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La Françafrique, ou la face cachée de la politique française en Afrique

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La confiscation des indépendances De la Raison d'État à la Mafiafrique Le bilan de la Françafrique Questions - réponses

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I

La confiscation des indépendances

Certes, au temps où la colonisation était la seule voie qui permit de pénétrer des peuples repliés dans leur sommeil, nous fûmes des colonisateurs, parfois impérieux et rudes. Mais au total, ce que nous avons, en tant que tels, accompli laisse un solde largement positif aux nations où nous l'avons fait.

général De Gaulle, président de la république française, 31 janvier 1964

Pour mettre à jour les mécanismes de la Françafrique, il nous faut remonter aux origines de la décolonisation. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, l'Etat français se confronte aux désirs d’émancipation de la plupart de ses colonies (Indochine, Algérie, Cameroun...). Lorsque le général De Gaulle prend le pouvoir en 1958, l'opinion publique est de plus en plus favorable à la décolonisation, tout comme les États-Unis et l'URSS qui espèrent rallier à leur panache les peuples décolonisés*. Cependant, De Gaulle ne souhaite pas l’indépendance de l’empire colonial français, et ce pour au moins trois raisons : une raison économique : l'Afrique permet à la France d'accéder aux matières premières stratégiques comme l’uranium ou le pétrole. Elle est également source de profits pour les sociétés coloniales (cacao, bananes, bois, café, etc.). une raison politique : en pleine période de “Guerre froide”, la France, alliée du camp occidental, souhaite éviter la propagation du communisme dans ses colonies. une raison inavouable : le détournement des rentes africaines finance le mouvement gaulliste, via des circuits qui irrigueront par la suite les autres partis de gouvernement.

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Politiquement acculé, le président De Gaulle enclenche finalement le processus de décolonisation dans les années 60.** Mais tout en proclamant ce nouvel état des relations internationales, il charge son bras droit Jacques Foccart de maintenir les pays d’Afrique francophone sous la tutelle française par un ensemble de moyens illégaux et occultes.

* ** Pour plus de détails sur les ambitions des deux super-puissances à cette époque, cf. L'an 501, la conquête continue, Noam Chomsky, Écosociété, 1995 ; Une histoire populaire des Etats-Unis, Howard Zinn, Agone, 2002. Hormis pour ce qu'on appellera plus tard les Territoires d'outre-mer, comme la Nouvelle-Calédonie, ainsi que quelques points d'appui stratégiques comme les Comores et Djibouti.

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Jacques Foccart est à l'époque un personnage très puissant : secrétaire général de l'Élysée, il dirige la plupart des services secrets*, supervise les nominations aux principaux postes du parti gaulliste et de l’État, pourvoit enfin aux finances du gaullisme. Il va brillamment orchestrer cette mission de confiscation des indépendances. Sa principale stratégie sera la mise en place de dirigeants africains favorables à la France par l’élimination physique des leaders et mouvements indépendantistes. La guerre contre les indépendantistes camerounais (1957-1970) fut la plus violente, avec des méthodes dignes de la guerre du Vietnam : des centaines de milliers de victimes, l'assasinat des leaders Ruben Um Nyobé en 1958, Félix Moumié en 1960, Ouandié en 1970. Cette guerre servit de leçon à tous ceux qui pouvaient avoir des velléités de résistance. Citons également l'assassinat du président indépendantiste togolais Sylvanus Olympio en 1963, sous la supervision des services français. L'assassin, Etienne Eyadéma, s'installa ensuite plus de 40 ans au pouvoir et devint « l'ami personnel » du président Jacques Chirac. Son fils Faure Gnassingbé lui a succédé en 2005 par le biais d'élections frauduleuses et d'une sanglante répression des opposants.** Bon nombre des chefs d’État choisis par Foccart ont été formés dans les écoles militaires françaises. Certains appartenaient aux services secrets français, comme Omar Bongo, actuel président du Gabon, ceci depuis... 1967 ! Des accords sont ensuite passés avec les dirigeants de ces pays officiellement décolonisés. Depuis plus de quarante ans, les pays francophones situés au sud du Sahara vivent avec des accords de coopération, notamment monétaires et militaires, conçus comme si ces états ne devaient jamais devenir indépendants. Citons l'Accord de défense du 24 avril 1961 entre la France, la Côte d'Ivoire et le Niger concernant les « matières premières et produits stratégiques » (hydrocarbures, uranium, lithium...). Cet accord stipule que ces pays, « pour les besoins de la défense, réservent par priorité leur vente à la République française après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s'approvisionnent par priorité auprès d'elle » et « lorsque les intérêts de la défense l'exigent, elles limitent ou interdisent leur exportation à destination d'autres pays ». Certains accords peuvent comporter des clauses non publiées au Journal Officiel*** et ignorées du Parlement français. Par exemple, le Journal Officiel du 21 novembre 1960 précise que « la République gabonaise a la responsabilité de sa défense intérieure, mais elle peut demander à la République française une aide dans les conditions définies par les accords spéciaux. »

