Le Silence
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Tout être possède son langage. On commence à comprendre aujourd'hui que les animaux se parlent et nous parlent. Mais le langage des plantes, des pierres et objets quoiqu'inaudible pour nous, existe aussi réellement. Leurs formes, leurs qualités physiques, leurs couleurs, leur éclat, le parfum de la fleur, le goût d'un fruit, le geste d'une tige, la silhouette d'un arbre ou d'une colline, expriment bien leurs propriétés dynamiques: ce sont des signatures pour l'hermétiste; ce ne sont des paroles que pour le poète. La parole des extra humains réside dans un plan, parce que la communication verbale comporte toujours une influence spirituelle et que nous ne sommes pas sages assez pour qu'il nous soit permis d'agir sur l'esprit des minéraux, des végétaux et des choses.
Ce que les formes des créatures révèlent, c'est la qualité de leurs fluides; leur individualité permanente immortelle ne se laisse voir que dans un autre plan, là où réside le Verbe. Là seulement elles parlent.
Quant aux hommes, ils est nécessaire qu'ils agissent les uns sur les autres: c'est pourquoi, chez eux, le Verbe est descendu jusqu'à leur forme physique.
Nos facultés d'action, d'intelligence et de sensibilité, ne constituent qu'un roc minuscule perdu entre l'infini des petitesses et l'infini des grandeurs. Le domaine de la parole est donc bien étroit et celui du Silence bien vaste. Conformons-nous à la Loi de nature: écoutons beaucoup, parlons peu. Tout le monde rend un culte à la parole; mais le silence est un dieu négligé. Parler, c'est semer, puisque c'est agir; toutefois notre verbe n'acquiert cette puissance que lorsque notre âme est devenue un verbe de Dieu; jusque-là, le travail est plus vivant que le discours: prenons donc l'habitude du silence.
Un maître parle à ses ouvriers et ils saisissent immédiatement ses ordres; mais un dompteur ne se fait obéir de ses fauves qu'en employant certains procédés où la patience se mêle à la ruse, à la cruauté, à la crainte. De même, en ésotérisme, il y a des méthodes de dressage pour soumettre ces forces invisibles que les anciens initiés représentaient si justement sous des figures animales. Ces procédés, plus ou moins savants, plus ou moins nobles, se nomment magnétisme, magie, sorcellerie, yoga, statuvolence; ils restent toujours artificiels, insuffisants.
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Pour le mystique, la parole de la bouche est toujours une avec le verbe essentiel proféré du fond de son coeur par l'étincelle divine. Le Père l'a créée, le Fils l'a vivifiée et le Consolateur la fait grandir.
Ainsi envisagé, tout devient grave; et on comprend pourquoi les maîtres de la vie spirituelle tiennent le silence en si haut prix.
Pour le moine chrétien, le silence est l'évocation de Dieu dans l'âme, l'habitude prise de la présence céleste, une barrière contre toutes sortes de vertiges.
Tous les ordres contemplatifs ordonnent le silence plusieurs heures par jour, quand ils ne le décrètent pas perpétuel, comme autrefois chez les cisterciens, et aujourd'hui chez les trappistes et les clarisses.
La grande voix de la Nature, le tonnerre, ne se fait entendre qu'après une seconde de répit dans la tempête. Le Verbe est descendu sur terre dans la stupeur des vieux sanctuaires, des annonciateurs et des empires. Le Verbe ne descend en nous que dans le silence de nos perturbateurs habituels.
Ce silence intérieur se nomme l'attention. Cette attention est toujours un acte affectif. Et à son tour l'amour vrai, l'amour suprême, l'amour éternel, ne trouve pour s'exprimer que le silence.
Les grandes douleurs sont muettes, dit-on: les grandes joies aussi. Sur cette terre, tout ce qui dépasse un certain niveau ne trouve plus d'expression. Tout ce qui est vraiment grand parle peu; voyez dans le monde profane même, les réputations naissent et vivent dans le bruit: mais la gloire, elle naît dans le silence. Le plus grand des Êtres, Dieu, Celui que la scolastique a défini magnifiquement: l'Acte pur qui a entendu Sa parole ? Les plus angéliques parmi les hommes n'en ont jamais saisi que quelques échos.
Puisse la pratique du silence matériel fomenter en nous les cendres chaudes où rougeoient encore quelques étincelles du Feu incréé.
