La justification du principe fondateur de Thélème / Francois Rabelais, Gargantua
Commentaire d'oeuvre : La justification du principe fondateur de Thélème / Francois Rabelais, Gargantua. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Joshua Fadel • 23 Mai 2022 • Commentaire d'oeuvre • 1 833 Mots (8 Pages) • 402 Vues
FIN DE L’EXPLICATION LINEAIRE DU TEXTE BAC 13
Deuxième mouvement (l. 5 à 11) : la justification du principe fondateur de Thélème
La phrase 6, qui ouvre le deuxième mouvement, apporte la justification du principe présenté auparavant (« fais ce que voudras »). Il s’agit en fait d’ailleurs de la suite de la phrase dont la devise était le début, la conjonction de coordination « car », à valeur causale, reliant ce qui suit à ce qui précède. Il s’agit d’expliquer le principe fondateur de Thélème. Une telle devise pourrait conduire à une forme dévoyée de liberté, un triomphe des égoïsmes, où chacun n’agirait que selon son bon plaisir. Rabelais répond aux objections que l’on pourrait adresser à Thélème en affirmant que le sens de l’honneur des Thélémites s’épanouit dans la liberté.
En même temps, Rabelais poursuit sa remise en cause de l’ordre établi. Apparemment, Thélème est à l’image de la société française : Gargantua est le roi, et seuls les nobles (« bien nés et bien instruits, discutant en honnêtes compagnies ») sont admis dans ce lieu d’élection et leurs activités sont représentatives de celles des chevaliers. Pas la moindre trace du peuple. Mais cette vie à Thélème se présente comme un stéréotype caricatural, d’autant plus qu’il y manque le principe-clé sur lequel repose la monarchie de l’Ancien Régime : la hiérarchie, l’ordre, la contrainte, l’autorité. Thélème est donc tout à la fois la société du xvie siècle… et son envers.
La phrase 7 prolonge la phrase 6 : Thélème est constituée d’une élite sociale, qui considère « l’honneur » comme une vertu si fondamentale qu’elle est assimilée, chez eux, à une forme d’« instinct ». L’abbaye apparaît ici comme un mélange entre la cour et les lieux d’apprentissage que sont les collèges.
La longue phrase 8 décrit le comportement des Thélémites et la parenthèse qui la termine se présente comme une explication de ce comportement par une loi générale au présent gnomique. La partie de la phrase qui précède la parenthèse est structurée en deux temps : elle commence par une proposition subordonnée circonstancielle d’opposition (la conjonction » quand » étant ici l’équivalent d’« alors que ») expliquant que la contrainte est propre à « asservir ». Ensuite, la proposition principale oppose à cette « vile et contraignante sujétion ») la noblesse d’âme qui mène les Thélémites librement vers le Bien. Ceux-ci se tournent vers la vertu, non parce qu’on les y force, mais parce que c’est ce qu’ils désirent. Si on les y forçait, ils seraient attirés par l’inverse de la vertu, par esprit naturel de contradiction, comme le souligne la parenthèse à valeur généralisante. Celle-ci montre dès lors qu’il ne s’agit plus seulement d’évoquer la situation particulière des occupants de Thélème mais celle de tous les Hommes, d’où l’efficacité argumentative du propos.
Troisième mouvement (l. 11 à la fin) : les conséquences de la mise en œuvre de ce principe
Après la justification du principe fondateur de la société thélémite, le troisième mouvement du texte explique les conséquences de la mise en œuvre de ce principe au quotidien. La phrase 9 met en évidence l’harmonie qui règne dans cette communauté et l’absence de conflits interpersonnels, notamment par l’emploi du pronom personnel de 3e personne du pluriel et de termes collectifs (« tous ») qui s’opposent au singulier (« un seul »). L’expression méliorative « louable émulation » montre que chacun entraîne les autres vers la liberté.
