Maus
Note de Recherches : Maus. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresion se pose avec encore plus d’acuité quand il s’agit d’un épisode de l’histoire aussi sensible et indescriptible / indicible que celui de la Shoah, écoutons à ce propos ce qu’en dit Martin Winckler : « En relisant Maus, et en le présentant comme je le fais dans le paragraphe précédent, je pense bien entendu à La vie est belle de Roberto Benigni. C’est aussi l’histoire d’un père et d’un fils, et on dirait l’image en négatif de ce que raconte Spiegelman. Dans le film, le père protège son fils, tourne les nazis en dérision et meurt pour que son enfant survive. L’enfant survit et retrouve sa mère. Benigni et son co-scénariste ont-ils lu Maus ? Je me souviens des réactions de certains devant le succès du film. Certaines voix se sont élevées contre ce qu’elles considéraient comme une " trop belle représentation de l’holocauste". Si La vie est belle n’est pas crédible, Maus l’est-il ? Qui a le droit de parler des camps ? Qui a le droit d’écrire à ce sujet ? Une fiction vaut-elle moins qu’un témoignage ? »[3]
Nous pouvons trouver de bonnes raisons de défendre notre bivalence au-delà des simples considérations matérielles liées au fonctionnement de notre institution, il n’en restera pas moins que les disciplines enseignées sont différentes, voire divergentes, tant dans les moyens à mettre en œuvre que dans leurs fins respectives et que la bivalence ne les sert pas autant qu’on voudrait bien s’en persuader si l’on prend l’angle proprement didactique et épistémologique des Lettres ou de l’Histoire… Qui de nous contestera le fait que, selon la formation universitaire reçue avant de passer le concours, on se “ sentira ” plus “ historien ”, “ géographe ” ou “ littéraire ” ? Qui niera dés lors que cela détermine plus qu’on ne le croit notre façon d’enseigner ? Ce qui n’empêche personne, cela dit, d’exercer honnêtement un métier pour lequel nous nous sommes reconstruits une identité… bivalente. Cet aspect de notre formation doit faire partie de notre réflexion.
À une époque où l’on a coutume de dire que tout se brouille et se confond, nos enseignements des Lettres et de l’Histoire-Géographie en LP n’a-t-il pas comme finalité, parmi d’autres, de donner des repères : c’est notamment pour cette raison que l’histoire et la géographie ont été réintroduits au cycle CAP. Ces questions impliquent un certain nombre de précautions quant au statut même des documents que nous mettons en face de nos élèves, pour autant doit-on exclure la fiction de nos cours d’Histoire car c’est la question principale que nous nous posons ici et ce, particulièrement, à propos du témoignage ?
Nous voudrions avancer dans cette réflexion avec l’idée que tout témoignage peut s’apparenter par bien des points de vue à une fiction puisque tout témoignage est une interprétation du réel dans sa nature fondamentalement subjective, quand bien même le témoin est “ direct ” (tout témoin est porteur d’une vérité… parmi d’autres : voir « Le témoignage : réflexion pour une pratique raisonnée du témoignage en classe »). La fiction pourrait même à bien des égards se révéler plus véridique qu’un témoignage stricto-sensu : Emile Zola en chef de file du naturalisme n’apporte-t-il pas un témoignage plus juste que ses contemporains sur son époque en se débarrassant volontairement de toute subjectivité ? Ca se discute en tous cas, au moins autant que les rapports compliqués qu’entretiennent la Mémoire et l’Histoire…
Nous pensons qu’il est utile, si ce n’est indispensable, que l’enseignant se pose des questions pour exercer une pratique raisonnée. Mais, in fine, la question fondamentale qu’il doit se poser c’est celle du sens, autrement dit : dans quelles mesures (et comment) telle ou telle œuvre de fiction peut-elle, par sa qualité intrinsèque, sa pertinence, aider mes élèves à comprendre l’Histoire ? Ou encore : en quoi telle ou telle fiction permet-elle les conditions d’une réflexion historique ? (la réciproque devrait d’ailleurs être envisagée : Comment l’Histoire peut-elle ouvrir des pistes de lecture d’une œuvre de fiction ?).
Et c’est ainsi, et seulement ainsi, qu’on peut résoudre la quadrature du cercle, il ne s’agit pas d’opposer les disciplines mais de les rendre complémentaires grâce à la seule chose qu’elles ont en commun : leurs finalités (construire le citoyen, lui permettre d’acquérir un recul critique…).
II] Maus : un document impossible ?
