argent à dépenser et un nom en Ac ou en Ille, peut dire « un homme comme moi, un homme de ma qualité », et mépriser souverainement un négociant » C’est Voltaire qui écrit cela dans un extrait des Lettres philosophiques. Ainsi Marivaux ne se contente pas d’exposer son « projet social ». L’utopie est aussi un moyen de dénoncer, une société, des mœurs, une époque. L’utopie est donc ici encore respectée. Marivaux grâce à son île des esclaves, nous fait voyager dans la Grèce Antique pour mieux dénoncer la société française (abus de pouvoir, société des mœurs, vanité de l’homme) et ainsi échapper à la censure. Il utilise pour cela le procédé satirique. Il  est un moyen, pour Marivaux, de proposer, dans la lignée d’un Molière, une satire des mœurs des maîtres.  Il se manifeste notamment dans les scènes 1, 3, 5 et 10. Arlequin dans la première scène n’hésite pas à caricaturer son maître et à profiter de la situation. Il devient « le masque de la force ». La seule différence réside dans le fait qu’Arlequin n’utilise pas la violence pour s’imposer, mais préfère rester sur un ton léger, badin, danser et siffloter : « Peut-être que si je suis un brin insolent, à cause que je suis le maître » Iphicrate (qui rappelons-le veut dire gouverner par la force en grec) se montrait déjà violent et désobligeant : « Arrêtez, que voulez-vous faire ? Punir l’insolence de mon esclave. » Arlequin illustre la bonté, il est « l’honnête homme » Critique qui se prolonge dans la cinquième scène en soulignant les défauts de son maître, c’est une critique de tous les maîtres qu’Arlequin dresse en décrivant Iphicrate. Cela dit elle est bien plus virulente pour Euphrosine qui est une femme dans la scène 10, la coquetterie, la préciosité sont d’autant plus critiquées que Marivaux est un auteur mondain qui fréquentait beaucoup les salons. Elle dresse comme Arlequin la liste de surnoms que sa maîtresse lui donnait, soulignant ainsi son indélicatesse. Cléanthis se sent quelque part privée de sa condition de femme ce qui accentue la férocité de sa critique. Elle dresse un miroir social, où le monde du paraître est ce qu’il y a de plus important : «… « Madame se tait, Madame parle ; elle regarde, elle est triste, elle est gaie : silence, discours, regards, tristesse, et joie ; c’est tout un, il n’y a que la couleur de différente ; c’est vanité muette, contente ou fâchée ; c’est coquetterie babillarde, jalouse ou curieuse ; c’est Madame, toujours vaine ou coquette l’un après l’autre, ou tous les deux à la fois : voilà ce que c’est, voilà par où je débute, rien que cela. » Enfin la scène 10 propose deux discours, celui d’Arlequin et celui de Cléanthis, celui d’Arlequin étant une satire apaisée. Cléanthis entend bien se faire entendre et oppose les serviteurs et les maîtres. Elle fait l’éloge des serviteurs, mais cet éloge n’est rien d’autre en fait que l’éloge de la noblesse de l’âme : « (…) et pour avoir cette bonté là, que faut-il être,  s’il vous plaît ? » Et Cléanthis tranche : « Riche ? Non, noble ? Non, grand seigneur ? Point du tout. Vous étiez tout cela, en valiez-vous mieux ? Et que faut-il être donc ? Ah ! nous y voici. Il faut avoir le cœur bon, de la vertu et de la raison. » La satire prend même la forme d’ironie satirique: « Et à qui les demandez-vous ? A de pauvres gens que vous avez toujours offensés, maltraités, accablés, tout riches que vous êtes, et qui ont aujourd’hui pitié de vous ». Tout ceci sert à faire de l’île des esclaves une pièce utopique. Mais utopique jusqu’à quel point ? La pièce respecte-elle vraiment les caractéristiques de l’utopie traditionnelle ?

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