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Le langage n'est-il qu'un outil ?

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Par   •  20 Avril 2024  •  Dissertation  •  1 817 Mots (8 Pages)  •  225 Vues

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Le langage n'est-il qu'un outil ?

 (skopos/télos ?)

Analyse :

 « ne...que » = formulation restrictive, péjorative.

Répondre à l’affirmative, c'est indiquer que le langage est réduit à n'être qu'un outil, c'est-à-dire à une fonction purement utilitaire (encore faudra-t-il préciser de quelle fonction il s'agit). Donc, il y aurait trois alternatives : 

  • soit le langage n'est qu’un outil mais lequel ?
  • D’exp°, de com°, de domination, de manipulation, de révélation (I), de création, voire même d’identité narrative (Rimbaud + Ricoeur)
  • soit le langage n'est pas qu'un outil car il ne serait pas un du tout un outil efficace auquel cas, il peut être un obstacle  
  • soit s’il n’est pas qu’un moyen peut-il (et doit ?) aussi être un fin en soi ?

Donc la problématique est simple :  dans quelle mesure le langage serait-il un moyen et/ou une fin ? Questionné autrement, à quelles conditions peut-on réduire le langage à son utilité ? Autrement questionné, présente-t-il d'autres intérêts et si oui : lesquels ?

Double enjeu :

  • théorique :
  • du pragmatisme (com°) à la linguistique (l’ineffabilité)
  • du structuralisme à la psychanalyse (« talking cure ») > PARLÊTRE
  • pratique :

1°comprendre comment je m’exprime = expliquer ce que je pense, qui je suis > de linguistique à la métaphysique

2° comprendre mon langage => agir sur mes déterminismes pour m’en libérer (si je comprends quel est le pouvoir du langage alors je peux prendre le pouvoir ! )

 

I. OUI le lg n’est qu'un outil : c’est un moyen utile, voire utilitaire

a) Outil de com°

  • C'est là qu'il trouve son origine : le langage = système de com° par signaux et signes permettant de transmettre d’un émetteur à un récepteur un message. (cf. la généalogie du langage proposée par Jean-Jacques Rousseau dans son Second Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes) => f° de communication
  • plus encore c’est un outil de com° qui permet de fixer (voire de figer) la pensée selon Hobbes, afin de se prémunir contre l’oubli, afin de se souvenir => f° mnésique (f° historique, civilisationnel > cf. le langage paléolithique, néolithique, numéricus)
  • c'est aussi ce qui explique sa forme : c'est une convention arbitraire (Saussure dénonce « l’arbitrarité du signe » qui plus est, est conventionnel « La langue est comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso. » renverse de Saussure, Cours de linguistique générale, 1907 – 1911.) => f° dialogique

Réduire le langage à n'être qu'un outil, le restreindre à une pure fonction utilitaire de communication, c'est le ramener à son fondement.

Pour aller plus loin, on peut aussi montrer que le langage n'est pas seulement un outil de communication mais également un moyen d’agir.

b) Outil d’action :

  • le lg = action de ma pensée (Émile Benveniste « Le lg est non seulement la condition de transmissibilité, mais d’abord la condition de réalisation de la pensée » révèle-t-il dans Problèmes de linguistique générale en 1966.)
  • le lg =  performation de ma pensée ( la valeur performative du langage avec J. L. Austin, 1962)

« L'énoncé constatatif a […] la propriété d'être vrai ou faux. Au contraire, l'énoncé performatif ne peut jamais être ni l'un ni l'autre : il a sa propre fonction à lui, il sert à effectuer une action. Formuler un tel énoncé, c'est effectuer l'action. »

John Austin, Quand dire, c'est faire, 1962

  • L'énoncé performatif transcende ainsi la vérité du logos, en réalisant son action !
  • L'énoncé performatif n'est ni vrai ni faux. Il est agir. A vous donc d’agir votre pensée (logos) par votre parole (logos).

