Jacques Le Fataliste, Diderot : Incipit
Documents Gratuits : Jacques Le Fataliste, Diderot : Incipit. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresles esquivant (réponse évasive – « Du lieu le plus prochain », ou réponse à une question par une question – « Est-ce que l’on sait ou l’on va ? »), le narrateur refuse d’établir la situation d’énonciation. Sentiment renforcé par l’emploi du pronom personnel représentant « ils » qui ne renvoie au départ à aucun personnage connu.
Le narrateur rompt le pacte de lecture et rend impossible toute identification aux héros. L’illusion romanesque est cependant maintenue par l’identification du lecteur réel au lecteur fictif.
• Un lecteur étonné et séduit
- Un discours dynamisé
Nouvelle rupture avec la tradition : le dialogue est préféré à la narration. Avec un début in medias res, le roman prend immédiatement l’allure d’une conversation à bâton rompu. L’œuvre est placée sous le signe de l’oralité.
- Polyphonie discursive
Deux dialogues se superposent : celui du narrateur et du lecteur, et celui de Jacques et son maître. La multiplicité des voix ou polyphonie énonciative peut avoir une valeur programmatique. Cet entrelacs énonciatif offre maintes possibilités narratologiques et laisse présager des interventions et interruptions qui auront lieu dans la suite, les voix se faisant concurrence.
Pour le lecteur, cette variété peut s’avérer à la fois surprenante et divertissante.
• La lecture en miroir
Les deux dialogues se caractérisent d’abord par une opposition typographique et formelle : la linéarité du dialogue narrateur-lecteur s’oppose à l’organisation en répliques du dialogue de Jacques et son maître.
Pourtant, le passage de l’un à l’autre est fort subtil, et semble de ce fait parfaitement naturel, grâce à l’emploi du discours narrativisé (« Jacques disait que […] tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. / Le Maître. – C’est un grand mot que cela. » ; le démonstratif « cela » renvoie au discours narrativisé.)
Cet incipit est composé en diptyque, dont les deux parties se répondent. Dans ce jeu de miroirs, le narrateur trouve son pendant en Jacques et le lecteur a pour double le maître tout comme le narrateur (« Du lieu le plus prochain », Jacques pratique l’esquive « le moment d’apprendre ces amours est-il venu ?/ Qui le sait »). Face à son reflet, le lecteur prend conscience de son rôle et peut réfléchir à son statut. Le lecteur devient ainsi actif dans la lecture.
b. Du rapport maître/valet aux relations de Jacques et son maître
• Un héritage littéraire
- L’héritage théâtral
Le couple que forment Jacques et son maître se situe dans la tradition des personnages de maîtres et de valets ou de servantes que l’on trouve au théâtre, où la part belle est faite au serviteur qu’il s’agisse des personnages de Molière (Scapin), de Goldoni (Arlequin) ou de Marivaux (Arlequin) et plus tard Beaumarchais (Figaro). Qui plus est, leur dialogue est composé de répliques relevant du genre théâtral.
- L’héritage du roman picaresque
Ce duo doit également quelques traits aux personnages de Don Quichotte, lui-même héritier du roman picaresque. Le picaro est un personnage issu d’un milieu populaire qui chemine au gré d’aventures au cours desquels il s’illustre par sa gaieté, sa ruse et son courage. Or Jacques, d’après ces dires, est d’origine paysanne, aime la boisson et a fait la guerre.
• Une dénomination connotée
Si le maître n’est déterminé que socialement, en tant que maître, le nom de Jacques en revanche est fortement connoté. Le prénom Jacques renvoie aux jacqueries, ces révoltes de paysans qui éclatèrent au 14e siècle.
Ce prénom contribue donc à caractériser le personnage, par ailleurs présenté de façon bien plus complète que le maître : l’incipit nous donne des indications sur son tempérament (mauvais caractère : phrases exclamatives, juron), ses habitudes (boisson), sa doxa (le fatalisme), son ambiguïté (il est « boiteux », comme le diable auquel il sera assimilé plus tard dans le roman). Jacques, personnage éponyme (il a donné son nom à l’œuvre), est doté de bien plus d’épaisseur que son maître.
• Remise en cause de l’ordre établi : des rapports sociaux inversés
Cette inversion des rapports ne passe pas par les canaux habituels (supériorité du serviteur sur le maître en matière de ruse). Ici, le pouvoir est verbal.
- Le maître n’a pas l’apanage de la parole. Souvent muet, simple auditeur, il a pour fonction de relancer le discours de Jacques par ses commentaires, ses interruptions (« Vous l’avez deviné ») et ses questions.
- Jacques quant à lui possède un réel talent de conteur : il sait susciter l’intérêt en pratiquant l’art du suspense : « Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret ! » ; en ménageant la curiosité de son auditeur :« Tu as donc été amoureux ? / Si je l’ai été ! » ; en dynamisant son récit par l’emploi du présent de narration dans le cadre de phrases courtes, au rythme rapide : « Mon père s’en aperçoit ; il se fâche. »
c. Le roman comme champ d’expérimentation de la liberté humaine
• Le fatalisme de Jacques
Jacques est un valet doté d’une philosophie qui le définit dès le titre (Jacques le Fataliste) : « tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas [est] écrit là-haut » ; « cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard ».
Ce fatalisme relève du déterminisme qui retire à l’homme toute responsabilité et toute liberté. Pourtant, l’homme, au même titre que Jacques, bien que conscient de ce « mensonge » qu’est la liberté, reste la dupe de ce qui n’est qu’un leurre.
Jacques utilise le rapport de cause à effet selon lequel un événement constitue à la fois l’effet d’un événement qui le précède et la cause d’un événement à suivre : « Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures amenées par ce coup de feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d’une gourmette. »
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