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Le Lai des Deux amants, Marie de France

Commentaire de texte : Le Lai des Deux amants, Marie de France. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  9 Janvier 2022  •  Commentaire de texte  •  6 765 Mots (28 Pages)  •  1 617 Vues

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C'est en 1820, en pleine époque romantique, que les Lais de Marie de France ont été édités pour la première fois. Ces douze courts récits poétiques datés de la fin du XIIe siècle et attribués à Marie de France, reprennent des événements extraordinaires de la mythologie bretonne. Appelés Lais, ils étaient traditionnellement dits oralement et accompagnés en musique. C'est pour sauver ces aventures extraordinaires de l'oubli que Marie de France explique dans son prologue[1] les avoir mises par écrit. Contes d'aventures et d'amour caractérisés par leur brièveté, les Lais sont des récits profondément humains, associant réalisme et merveilleux pour mieux célébrer l'amour. Le Lais des Deux Amants reprend l'histoire d'amour tragique de deux enfants scellée dans la mort. Marie de France a ajouté nombres de détails à la légende originelle. Par son travail d'écriture, « over grevose »[2], elle apporte une dimension poétique à ce récit et fait ainsi éclore l'œuvre d'art, inscrivant le Lai des Deux Amants, et l'ensemble de ses Lais, en Littérature. La mort des deux amants, si elle met un terme à l'aventure humaine, ne symbolise t'elle pas le passage à l'aventure littéraire ? « Car il s'agit à n'en pas douter d'un trépas qui porté aux limites d'une intégrité en fin'amor et fécondé par l'art, se tourne en une victoire remportée sur l'éphémère dans le présent du récit »[3].

        Dans un premier temps nous montrerons que Le Lai des Deux Amants est avant tout le récit d'une aventure profondément humaine dont les personnages sont en prise avec leur réalité. Le Merveilleux, si présent dans la plupart des Lais du recueil, est ici fortement atténué. Seule la Nature a un caractère Merveilleux. Nous verrons ensuite comment le sentiment amoureux – le plus humain qui soit – est ici sublimé et comment il va conduire ceux qui ne le maîtrisent pas à une destinée tragique. En effet, si au premier abord, le code courtois semble respecté, les lois qui le régissent sont en réalité largement transgressées, en particulier celle de la mesure. Enfin, nous tenterons de montrer sous quels aspects ce récit métaphorise l'écriture de Marie de France et transforme cette légende en un récit poétique et artistique destiné à prendre place dans la mythologie de l'écriture.  

        

        

        Les Deux Amants est un récit pleinement ancré dans la réalité géographique et sociale dont Marie de France atteste la véracité.

        Comme le souligne Edgard Sienart[4], le cadre géographique est très précis. La Normandie est citée dès le premier vers du Lai : « Jadis avint en Normendie ». Marie de France le reprend quelques vers plus loin : « Veritez est qu'en Neustrie / que nus apelum Normendie » (vers 7 et 8). De même apprend t-on dès le début du récit que la cité décrite est Pîtres, que ses habitants sont les Pîtrois : « ki estreit sire des Pistreis / de ses Pistreis la fist numer » (vers 14 et 15), et que la région tout entière porte ce même nom : « Nus savum bien de la cuntree / que li vals de Pistre est nomee. » (vers 19 et 20). Nous savons aussi que la ville de Pîtres se trouve non loin d'une montagne : « Pres de cel munt a une part » (vers 11), que cette montagne est d'une très grande hauteur : « a un halt munt merveilles grant » (vers 9) et qu'elle domine la cité. Par ailleurs, la trajectoire géographique du jeune homme est donnée : il vit dans la région : « El païs ot un damisel » (vers 57), fréquente régulièrement la cour du roi et sa quête du philtre le mènera jusqu'à Salerne : « A Salerne vait surjurner » (vers 137). Le lieu où se déroule l'épreuve est décrit lui aussi : « Devers Seigne en la praerie » (vers 180). Enfin, la tombe des deux amants est localisée précisément par deux fois, dans les tous premiers vers du Lai : « la sus gisent li dui enfant » (vers 10) et dans les tous derniers : « desur le munt les enfuïrent » (vers 249).

        Si les précisions géographiques foisonnent, il en est aussi de celles apportées à la description des us et coutumes de la société de l'époque. Le monde féodal y est représenté de son sommet à sa base. Le roi incarne le pouvoir, il est un bâtisseur, il a créé la ville de Pitres et lui a donné son nom. Il exprime le pouvoir également par son ascendance sur ses sujets : « ki esteit sire des Pistreis. » (vers 14), à qui il donne des ordres par la convocation de ses vassaux et amis et en faisant des proclamations qui  seront respectées sans jamais être discutées. La cour est composée de puissants seigneurs, de nobles, sages et valeureux chevaliers. Les richesses de la cour transparaissent au travers de la description des préparatifs du voyage à Salerne : « de riches dras e de deniers, de palefreiz e de sumiers » (vers 133 et 134). Le peuple est lui figuré par la foule rassemblée pour assister à l'épreuve. Toutes les couches de la société sont donc décrites.  