c) Outil de domination

  • Le langage peut donc se révéler dangereux et devenir un outil de domination. En effet, on aura tendance à faire preuve de révérence à l'égard de quelqu'un qui donne l'apparence de maîtriser parfaitement ce dont il parle, comme lorsque l'on fait intervenir des spécialistes pour expliquer certaines choses. Pourtant, maîtriser la langue ne signifie pas nécessairement que l'on maîtrise le sujet dont on parle : les mots ont une force extraordinaire, et ce en dépit du fait qu'ils n'expriment pas forcément la vérité. C'est ainsi que Platon condamnait l'art de la rhétorique qu'utilisaient les sophistes, lesquels étaient maîtres dans l'art de la persuasion, en dépit de la vérité de ce qu'ils défendaient. Cf. L’éloge d’Hélène – Platon .
  • En témoigne Le Novlangue de George Orwell. Dans le génial roman "1984", publié en 1949, le novlangue est la langue officielle d'Océania, imposée par les dirigeants. Son objectif est de restreindre le domaine de la pensée et son indépendance par la réduction au strict minimum du nombre de mots utilisés et par des structures grammaticales ramenées à un niveau infantile. Le principe est simple : plus on diminue le nombre de mots d'une langue, plus on diminue le nombre de concepts avec lesquels les gens peuvent réfléchir, plus on réduit les finesses du langage, moins les gens sont capables de réfléchir, et plus ils raisonnent à l'affect (ex. : les émoticon). Ne réfléchissant que sous le coup des émotions, le novlangue tue la capacité de faire retour sur une idée : « il assassine la conscience réflexive ».
  • Ainsi, si la langue est un instrument de pouvoir, alors prendre la parole est en un sens prendre le pouvoir. « Le pouvoir dont témoigne le langage n'est en définitive qu'une des manifestations de la hiérarchie sociale » assène le sociologue Pierre Bourdieu dans Ce que parler veut dire, publié en 1982.

Transition :  S'il ne devait rester qu'une chose du langage, est-ce que ce ne serait pas ainsi cette utilité du langage ? Donc le langage est bien un outil de communication, mais aussi d’action, voire de manipulation, et domination > un instrument efficace pour agir sur et dans la réalité. Or, cette efficacité ne peut-elle pas se retourner contre nous ? L'outil est réversible : il peut être l'instrument qui me permet d'atteindre mes objectifs mais aussi l'obstacle qui me résiste. Dès lors, le langage ne peut-il pas ne pas être qu'un outil efficace et utile ? Ne peut-il pas aussi être inefficace, voire nuisible ?

 

II. NON, le langage n'est pas seulement un outil, il peut être aussi inefficace voire nuisible

Le lg peut nous desservir : soit parce qu'il ne nous permet pas d'exprimer correctement notre pensée, en raison du décalage qui peut exister entre ce que nous pensons et éprouvons et les mots que nous avons à disposition.

  • Justement parce qu'il doit être un outil de communication, le langage est une convention arbitraire dont les éléments, les mots, sont généraux — d'où son inaptitude structurelle à saisir une réalité (extérieure ou intérieure) qui n'est jamais générale. Voir par exemple Henri Bergson (Le Rire) ou Nietzsche (Le Livre du philosophe). Il est intéressant de noter que c'est justement ici une approche purement utilitaire du monde à travers le langage qui en motive la critique : il y a bien plus dans la réalité que ce que les mots nous en disent (dans leur usage quotidien). Pire qu'inefficace, le langage peut aussi nuire : soit comme outil de domination, soit lorsqu'il nous trahit, on peut penser au lapsus par exemple.
  • Ce n’est qu’un outil mais pas n’importe lequel > selon Descartes, si le lg est universel, la langue est le propre de l’ho. Or, la langue n’est-elle qu’un outil ? Ce système de com° non plus instinctif mais intentionnel ne vise-t-il pas autre chose en son intention ? Lorsque je dis je t’aime à qq’un, est-ce que je me contente de lui com° ou est-ce que je n’exprime pas ce faisant autre chose (l’ineffable, mon eccéité > si le mot amour est universel, c’est toujours un universel sing, car personne n’aime à ma manière, de la même manière)
  • Selon lui, la fonction du langage est avant tout utilitaire : il doit permettre de guider l’action mais ne permet pas de rendre compte de toutes les nuances des états de conscience. « Chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. » frémit Henri Bergson dans ses Essais sur les données immédiates de la conscience 1889.
  • « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde » délimite le logicien allemand Ludwig Wittgenstein dans son Tractatus logico-philosophicus en 1921. Explication : Car plus pauvre sera votre langage (sans ponctuation, selon le langage sms ou les émoticons, ces images sans mot réduites à la tristesse inexpressive d’un sourire figé), plus indigent deviendra votre « être-au-monde » aux yeux de Martin Heidegger.


Transition : Donc le langage n'est pas seulement un outil car il peut être aussi inefficace ou nuisible. Mais, comme on l'a d'ailleurs déjà évoqué, cela revient à le réduire à nouveau à n'être qu'un outil : un moyen, utile ou non, avantageux ou nuisible, mais jamais une fin en soi. Or, n'y a-t-il pas plus dans le langage que cette simple question de l'utilité ? Le langage n'est-il pas une fin en soi, en aucun cas un simple outil ?

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