Les phrases 10 à 12 (l. 13 à 15) fonctionnent ensemble et constituent l’illustration de l’idée exprimée dans la phrase précédente. Les trois phrases sont construites sur le même schéma syntaxique : une proposition subordonnée circonstancielle de condition introduisant une parole rapportée au discours direct entre guillemets et consistant en un impératif de 1ère personne du pluriel se rapportant à une activité, puis une proposition principale constituée du pronom totalisant « tous » et du même verbe que celui de la subordonnée mais à l’imparfait. Il s’agit de montrer que l’individu et le groupe vivent en harmonie grâce à la liberté totale et à la générosité dans les rapports humains. Chacun s’efforce de faire ce qui plaît aux autres, comme le souligne l’opposition entre le singulier (d’abord l’expression « l’un ou l’une », puis le pronom « indéfini ») et le pluriel (« tous ») :
« Si l’un ou l’une disait : «Buvons »,tous buvaient.
Si l’on disait : « Jouons», tous jouaient.
Si l’on disait : «Allons nous amuser dans les champs», tous y allaient. »
Un souci d’équilibre et une omniprésence de la joie de vivre sont visibles dans l’énumération des activités : après le plaisir de boire ensemble (phrase 10), c’est le plaisir de jouer ensemble qui se trouve évoqué dans les phrases 11 et 12, la dernière phrase ajoutant un lieu, la nature, à l’activité mentionnée. Est ainsi mise en valeur une harmonie générale et parfaite, non seulement entre les êtres, mais aussi entre les êtres et le monde qui les entoure. La question que l’on peut cependant poser est celle de l’uniformité des Thélémites. Tous semblent identiques étant donné que toute originalité est en quelque sorte effacée. On le constate encore dans la suite de l’extrait.
Les phrases 13 et 14 fonctionnent ensemble et cherchent à montrer deux choses : le fait que la noblesse des habitants de Thélème transparaisse dans leurs activités (il est question ici de la chasse, qui rappelle l’univers médiéval) et l’harmonie entre hommes et femmes. La femme fait partie intégrante de Thélème : elle est incluse dans le pronom de 3e personne du pluriel désignant les Thélémites, hommes et femmes. Quand elle n’est pas incluse dans les pronoms de 3e personne qui l’associent à l’homme, elle est désignée par des groupes nominaux comme « les dames », qui rappellent l’origine noble des occupants de l’abbaye et qui distinguent les activités « mulièbres » (propres aux femmes) des activités viriles. Ainsi, la femme monte-t-elle en « haquenée » et participe-t-elle à la chasse d’une manière différente des hommes. De même, elle s’occupe des travaux de broderie quand ses compagnons s’entraînent à l’équitation ou à l’escrime, comme précisé ensuite.
Les phrases 15, 16 et 17 (l. 19 à 24) se caractérisent par une tonalité extrêmement laudative du fait de la présence de l’intensif « si », d’une énumération à valeur d’amplification, et du superlatif absolu « jamais on ne vit ». L’hyperbole apparaît ici comme une figure essentielle du texte. Le souci de l’équilibre transparaît dans le programme éducatif, qui associe, comme le montre le procédé de l’énumération, les activités intellectuelles (lecture, écriture, chant, musique, langues étrangères) et les activités sportives ou manuelles (équitation, maniement des armes, travaux d’aiguille). Les disciplines enseignées à Thélème reprennent les fondements de la culture humaniste, avec un accent mis sur les langues et la musique, et le souci du développement physique (qui évoque la formation du chevalier) et manuel. En ce qui concerne les valeurs prônées et enseignées, l’idéal intellectuel semble atteint dans le souci de la diversité des langues parlées et écrites, en vers comme en prose. L’idéal social se réalise dans la vie en communauté et le respect de l’autre, favorisé par la pratique d’activités de groupe. L’idéal humain, quant à lui, se réalise dans l’accomplissement des facultés et l’épanouissement que favorise Thélème.
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