Revue française d'économie
Mémoire : Revue française d'économie. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresbles et réa listes. Le propos de cet article est de montrer qu'il est possible de donner une définition réaliste de la firme, c'est-à-dire une définition qui rende compte du monde réel, mais aussi une définition à laquelle peuvent s'appliquer deux des plus puis sants instruments d'analyse économique, développés par Marshall : l'idée de marge et celle de substitution, lesquelles, combinées, aboutissent à l'idée de substitution à la marge4. Notre définition doit bien sûr «se rapporter à des relations formelles susceptibles d'être exactement concevables5». I Pour rechercher une définition de la firme, il faut embrasser tout d'abord le système économique du regard de 1. 2. 3. 4. 5. J. Robinson, Economies is a serious subject, p. 12. Cf. N. Kaldor, The equilibrium of the firm, Economic Journal, mars 1934. Op. cit., p. 6. Cf. J.M. Keynes, Essays in biography, pp. 223-224. L. Robbins, Nature and significance of economic science, p. 63.
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l'économiste. Prenons la description donnée par Sir Arthur Salter^ : « Le système économique normal fonctionne de luimême. Ses opérations courantes ne sont soumises à aucun contrôle. Il n'a besoin d'aucune surveillance centrale. Dans la totalité des activités et des besoins humains, l'offre est ajustée à la demande et la production à la consommation par un pro cessus automatique, flexible et fin. » Un économiste conçoit le système économique comme un ensemble où le mécanisme des prix assure la coordination nécessaire ; il voit en consé quence la société moins comme une organisation que comme un organisme ?. Le système économique fonctionne de luimême. Ceci ne signifie pas qu'il n'existe aucune planification par les individus. Ceux-ci font en effet leurs prévisions et choi sissent entre des situations alternatives. Il doit nécessairement en être ainsi pour que Tordre prévale dans le système. Mais cette théorie suppose que la ventilation des ressources dépende directement du mécanisme des prix. Une critique souvent faite à la planification tient à ce qu'elle tend à réaliser ce que, précisément, le système des prix effectue déjà8. La des cription de Sir Arthur Salter ne donne cependant qu'une image très incomplète de notre système économique. Elle ne correspond pas du tout à la réalité interne à la firme. On trouve par exemple, en théorie économique, l'idée que l'all ocation des facteurs de production entre différents usages possi blesest déterminée par le système des prix. Supposons que le prix du facteur A devienne plus élevé en X qu'en Y. En con séquence, A se déplace de Y vers X jusqu'à ce que la diff érence de prix entre X et Y, sauf si elle compense d'autres avantages différentiels, disparaisse. Pourtant, dans le monde réel, il y a de nombreux domaines où ce raisonnement ne et Cette Plant, Trends m favorablement commentée par D.H. Robertson, Control o/ industry, Allied 6. par A. description a été business administration, Economica, février 1932. On la trouve dans p. 85, shipping control, pp. 16-17. 7. Cf. F.A. Hayek, The trend of economic thinking, Economica, mai 1933. 8. Cf. F.A. Hayek, op. cit.
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trouve pas à s'appliquer. Si un travailleur se déplace du ser vice Y vers le service X, ce n'est pas à cause d'un changement de prix relatif, mais parce qu'on lui ordonne de le faire. On peut répondre à ceux qui critiquent la planification économi queobjectant que tout problème se résoud en mouve en mentsde prix, par la remarque selon laquelle il existe une pla nification à l'intérieur de notre système économique qui est différente de la planification individuelle mentionnée plus haut, et qui s'apparente à ce qu'ordinairement l'on nomme planification économique. L'exemple donné ci-dessus est typi que d'une large partie de notre système économique moderne. Les économistes, bien entendu, n'ont pas ignoré ce fait. Marshall fait de l'organisation un quatrième facteur de production ; J.B. Clark attribue à l'entrepreneur la fonction coordinatrice ; le Pr Knight introduit des dirigeants qui coor donnent. Comme D.H. Robertson le souligne, nous trou vons « des îlots de pouvoir conscient dans un océan de coopé ration inconsciente, comme des morceaux de beurre flottant dans le babeurre. » Mais si la coordination est effectuée par le système de prix, pourquoi une telle organisation serait-elle nécessaire ? Pourquoi « ces îlots de pouvoir conscient » existent-ils ? Hors de la firme, les mouvements de prix dirigent la production, laquelle se voit coordonnée à travers une série de transaction intervenant sur le marché. A l'intérieur de la firme, ces tran sactions de marché sont éliminées et l'entrepreneur coordina teur dirige la production se voit substitué à la structure qui compliquée du marché et de ses transactions d'échange9. Il est clair que ce sont des méthodes alternatives de coordina tion production. Néanmoins, régulée par le mouvement de la des prix, la production pourrait avoir lieu sans organisation du tout. Pourquoi donc une telle organisation existe-t-elle ? 9. Dans la suite de cet article, j'utiliserai le terme « entrepreneur » pour désigner la ou les personnes qui, dans un système concurrentiel, se substituent, en matière de répartition des ressources, au système des prix.