Dés le départ de notre réflexion à propos de l’exploitation pédagogique éventuelle de Maus, les problèmes ci-dessus évoqués, et bien d’autres encore, nous sont apparus. En effet de nombreux éléments semblent converger pour rendre l’utilisation de Maus en classe d’histoire assez compliquée voire impossible :
1. Premiers éléments de difficulté
Les modalités pratiques, en premier lieu, sont déjà des écueils importants : le prix de l’ouvrage est élevé, plus d’une trentaine d’euros dans sa version intégrale ce qui rend l’achat d’exemplaires pour toute une classe délicat. On peut éventuellement trouver une solution de financement de quelques exemplaires par le CDI, au mieux.
En second lieu, Maus pose des problèmes de compréhension particulièrement avec des classes de CAP et BEP, pourtant directement concernées par le sujet ; Maus fait référence à des points d’Histoire peu étudiés en classe : les actions des nazis contre les juifs avant la seconde guerre mondiale, les pogroms, les ghettos juifs et leurs liquidations successives…
La lecture de la bande dessinée en tant que genre pose aussi problème : dans quel sens lire les cases ou les bulles, et quel est leur rythme ? Qui s’exprime dans les cases ? Les personnages de Art et de Vladek s’expriment comme personnages dans l’action, mais de surcroît comme narrateurs extérieurs : Art quand il raconte ses états d’âmes ou ses progrès dans son travail, et Vladek quand il se souvient. Dans sa version intégrale, la bande dessinée pose des problèmes par la complexité de sa structure narrative, avec deux histoires qui se déroulent de façon alternative : l’histoire de Vladek de 1936 à 1946 puis de 1958 aux années 80 et à l’achèvement de son travail. Or, le témoignage de Vladek en lui-même, qui intéresse le cours d’histoire, n’occupe qu’une partie du récit, l’autre partie parlant de la vie d’Art et de ses difficultés avec la mémoire et la création. P.A. Delannoy[4] évoque une construction par enchâssement du récit de Vladek, car on retrouve presque toujours la même structure dans les chapitres :
- Introduction par un dialogue entre le père et le fils, avec des anecdotes de la vie quotidienne.
- Récit de Vladek avec les souvenirs de la Shoah.
- Conclusion du chapitre avec résolution éventuelle de l’anecdote du début.
Ce passage incessant d’une narration à l’autre, voulu par Spiegelman dans le but de montrer la difficulté du témoignage, nécessite sans doute un travail approfondi, et c’est sans doute plus un travail de français que d’histoire…
En outre, mais c’est sans nul doute encore des objectifs de français, une bande dessinée ne doit pas seulement être utilisée pour reconnaître des procédés et les quantifier (combien de cases ? de gros plans ?…) car on ne doit pas, on ne doit jamais, séparer le fond de la forme : le dessin et le texte se complètent. Un gros plan n’est rien si on ne dit pas ce qu’il apporte comme sens dans le contexte précis où il est utilisé. Une interjection, un lettrage, un découpage n’ont de sens que dans ce qu’ils contribuent à montrer et à transmettre. Dans Maus, par exemple, Art Spielgelman a volontairement mis en page différemment les événements du passé et les événements du présent : À chaque fois qu’il revient au présent, les dessins et le texte ne sont pas encadrés dans une vignette (exemples page 64, page 65…)
Il existe bien un code bande dessinée mais qui n’est pas forcément universel, cela dépend du message que veut faire passer le dessinateur, de son projet…. C’est au professeur d’aider les élèves à décoder les dessins en lien avec le texte.
2. Un autre écueil : le « code Spiegelman »
Art Spiegelman est un auteur de comic books américain, qui écrit MAUS à partir de l’histoire vraie de ses parents, rescapés des camps. Son style est le résultat de nombreuses influences américaines et de voies qu’il a personnellement explorées, avec un code parfois difficile à expliquer.
Un élément très important de ce code est l’utilisation d’animaux pour représenter les acteurs du récit, qui s’inscrit dans un genre de la bande dessinée américaine, les funny animals. La fameuse idée du chat et de la souris est donc reprise, semblant montrer la vulnérabilité des souris juives face aux chats nazis. Pourtant, on ne peut pas dire que les personnages de Spiegelman sont à proprement parler des animaux, car ils ont des corps humains, et ils se déplacent dans un monde d’humains, avec des maisons, des voitures et des trains… d’autant plus que les chats et les souris ont la même taille. On peut dire que le choix de cette représentation doit d’abord montrer les relations entre
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