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« Enquêter En Milieu Populaire » G. Mauger

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es de milieux populaires, car il s’agit là de l’essentiel des expériences d’observation de Mauger. Ainsi, ce qu’il a vécu avec eux, veut-il montrer, peut-être d’une certaine manière généralisé. Par exemple, le fait que certains aient ou non accepté de lui parler a eu pour conséquence « la construction sociale d’un échantillon spontané » (page 133), donc ce fait-là, qui peut se retrouver dans bien des enquêtes, montre que même la sélection des interviewés n’est pas neutre, mais bien au contraire, remplie d’implications qui vont biaiser l’enquête. Souvent, dans des milieux populaires, cela revient à se concentrer sur des informateurs ou des personnes au plus haut de l’échelle sociale parmi cette population, car ce sont eux qui ont le plus d’instruments pour « répondre à la domination » de l’enquêteur, ils ont plus de « distance au rôle » (en référence à Goffman, page 139) aussi et cela permet aussi de montrer leurs différences par rapport aux autres enquêtés, donc de mettre en avant une image valorisante d’eux-mêmes. Les informateurs auraient ainsi, souvent, une sorte d’« habitus atypique » (page 139) par rapport aux autres enquêtés. Il faut donc, selon Mauger, être conscient de ce biais de sélection, pour ensuite parvenir à le maîtriser, en tentant d’introduire une certaine diversité parmi les enquêtés, car elle ne va pas de soi, elle est rarement « naturelle ».

Nous pouvons aussi voir dans le texte la description d’un rapport de force, à travers les interactions entre enquêtés et enquêteur, d’ailleurs chacun fait en réalité son enquête sur l’autre[2], contrairement à ce que l’on pense souvent, dans le cas d’une enquête de terrain. La définition de l’enquête par l’enquêteur constitue en quelque sorte « la demande », et celle des enquêtés « l’offre », et les deux s’ajustent à travers un certain rapport de force, tout au long de l’enquête. L’enquêteur doit alors maîtriser cela à son avantage, sans pour autant se placer dans une mauvaise posture vis-à-vis des enquêtés.

Ce dernier aspect de l’article montre bien que même si le texte traite a priori sur l’enquête en milieu populaire, de nombreuses remarques sont généralisables en dehors de ce milieu. Mauger nous parle en quelque sorte de l’enquête de l’enquêteur sur la « forme » de sa propre enquête, ce qui n’est pas sans intérêt pour mieux répondre à ses questionnements « de fond », ou pour une meilleure maîtrise de la situation d’enquête et ses implications. Il est donc tout à fait possible de lire le texte en s’interrogeant sur ce que donnerait, au contraire, une enquête où l’enquêteur serait en position de dominé. On imaginerait alors une autre forme de rapport de force, ce qui est d’ailleurs proche du contenu d’un autre texte tout à fait comparable à celui-ci, « S'imposer aux imposants »[3].

Un texte méthodologique qui s’inscrit clairement dans l’héritage de plusieurs « courants » sociologiques

Un aspect très remarquable du texte est son inscription explicite et visible dans une perspective sociologique: celle de Bourdieu. En cela, un tel article se différencie de beaucoup de manuels où les divers « courants sociologiques » sont en quelque sorte mis de côtés ou présents de manière moins explicite que dans d’autres ouvrages, bien que souvent les implications normatives soient très nombreuses, car aucun manuel n’est neutre.

En effet, Gérard Mauger parle des « dominés », de « domination symbolique », d’ « habitus », de « schèmes classificatoires », insiste sur les « illusions »[4]; il cite ou fait référence huit fois à Bourdieu; et par exemple, lorsqu’il fait référence au fait que les schèmes de classements sont eux-mêmes « classants », cela fait largement écho aux propos de La Distinction[5]. Il y a donc un lexique mais aussi une réflexion qui s’inscrit dans cet héritage.

Cependant, une dimension intéressante du texte est que, bien qu’il est fortement marqué par cet héritage, il s’articule largement avec un autre: celui des interactionnistes, et en l’occurrence ici, spécifiquement celui de Goffman, dont le nom est cité autant de fois que celui de « Bourdieu ». Ainsi, les deux courants sont articulés tout au long de la démonstration, une phrase nous semble d’ailleurs typique de cela: « […] il faut remarquer, d'une part, que l'aptitude à se produire sous une pluralité d'aspects différents, la capacité de gérer alternativement, en des lieux et en des temps différents, cet éventail de personnalités sociales différentes et « la distance au rôle » qu'elles impliquent sont très inégalement distribuées socialement […] et que, d'autre part, l'ensemble des personnalités possibles d'un même enquêté, étant le produit d'un même habitus placé dans des situations diverses, est nécessairement limité à des variations sur un même habitus. ». Nous retrouvons la même chose lorsque Mauger évoque à la fois des définitions de la situation et les rapports de force qui en sont sous-jacents.

