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Nathalie Sarraute, Enfance, extrait

Commentaire de texte : Nathalie Sarraute, Enfance, extrait. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  13 Août 2016  •  Commentaire de texte  •  1 692 Mots (7 Pages)  •  5 342 Vues

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Nathalie Sarraute, Enfance, commentaire

La matière du récit d’enfance est d’abord constitué par les souvenirs que nous avons conservés ou par ceux qui reviennent à la faveur de certaines coïncidences. Une sensa-tion peut ainsi rappeler un moment du passé, parce qu’elle en rappelle une autre qui est attachée à ce moment. Mais quand on raconte son enfance, en général, on ne s’en tient pas à la matière fournie par les souvenirs. On comble aussi les vides pour créer une continuité. Nathalie Sarraute respecte la réalité de la mémoire, elle écrit Enfance en s’en tenant à ses souvenirs. Tous les problèmes ne sont pas réglés pour autant. Rien ne garantit qu’au cours des années, l’imagination n’a pas transformé ce qui a été vécu. Rien ne garantit non plus qu’au moment du passage à l’écriture, des conventions litté-raires ne modifient pas la réalité. Pour empêcher ces trahisons, Sarraute revit d’abord les sensations, puis elle cherche à les décrire. Le travail d’écriture est long. Elle peut reprendre une page pendant des semaines, avant d’être satisfaite du résultat.

1. – Le problème

Soixante-dix sept ans plus tard, Nathalie Sarraute retrouve la sensation éprouvée au Jardin du Luxembourg, atténuée mais entière : « une sensation d’une telle violence qu’encore maintenant, après tant de temps écoulé, quand, amoindrie, en partie effacée elle me revient ». La remémoration ne pose donc aucun problème. La difficulté vient plutôt du langage : « j’éprouve… mais quoi ? quel mot peut s’en saisir ? » Les mots se dérobent. Sarraute n’en trouve aucun qui soit capable d’évoquer ce qu’elle a ressenti. Le problème est complexe. D’une part, parce que la sensation n’a pas d’équivalent dans la réalité : « quelque chose d’unique… qui ne reviendra plus jamais de cette façon ». D’autre part, parce qu’elle n’a pas d’équivalent dans le langage. Cette question du lan-gage est essentielle. Sarraute l’aborde dès le début du texte : « Pourquoi vouloir faire revivre cela, sans mots qui puissent parvenir à capter, à retenir ne serait-ce qu’encore quelques instants ce qui m’est arrivé… » Par la suite, elle revient de façon insistante sur les défauts des mots qui lui viennent à l’esprit et qu’elle rejette : « pas le mot à tout dire : « bonheur », qui se présente le premier […] mais il n’est pas capable de recueillir ce qui m’emplit ». Si elle désire traduire en mots l’expérience vécue au Luxembourg sans la dénaturer, Sarraute doit donc trouver une façon d’écrire qui puisse compenser l’insuffisance des mots.

2. – Les solutions possibles

a. – Raconter l’événement

L’écrivain commence par raconter l’événement. Le récit débute par la mise en place du monde dans lequel évolue l’enfant. Sarraute nous installe au Jardin du Luxembourg, fait allusion au domicile de son père : « la grande chambre claire de la rue Boisson-nade », signale sa présence à ses côtés et celle d’une amie de celui-ci : « la jeune femme qui m’avait fait danser ». L’enfance est évoquée par un objet : « un gros livre re-lié […] les Contes d’Andersen ». Cette description rapide a aussi pour fonction d’indi-quer la place occupée par la petite Nathalie, « assise […] sur un banc du jardin an-glais », entre les deux adultes. Ensuite la description se précise à partir du point de vue de l’enfant : « je regardais […] l’air semblait vibrer légèrement ». Sarraute s’applique à bien rédiger ce passage descriptif, mettant en évidence la qualité de chaque élément avec des adjectifs qualificatifs, comme on l’enseignait à l’école au début du 20e siècle. Un exemple parmi d’autres : « la pelouse d’un vert étincelant jonchée de pâque-rettes, de pétales blancs et roses ». Cependant quand elle note : « le ciel, bien sûr, était bleu », elle utilise la locution « bien sûr » pour dénoncer l’aspect scolaire de sa des-cription. Peu après, le récit s’interrompt au moment le plus important, lorsque se produit l’événement.

b. – Stimuler l’imagination

A partir des interrogatives : « mais quoi ? quel mot peut s’en saisir ? », Sarraute cesse de raconter pour intervenir en tant qu’écrivain confronté aux difficultés du lan-gage. Elle recherche laborieusement un mot qui ne trahisse pas la sensation. Des mots sont essayés, commentés et refusés. « Bonheur » ne convient pas à cause de sa bana-lité : « mot à tout dire ». « Félicité », « exaltation », à cause de leur aspect physique : « trop laids ». « Extase », à cause d’une signification trop chargée : « comme devant ce mot ce qui est là se rétracte ». Hormis « joie », en partie retenu pour sa modestie et sa brièveté, les mots sont repoussés parce qu’ils portent atteinte à ce qui fut vécu. Ils sont dotés d’une puissance, ils sont  sujets de verbes d’action, et s’opposent, par leur carac-tère rétif, au travail de l’écrivain. Ce qui est remarquable, c’est que Sarraute intègre ses essais dans la version définitive du texte. Chaque tentative est une ébauche qui laisse entrevoir la nature de la sensation. A partir des mots inappropriés et de leur critique, nous pouvons en effet imaginer ce qu’a éprouvé l’enfant. Les formulations im-précises : « quelque chose d'unique », « ce qui est là », « ce qui m'emplit », vont dans le même sens. Volontairement vague, le texte nous incite à prendre le relais, afin qu’à notre tour nous nous approchions vers ce qui se dérobe.

c. – Façonner une prose poétique

Pour Sarraute, l’écriture a le pouvoir de remédier au défaut des mots. Ce travail, qui apparaît dans l’image, les sonorités et la construction de la phrase, va vers l’écriture poétique. La métaphore : « ce qui memplit, me déborde, s’épand, va se perdre, se fondre dans les briques roses… » rapproche, à partir d’une qualité commune, deux réa-lités, la sensation et l’eau. Elle permet de décrire le mouvement qui croît à l’intérieur de la fillette et lui donne le sentiment de ne faire plus qu’un avec le monde extérieur. Cette fusion trouve son équivalent dans les assonances, notées en gras, et les allitérations, en italiques, qui accomplissent la fusion de la matière verbale. Dans notre exemple, la phrase épouse également le mouvement du tropisme, elle se développe comme il se propage. La série des verbes : « ce qui m’emplit, me déborde, s’épand, va se perdre, se fondre » est suivie d’une série de compléments : « dans les briques roses, les espaliers en fleurs, la pelouse, les pétales roses et blancs, l’air qui vibre », qui engendre un par-ticipe passé suivi de deux groupes prépositionnels : « parcouru de tremblements à peine perceptibles, d’ondes », s’achevant avec la reprise des noms : « d’ondes… des ondes de vie, de vie tout court ». L’écriture crée des effets analogues à ceux qui se produisent dans la réalité.

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