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Bien entendu, le degré de substitution au méca nisme des prix varie beaucoup. Dans un grand magasin, la répartition des grandes sections dans les différents empla cements de l'immeuble peut être réalisée par l'autorité de contrôle, ou bien peut résulter d'une mise aux enchères de l'espace. Dans l'industrie du coton du Lancashire, un tiss erand peut louer de l'énergie et un magasin, et peut obtenir des métiers à tisser et du fil à crédit 10. Cette coordination des dif férents facteurs de production est cependant normalement effectuée sans intervention du système des prix. Il est évident que le degré d'intégration « verticale », qui entraîne le rempla cement du mécanisme des prix, varie grandement d'une industrie à une autre et d'une entreprise à une autre. On peut, je pense, supposer que la marque distinc tive la firme est la suppression du système des prix. La de firme est bien sûr, comme l'a fait remarquer le Pr Robbins, «reliée à un réseau extérieur de prix et de coût relatifs11», mais il est important de découvrir la nature exacte de cette relation. Cette distinction entre la répartition des ressources dans une entreprise, d'une part, et dans le système économiq ue,l'autre, a été décrite d'une manière très vivante par de Maurice Dobb dans son commentaire sur la conception du capitalisme chez Adam Smith : « On commença à s'aperce voir qu'il existait quelque chose de plus important que les relations internes à chaque firme ou unité dirigée par un entrepreneur. Il y avait les relations de l'entrepreneur avec le reste du monde économique en dehors de sa sphère imméd iate. (...) L'entrepreneur s'occupe de la division du travail dans chaque firme qu'il planifie et organise consciemment », mais « il est relié à une spécialisation économique plus large dont il est simplement une unité particulière. En fait, il joue le
10. Survey on textile industries, p. 26. 11. op. cit., p. 71.
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rôle d'une cellule unique dans un organisme plus important, tout en étant inconscient du rôle qu'il tient 12. » Puisque les économistes traitent le système de prix comme un instrument de coordination et admettent aussi, dans le même temps, la fonction coordinatrice de l'entrepre neur, sûrement important de se demander pourquoi la il est coordination est le fait du système des prix dans un cas et de l'entrepreneur dans l'autre. Le but de cet article est de comb ler ce qui apparaît comme une lacune, dans la théorie éco nomique, entre l'hypothèse (fondée sur certaines raisons) d'une répartition des ressources par le biais du système des prix, et l'hypothèse (fondée sur d'autres raisons) d'une alloca tionde ressources par l'entrepreneur coordinateur. Nous devons expliquer la base sur laquelle, en pratique, s'effectue le choix entre ces deux possibilités 13. П Notre tâche est donc de tenter de découvrir pour quoi la firme émerge finalement dans une économie d'échang es spécialisés. Le système des prix (considéré uniquement sous le rapport de la répartition des ressources) peut être évincé en considération des avantages éventuels de la relation qui viendrait se substituer à lui. Ce serait le cas, par exemple, si certains individus préféraient travailler sous la direction d'une autre personne. Ces gens accepteraient une moindre rémunération afin de travailler sous les ordres d'une personne particulière et une entreprise nouvelle en naîtrait naturelle12. Capitalist enterprise and social progress, p. 20. Cf. aussi Henderson, Supply and demand, pp. 3-5. 13. Il est aisé de voir, lorsque l'État reprend la direction d'une industrie, qu'en planifiant, il fait quelque chose qu'effectuait auparavant
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