Commentaire linéaire en ménage Joris-Karl Huysmans p264-266 (chapitre xiii)
Commentaire de texte : Commentaire linéaire en ménage Joris-Karl Huysmans p264-266 (chapitre xiii). Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Linda B • 28 Mars 2020 • Commentaire de texte • 5 228 Mots (21 Pages) • 579 Vues
BAKA Linda – L2 Lettres Modernes
Commentaire linéaire – En Ménage de Joris-Karl Huysmans p. 264-266 de « Nous ne sommes plus jeunes,... » à la fin du chapitre XIII |
En Ménage exploite comme thème central l’union entre hommes et femmes en la renvoyant à toutes les formes de conjugalités. Le roman s’offre en effet comme l’expérimentation de diverses formes d’existence à deux. Les essais sont concentrés sur le personnage d’André qui fait l’expérience de la vie maritale avec Berthe, de la vie de célibataire avec sa femme de ménage, Mélanie, de la relation avec une prostituée, Blanche, et même du collage avec Jeanne, mais on constatera un cuisant échec après chaque essai, et il finira enfin par retourner vers Berthe et se résigner au statut d’époux, par dépit. Ici, notre extrait se concentre sur l’association de deux autres personnages, l’ami anarchiste d’André, Cyprien, et Mélie, une prostituée. Le choix de leur union sera le collage (ou concubinage), cet état de vie entre un homme et une femme qui cohabitent sans être mariés. On retrouve d’ailleurs aujourd’hui l’expression « être à la colle » signifiant toujours cette association libre, hors des normes du mariage. L’extrait se situe au chapitre XIII, notre commentaire s’intéressera à expliquer le moment de la décision du collage. Nous pouvons nous demander : La proposition de Cyprien est-elle la solution parfaite de « ménage » ? Nous pouvons fractionner le texte selon deux mouvements : de la l.1 à 31 nous assistons à la proposition argumentée de Cyprien et l’acceptation de Mélie. Le second mouvement de la l. 32 à la fin du chapitre signale l’union des deux personnages gouvernée par la liberté que seule la règle du baiser restreint.
La situation d’énonciation met en scène le locuteur Cyprien et son allocutaire Mélie suivant un axe horizontal parce qu’ils sont amis, ils se tutoient. La première partie du mouvement concerne l’argumentation d’André. Dans un discours rapporté au style direct au présent d’énonciation, il énonce des raisons par une suite logique pour proposer à Mélie le collage. La conversation est donc à finalité externe, elle vise un but, prendre la décision du concubinage. La longue tirade d’André commence à la première personne du pluriel par une proposition de thème, celui de la vieillesse. Il affirme « Nous ne sommes plus jeunes », la négation totale portant sur l’adjectif évaluatif « jeunes » et rappelée par l’apostrophe « vieille branche », à la fois expression amicale et signe de vieillesse. Ce premier constat introduit l’idée que Cyprien sait que la mort ne va pas tarder à arriver et qu’il serait préférable de l’attendre à deux. La proximité des deux personnages est marquée d’emblée par le registre de langue familier, et le pronom possessif « ma » lorsqu’il parle de Mélie, mais ils apparaissent moins comme des amants que comme de simples camarades entretenant une relation amicale. L’argument de la vieillesse est appuyé par « et le temps se gâte », apportant un intérêt supplémentaire à leur union qui sera développé tout le long du monologue d’André. Avant d’introduire l’idée du collage, Cyprien s’applique à démontrer leur similitudes, qui, à l’instar d’être positives, se révèlent comiques parce qu’elles manifestent un intérêt à s’unir ayant pour cause leur situation marginale, lui de célibataire, elle de prostituée. Leur union apparaît d’emblée se réaliser par dépit et la vieillesse s’oppose à la jeunesse appréhendée de façon implicite comme le lieu de tout les possibles. Par une périphrase André introduit l’idée du collage « le moment me semble venu de jouer les Paul et Virginie », il montre cependant un peu de retenue dans sa demande, signalée par la modalisation épistémique à valeur d’incertitude, de doute, qu’introduit le verbe « semble ». Mais le fait qu’il initie la demande, qu’il soit le juge pour dire que le moment est venu le met en position dominante, il apparaît comme celui qui à la faculté de réflexion et le moteur de changement tout le long du passage. Ici, il fait référence au fameux roman Paul et Virginie (1788) de J-H Bernadin de Saint-Pierre qui conte l’histoire d’amour des personnages éponymes. Ils sont issus de familles différentes et ont été élevés ensemble sur l’île Maurice, mais Virginie est envoyée en France pour son éducation. Elle annoncera des années plus tard son retour à Paul ; mais le navire qui la ramène s’échoue sur des rochers, et sa seule possibilité d’être sauvée