Un aspect qui fait la force du texte est donc sûrement l’idée de décrire le terrain d’un sociologue en milieu populaire en faisant une sociologie des interactions enquêtés / enquêteur. Nous pouvons dire qu’il s’agit bien d’un texte de méthodologie qui se base sur les expériences personnelles du chercheur, mais c’est aussi une forme de sociologie des enquêtes en milieu populaire. En ce dernier aspect, cet article s’inscrit sûrement dans une démarche réflexive - prônée par Pierre Bourdieu - étant donné que le sociologue revient sur son propre travail en l’analysant sociologiquement.

Comment parler de distance sociale enquêtés / enquêteur en méthodologie qualitative?

De nombreux manuels ou articles évoquent la question de la distance sociale entre le sociologue et les acteurs de son terrain, pour diverses raisons liées à des expériences personnelles de terrain et / ou pour aborder certains aspects de la relation enquêtés - enquêteurs.

La comparaison la plus évidente est sûrement celle qu’on peut faire avec le texte « S’imposer aux imposants », dans la même revue, quelques années plus tard. La différence étant surtout que cet article-là évoque le cas où l’enquêteur est dominé et l’enquête se fait par entretiens essentiellement. Là encore, cela est fait avec nuance, car les dominants ne sont pas tous les mêmes, par exemple en fonction qu’ils soient issus d’anciennes familles aristocrates ou s’ils sont plutôt des nouveaux riches, leurs attitudes ne seront pas les mêmes vis-à-vis du sociologue. Ici, le principal problème mis en avant n’est pas le fait que certains acceptent ou non de parler, mais plutôt que c’est souvent les dominants qui « mènent la danse » lors des entretiens, ce qui peut être déboussolant pour le chercheur qui peut voir ses questions détournées. Des difficultés de ce type ne sont pas forcément des « erreurs de débutants », c’est notamment le problème des Pinçons Charlot, par ailleurs cités dans le texte. Le conseil principal du texte est alors de faire une bonne préparation de l’entretien, par ailleurs bien sûr, il ne se négocie pas de la même façon qu’avec des enquêtés du même milieu social ou d’un milieu social inférieur.

Cependant, certains textes que l’on trouve dans des manuels sont, selon nous, moins satisfaisants, lorsqu’ils abordent la question de la relation de l’enquêteur avec un milieu social « distant ». Notre premier exemple est issu du texte de La pratique de la Sociologie par Serge Paugam[6], dans le chapitre « Quelle relation entretenir avec les enquêtés ? ». Paugam a choisi de répondre à cette question en opposant deux cas: celui où le sociologue est en milieu social inférieur et celui où il est en milieu social supérieur. Cela met déjà de côté le cas où les enquêtés sont d’un milieu social proche de l’enquêteur, ce qui n’est pas un cas rare quand des étudiants choisissent des sujets « proches » de leurs intérêts, et ce qui n’est pas sans conséquences sur le problème de la distance…Car c’est bien sur cet aspect que Paugam insiste dans l’introduction du chapitre: « la distanciation ».

Le premier cas où les enquêtés sont des dominés pose surtout problème selon lui - et nous sommes d’accord - lors de l’enquête longue. Et donc dans ce cas, on ne pourrait qu’avoir une oscillation entre « empathie et mauvaise conscience » selon le texte, cela serait quasi-inévitable. Il rajoute que cette posture oblige à un minimum de cynisme, car à court terme du moins, l’étude ne sera absolument pas bénéfique aux enquêtés. Voyons maintenant comment il décrit le cas où le sociologue est « socialement dominé »: là, les sociologues se voient questionnés sur ce qu’ils font, ils sont manipulés de manière orchestrée etc.

Paugam a, selon nous, une vision trop réductrice du rapport aux enquêtés. D’une part, les dominants seraient des manipulateurs, qui ne posent pas de problèmes de distanciation (non évoquée?), et d’autre part, les dominés seraient des naïfs qu’on « arnaque gentiment

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