Dans l'ascétisme corporel, il y a une mesure à garder; dans l'ascétisme de la volonté, il n'y en a pas: or, la pratique du silence est le sommet du premier, le fondement du second. Telle était l'opinion de ces terribles lutteurs qui dans les premiers siècles de notre ère, construisirent aux solitudes thébaïques, les assises de la vie conventuelle. Je ne suis pas très partisan du cénobitisme; mais je préfère le monachisme chrétien au monachisme oriental; peut-être est-il moins savant; mais il est plus sain, plus adapté à l'âme européenne, et surtout dirigé vers le Maître véritable et immuable, vers notre Jésus.
Comment apprendre à se taire ?
Le silence n'implique pas la mélancolie. Gardons-nous de la tristesse: elle étiole et gèle les tendres petites feuilles spirituelles; elle affaiblit, elle abat, elle stérilise. Le grand saint Antoine l'ermite, celui de la tentation, que Flaubert n'a pas très bien représenté, par ignorance pratique du mysticisme, saint Antoine ne craignait pas d'appeler la tristesse le huitième péché capital. Jean l'Évangéliste, saint Jerôme, saint François, saint Philippe de Néri, Fénelon, tous les éducateurs recommandent la gaieté. La règle bénédictine ordonne la joie: enfin, si un destin heureux a mis sur votre route quelqu'un de ces hommes dont le coeur est l'habitacle permanent d'un rayon divin, vous avez dû remarquer, comme moi, que leur béatitude intérieure transsude sur leur visage, et donne à leur regard une fraîcheur et un éclat inoubliables.
Le signe de la maîtrise, c'est que l'effort ne puisse se deviner. L'optimisme est pour cela la meilleure disposition; Jésus le recommande expressément: Quand tu jeûnes, parfume toi, non pour rendre le jeûne moins pénible, mais pour que les voisins ne s'en aperçoivent pas, pour que le Père seul le sache. Et si vous avez senti une seconde l'ineffable sollicitude du Ciel à notre égard, votre joie rayonnera sans effort de votre coeur à votre visage.
L'apprentissage du silence suppose un contrôle de la parole. Comment l'établir ? La multiplicité de nos discours prouve notre faiblesse: l'homme fort est celui qui concentre sur un seul but toutes ses énergies. Nous devrions ne parler que pour être utiles; mieux encore, nous devrions avant de parler, demander l'aide divine; car si intelligent, si habile qu'on soit, il existe toujours en Dieu une perfection infiniment supérieure à la nôtre.
A cause de la faiblesse de notre volonté, de l'infirmité de notre intellect, de la tyrannie de nos sens, il faut d'abord apprendre à nous taire, extérieurement, pour que le silence intérieur apaise le tumulte mental, pour que la notion de la présence divine devienne sensible en nous. Comme enseigne saint Jean Climaque, " quiconque aime le silence devient l'ami particulier de Dieu ".
S'abstenir de paroles inutiles,
S'abstenir de paroles mauvaises,
S'abstenir de juger personne,
S'abstenir de se défendre soi-même,
S'abstenir d'indiscrétions,
S'abstenir de rêveries prolongées.
Voilà les leçons passives de l'école du Silence. Les leçons actives, il n'appartient pas à un homme de les donner; elles constituent une partie du travail de Dieu en nous.
Comme le sommeil de l'hiver prépare la végétation luxuriante de l'été, le silence habituel favorise les plus magnifiques éclosions de notre esprit. Bossuet, ce génie de la parole qui n'a pas encore été égalé, ses condisciples l'appelaient le boeuf muet. Comme dit la sagesse chinoise: " Pour commander, apprendre à obéir; pour agir, demeurer immobile; pour parler, savoir se taire ".
Si l'on réfléchit aux conséquences lointaines d'un mot qui nous échappe, on se persuade vite de la fréquente utilité du silence. En tous cas il faut réaliser ce à quoi on a jugé bon de se résoudre. Si on prend la parole, que ce soit avec tout le soin et tout le talent dont on est capable. Si on garde le silence, il doit être complet. Ce qu'on a décidé de taire doit être tu de la bouche, de coeur et d'esprit. Il y a des curieux ailleurs que sur le plan physique; le paysan, qui, comme le sauvage connaît le prix de la parole dit avec une raison profonde: " Les murs ont des oreilles " et: " La forêt a des oreilles et le champ des yeux ". Et encore: " Il faut taire son secret entre quatre murs et dans les bois ". Ici se trouve la raison pour laquelle ceux qui savent la sagesse cachée se montrent si avares de leurs connaissances. Les " chiens " et les " pourceaux " de l'Évangile se pressent surtout autour de l'homme intérieur.
S'il faut prendre
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