est de se dénuder et se jeter à l’eau, mais elle refuse, au nom de la vertu, Paul se suicidera après la perte de sa bien-aimée. En connaissant l’histoire du roman il est difficile de la rapprocher de ce que vivent Mélie et Cyprien, leur relation n’a rien à voir avec celle de Paul et Virginie, passionné, lyrique et se faisant les garants de la vertu. On peut alors penser que la comparaison exprimée comme un jeu « jouer », comme s’ils allaient tenir un rôle, est en fait une façon pour André de parler du collage de façon comique en se comparant lui à Paul et surtout Mélie, une prostituée, à Virginie. Notons aussi que Paul et Virginie nourrissent un lien fort mais n’ont pas été mariés, ce sera le cas de Cyprien et Mélie. Cette comparaison est l’antécédent de la proposition subordonnée relative déterminative « qui se fourrent sous le même jupon par les temps de pluie », qui est essentielle à la compréhension de la phrase, elle a pour fonction d’être complément du nom, et signale donc que cette comparaison repose seulement sur l’union du couple dans le but de se protéger ensemble et pas pour l’amour que le couple romanesque partage. D’ailleurs le jupon rappelle la « crise juponnière » à laquelle André fait face quelques chapitres auparavant, ce besoin de présence affective maternelle qu’il exprime avec Jeanne. Ici le jupon est un parapluie, il est supposé protéger Mélie et Cyprien, les garder au chaud lors des mauvais temps, mais la connotation maternelle qu’il porte ferait aussi plus de Mélie et Cyprien des frères et sœurs plutôt que des amants. En outre, la comparaison sous-tend que le motif du rapprochement est l’entraide contre les menaces extérieures auxquelles ils pourraient devoir faire face. Ici le conflit n’est donc plus entre l’homme et la femme comme dans le couple de Berthe et André qui illustrait la guerre des sexes, mais contre la vieillesse et les ennuis de la vie, signifiés par la métaphore du mauvais temps. Cyprien continue son argumentation en évoquant cette fois sa complémentarité avec Mélie, par un parallélisme, d’abord dans leur aspect physique « t’es grosse et je suis maigre » puis dans leur force « t’es vaillante et moi je cane ». La construction du parallélisme s’opère avec des adjectifs évaluatifs « grosse » et « maigre » puis axiologiques « vaillante » et le verbe « cane(r) » coordonnées par la conjonction de coordination « et », ils montrent non seulement leurs oppositions, mais surtout leur faculté à se compléter. Notons aussi la liberté que prend Cyprien dans sa caractérisation de Mélie, il dit qu’elle est « grosse », il fait preuve d’une grande sincérité et d’humour parce qu’il se reconnaît lui-même « maigre ». En outre, cette assertion se fait l’illustration du concept de volontés et représentation de Schopenauer selon lequel la femme a plus de volonté que l’homme, elle est « vaillante » quand lui « cane », ce verbe populaire qui signifie qu’il est faible voire mourant. Ici Mélie et Cyprien illustrent ce principe jusque dans leur physique faisant penser aux descriptions zolienne dans lesquelles l’apparence physique se fait le reflet de l’intériorité et du caractère du personnage. Mais la pensée schopenauerienne fait de l’homme le penseur, le détenteur de l’intelligence, et c’est le cas ici lorsque l’on voit que Cyprien est l’initiateur de la parole (qu’il occupe le plus dans l’extrait) et qu’il raisonne en développant divers arguments pour établir sa proposition de collage. Cyprien a donc la réflexion dont Mélie manque et celle-ci détient la force qui lui fait défaut, ils se complètent parfaitement. Cyprien présente cette union de façon comique après ce constat, un point virgule vient annoncer la conséquence qu’il traduit par la tournure injonctive (ayant valeur de suggestion plutôt que d’ordre) « réunissons ces qualités », alors que pour lui-même, dans une sorte d’autodérision, n’a mentionné aucune qualité, sa maigreur et sa lâcheté étant plutôt des défauts. Son idée d’association est disséminée tout le long de sa tirade tant dans le verbe « réunissons » que dans la phrase qui suit « et, nous complétant l’un par l’autre, » admettant, après l’avoir démontré, que leur union est source de complétude, mais il ne nomme pas encore le collage, préférant progresser dans son argumentaire. Il semble tout de même se répéter et rappelle d’ailleurs encore la recherche de protection qui le pousse vers elle « nous aurons au moins quelque chance de résister aux tourmentes des événements » en restant tout autant flou sur la nature de ces « événements », il file encore la métaphore du mauvais temps. On comprend alors qu’il envisage cette relation comme une interdépendance et non pas le fruit de l’amour.
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