Petite anecdote : en 1969, Le Canard enchaîné dévoilait l'existence d'un dispositif permettant à Jacques Foccart d'enregistrer les conversations du palais de l'Elysée. L'affaire fut connue sous le nom de ''commode à Foccart''... Notons que Jacques Foccart publia ses sulfureuses mémoires politiques deux ans avant sa mort (Foccart parle, Fayard, 1995). ** cf. Le choix volé des Togolais, L'Harmattan, 2005 ; Le Togo : de l’esclavage au libéralisme mafieux, Gilles Labarthe, Agone, 2005. En septembre 2006, Faure Gnassingbé a été reçu en France, avec tous les honneurs de la République. *** Le Journal officiel est le quotidien édité par l'État français dans lequel sont consignés tous les événements législatifs (lois, décrets), réglementaires (arrêtés), déclarations officielles et publications légales. *

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Ces accords secrets prévoient généralement l'organisation, l'encadrement et l'instruction des forces armées des Etats ''décolonisés'', ainsi qu'une intervention militaire française en cas de menace extérieure. Enfin, des bases militaires françaises sont implantées sur le continent africain de manière permanente. Actuellement, celles-ci sont situées à Dakar (Sénégal), N'Djamena*(Tchad), Djibouti, Libreville (Gabon) et Abidjan (Côte d'ivoire). Elles regroupent un total de plusieurs milliers de soldats. Lorsque la France ne peut agir directement, l'utilisation de mercenaires complète le dispositif. Les plus célèbres sont Bob Denard et Paul Barril, impliqués dans de nombreux ''coups tordus'' aux Comores, au Bénin, au Gabon, en Angola, au Zaïre, etc.** Jacques Foccart élabore ainsi un réseau contrôlé depuis l'officieuse cellule africaine de l'Elysée et entretenu par une série de correspondants : officiers des services secrets, hommes d’affaires, fonctionnaires, conseillers, etc. Chaque président africain est encadré par les services secrets français, soi-disant chargés de sa sécurité, et par de multiples conseillers. Pour éliminer tout risque d'opposition intérieure, des polices politiques tortionnaires sont mises en place, formées à l'école française et aux méthodes expérimentées en Algérie. Cette stratégie permet de maintenir le système de domination et d'exploitation coloniale tout en donnant l'impression qu'il y a bien indépendance, puisque c'est un homme originaire du pays qui gouverne. Elle permet également à la France de maintenir sa position dominante dans les institutions internationales, telles que l'ONU, les Etats d'Afrique francophone, officiellement indépendants, s'alignant généralement sur les choix de l'ancienne métropole. La domination politique et militaire des anciennes colonies s'accompagne enfin d'une domination économique, via le franc CFA, contrôlé par la Banque de France. Initialement « franc des Colonies Françaises d'Afrique », il sera rebaptisé en 1960 « franc des Communautés Financières Africaines » pour le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la GuinéeBissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, « franc de la Coopération Financière d'Afrique centrale » pour le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Le franc CFA était convertible directement en franc français jusqu'en 1993, ce qui facilitait l'évasion monétaire. En janvier 1994, il sera brutalement dévalué de 50%, décision entraînant de lourdes conséquences sur les populations.

* ** La base de N'Djamena devrait fermer sous peu dans le cadre d'un redéploiement militaire français en Afrique. cf. La privatisation de la violence. Mercenaires et

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