        Marie de France atteste de la véracité de l'aventure des deux amants en la situant très précisément, nous l'avons vu, dans un cadre géographique et social, mais également en nous rappelant l'histoire de ce conte et la façon dont il nous est parvenu : « Jadis avint en Normandie une aventure mult oie »(vers 1 et 2) ; « Un lai en firent li Bretun » (vers 5), ce qui sera d'ailleurs repris à la fin du récit : « Issi avint cum dit vus ai ; li Bretun en firent un lai » (vers 253 et 254). L'intervention, au présent de l'indicatif, de la narratrice aux vers 7, 8, 9, 10[5] et 17, 18, 19, 20[6] donne à son discours une valeur de vérité générale. L'utilisation du mot « vérité » « Veritez est qu'en Neustrie » (vers 7) amplifie davantage ce sentiment ainsi que les tous derniers vers (253, 254) par lesquels Marie de France insiste à nouveau sur le fait que l'aventure a bien eu lieu. Le futur lui donnera raison puisque de nos jours comme le dit  Jeanne Wathelet Willem[7] l'on peut encore en situer l'endroit précis.

        

        Le Lai des Deux Amants est donc parfaitement ancré dans la réalité, et contrairement à la plupart des autres Lais, le merveilleux y est semé très parcimonieusement.

        Comme l'observe Edmond Faral[8] « on ne trouve pas dans ce Lai d'architecture particulièrement merveilleuse (…) Au contraire, tout à l'air singulièrement normal. ». A la magicienne rencontrée habituellement se substitue la tante de la jeune fille. Son rôle est ramené à celui plus cartésien de médecin. Loin d'être une fée, elle est donc une scientifique et l'élaboration du philtre n'est possible que grâce à sa très grande connaissance des remèdes et à sa longue étude des plantes : « Plus de trente anz i a esté ; l'art de phisike a tant usé que mult est saive de mescines, tant cunuist herbes e racines. » (vers 105, 106, 107 et 108). Le contour du réel ne se modifie pas pour permettre à la « magicienne » d'être vue par les humains. Non, il suffit de se rendre à Salerne, ville d'une célèbre école de médecine au Moyen-Âge, pour la rencontrer. Le jeune homme devra y séjourner assez longuement pour permettre un examen complet. S'y rendre ne pose pas de difficultés particulières. Le mot « lectuaires » nous renvoie aussi au domaine scientifique puisqu'il désigne des composantes chimiques.

         Les personnages de cette aventure semblent donc bien avoir leur destin en main. Aucune magie ne peut les soustraire à leur réalité. Et pour rester maître de leur destin, ils usent notamment d'un des pouvoirs propres à l'humain : le langage, le dire. Comme nous l'avons mentionné plus haut, la parole du roi (figurée par sa proclamation) n'est jamais contestée alors qu'elle s'avère discutable. Mais c'est surtout à la femme que la parole est rendue et c'est ce que Anne Paupert nous montre dans son article « Les femmes et la parole dans les Lais »[9] : « la parole apparaît comme le moyen d'action privilégié des femmes dans une société qui ne leur en permet guère d'autre ». En effet, 38 vers sont accordés au discours de la jeune fille contre 8 accordés au discours du jeune homme. C'est par ce discours que la demoiselle expose son plan à son jeune amant. La jeune fille est dynamique, active, elle prend des décisions, loin de se laisser enlever par son ami elle repousse au contraire la proposition qu'il lui en fait. Par la suite elle encourage son ami jusqu'au bout, l'enjoint à boire le philtre.

        C'est que les personnages des deux amants ne sont pas dénués d'une certaine dimension psychologique et nous nous basons ici sur l'ouvrage de Ernest Hoepffner[10]. Nos personnages sont des personnages torturés, en prise au doute, et chacun à leur manière, ils tentent d'agir sur leur destin. Mais c'est toujours pour se tirer d'une situation douloureuse qu'ils agissent, ce qui loin de les sauver, les conduit à de nouvelles situations toujours plus douloureuses. La jeune fille, malgré l'amour qu'elle porte à son ami ne se résigne pas être la cause du chagrin de son père, c'est pour cette raison qu'elle établit un plan ; le jeune amant veut quant à lui vivre son amour tout en sachant qu'il ne le peut sans risquer sa vie, ce qui le pousse à proposer l'enlèvement puis à suivre le plan de la jeune fille ; le roi lui, souffre de son veuvage, reporte son amour sur sa fille, ne supporte pas les rumeurs qui circulent, ce qui le pousse à proclamer l'édit. On le voit chacun est poussé à agir pour échapper à une réalité contraignante et douloureuse.

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