« Une sorte de Babel permanente »: Comment Primo Levi utilise-t-il les langues pour dépeindre la situation des prisonniers des camps de concentration dans son témoignage autobiographique de 1947 « Si c’est un homme » ?
Commentaire d'oeuvre : « Une sorte de Babel permanente »: Comment Primo Levi utilise-t-il les langues pour dépeindre la situation des prisonniers des camps de concentration dans son témoignage autobiographique de 1947 « Si c’est un homme » ?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar alexandra.lore • 23 Septembre 2022 • Commentaire d'oeuvre • 1 530 Mots (7 Pages) • 628 Vues
« Une sorte de Babel permanente »: Comment Primo Levi utilise-t-il les langues pour dépeindre la situation des prisonniers des camps de concentration dans son témoignage autobiographique de 1947 « Si c’est un homme » ?
« Le mélange des langues est un élément fondamental du mode de vie d’ici; on évolue dans une sorte de Babel permanente où tout le monde hurle des ordres et des menaces dans des langues parfaitement inconnues, et tant pis pour ceux qui ne saisissent pas au vol. » Dans son témoignage autobiographique de 1947 « Si c’est un homme », Primo Levi exprime l'effet du Lager sur les prisonniers à travers la langue. D’un côté, il décrit les barrières linguistiques et l’isolement qui en suit, de l’autre côté, il montre que le Lager, à cause de cette « Babel permanente », développe sa propre langue. Dans cet essai, je vais étudier comment Levi utilises les langues pour démontrer ce que le Lager fait aux hommes; comment il les isole, les détruit, les animalise.
La langue du Lager semble hostile au premier moment. Ce ne sont pas seulement les langues étrangères qui apeurent les prisonniers, mais la façon dont elles sont parlées. Dès le début, un officier, en parlant des prisonniers, utilise le mot déshumanisant « pièces » . Ce genre de langage combiné avec la peur de l’inconnu rend le camp et ses autorités encore plus menaçants. Cette atmosphère menaçante se manifeste même dans les situations les plus banales. Par exemple, Levi se souvient de l’infirmier parlant de son état physique à un autre homme de la manière suivante: « […]sa démonstration, exécutée en polonais, langue que je ne comprends pas et qui a donc pour moi quelque chose de terrible ». L’incompréhension de Levi le rend extrêmement anxieux; il doit craindre le pire. Il est complètement isolé dans cette situation, l'absence de possibilité de communication le paralyse, le rend impuissant, le met à la merci de l’infirmier. Quand l’infirmier s’adresse finalement à Levi, c’est presque pire que l’ignorance, car ses mots « Du Jude kaputt. Du schnell Krematorium fertig » sont comme un jugement final. Son langage maladroit et fragmentaire crée un « diagnostique » profondément rude, mais aussi brutalement honnête: la barrière linguistique ne laisse aucune place aux euphémismes. Ce langage rude est ce qui définit le Lager; il y caractérise le comportement des hommes. Quelques mots clés, comme « Häftling » , « Wstawac » , « Selekcja » , remplacent la langue ordinaire, la transforment. Par exemple, les prisonniers parlent de « fressen » et pas « essen » , ce qui les compare à des animaux. À travers la langue, les prisonniers essaient d’exprimer ce qui est inexprimable; leur propre réduction à des êtres qui ne sont plus vraiment des hommes. Dans ce processus, la langue atteint ses limites: certains mots perdent leur sens, alors que d'autres en acquièrent un nouveau. À un certain moment, Levi s’adresse directement au lecteur: « Que pouvaient bien justifier au Lager des mots comme « bien » et « mal », « juste » et « injuste » ? » Avec la perte de signification de ces mots, l'idée d'un monde juste est abandonnée. Le même destin atteint le mot « demain », que Levi assimile à « jamais ». Cela montre que les prisonniers ont perdu toute sécurité: ils ne peuvent même pas croire qu'il y aura un lendemain. La terreur de cette nouvelle réalité s’exprime dans leurs rêves: « Nous nous éveillons à tout moment, glacés de terreur, encore sous le coup d’un ordre, crié par une voix haineuse, et dans une langue que nous ne comprenons pas. »
L’incompréhension accompagnée du sens d’être haï est un motif de la vie au Lager. L’incapacité de communiquer, l’isolement et la discorde qui en suivent pèsent énormément sur les prisonniers. Puisqu’il « n’y a pas de pourquoi » dans le Lager, il faut apprendre les règles, les ficelles et les informations soi-même, ce qui est difficile à cause des barrières linguistiques. Cela est particulièrement évident au début, quand Levi fait partie des « nouveaux venus » et se trouve « à la recherche d’une voix, d’un ami, d’un guide. » . Il rencontre Schlome, le premier Häftling à qui il pourrait poser des questions, mais une vraie conversation n’est pas possible car ils ne parlent pas la même langue. Dès ce moment, il est clair que Levi doit apprendre lui-même les choses qu’il faut savoir: et qu'il doit rester en compagnie des hommes amicaux, qui ne sont pas nombreux, car dans le camp, chacun se bat pour soi-même. Parmi les prisonniers, ceux qui parlent plusieurs langues sont ceux qui possèdent un peu de pouvoir, parce qu’ils peuvent échanger des informations, il s’agit par exemple de l’interprète à l’arrivée de Levi, de Pikolo, ou du rabbin Mendi, qui ne s’inquiète pas de l’examen de chimie à cause de sa connaissance de sept langues. Autrement, les différentes langues entraînent une division naturelle entre les prisonniers ce qui conduit à la discorde entre ces groupes. Levi mentionne que « le jargon du Lager abonde » d’expressions hostiles équivalentes à « fous-moi le camp », dans toutes les langues imaginables. En plus, il a de nouveau recours au symbole de la Tour de Babylone pour exprimer la connexion entre les différentes langues et la discorde entre les prisonniers: « La tour du Carbure […] c’est nous qui l’avons construite. Ses briques ont été appelées Ziegel, mattoni, tegula, cegli, kamenny,
...